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ARCHAEOLOGICAL STUDIES ON LATE ANTIQUITY AND EARLY MEDIEVAL EUROPE (400–1000 A. D.) (SERIES ASLAEME) Series Editors: Jorge López Quiroga, Artemio M. Martínez Tejera, Patrick Périn, Tivadar Vida, Enrico Zanini Proceedings 5 Entangled Identities and Otherness in Late Antique and Early Medieval Europe Edited by oo pr Historical, Archaeological and Bioarchaeological Approaches Jorge López Quiroga, Michel Kazanski and Vujadin Ivanišević y op fc BAR International Series XXXX 201X pr Published in X by BAR Publishing, Oxford oo BAR International Series XXXX Entangled Identities and Otherness in Late Antique and Early Medieval Europe X fc © The editors and contributors severally The so-called Monza diptych (Treasure of the Monza Cathedral), circa 395–400 A. D., showing Stylicho, as Magister Militum, on the right side and his wife Flavia Serena with their son Euquerio on the left side (photograph: J. López Quiroga). op The Authors’ moral rights under the UK Copyright, Designs and Patents Act are hereby expressly asserted. All rights reserved. No part of this work may be copied, reproduced, stored, sold, distributed, scanned, saved in any form of digital format or transmitted in any form digitally, without the written permission of the Publisher. y Printed in England BAR titles are available from: BAR Publishing Banbury Rd, Oxford, info@barpublishing.com + ( ) + ( ) www.barpublishing.com , ARCHÉOLOGIE FUNÉRAIRE ET ETHNICITÉ EN GAULE À L’ÉPOQUE MÉROVINGIENNE (Réponse a Guy Halsall) Michel KAZANSKI - Patrick PÉRIN _____________________________________________________ nous avons eu recours aux méthodes qui ont fait leurs preuves dans l'étude des sociétés traditionnelles, notamment en ethnologie. La critique de GH à notre égard est plutôt un prétexte pour exposer son point de vue sur les données archéologiques concernant les traces archéologiques des Barbares sur le territoire de l'Empire romain d'Occident. Ses idées, qui en partie répètent les nôtres, méritent sans doute un examen approfondi, mais notre objectif est ici plus modeste : répondre à la critique, exprimée d'une façon assez agressive à notre égard 1. pr Abstract : The sharp criticism towards us by Guy Halsall (GH), expressed in his article "Ethnicity and early medieval cemeteries," published in 2011 in Archaeology and ethnicity. Reassessing the "Visigothic necropolis”, is for us an opportunity not only to respond to our colleague, but to reaffirm our views on archaeological data and their historical interpretation regarding the archaeological evidences of the barbarian groups operating in the territory of the Western Roman Empire. We need to underline that our difference of view with GH is based primarily on a different approach to the ethnic concept in traditional societies. We consider these societies as heterogeneous structures, which under a political label grouped people of diverse origin. On the other hand, we must be conscious that the concept of an ethnic group, a people or tribe varies by time, space and historical context. It is also true in a way, as writes precisely GH, that ethnicity is a "state of mind", i.e. the willingness of an individual to identify with a human group. But a change of ethnic identity and therefore cultural is, in our view, a long and complex process. No individual can shed quickly and voluntarily the cultural baggage that he received from his childhood, from its original surroundings, as his way of behaving, thinking, reacting, eating, sleeping, dress, make war etc. All these cultural characteristics to an individual or to a human group leave material traces, which are the subject of the Ethnology in respect to ‘Modern traditional societies’ and of the Archaeology for the so-called "dead” societies. Key Words: Ethnicity – Funerary Archaeology – Gaul – Merovingian * * * op fc oo GH a mis en doute nos méthodes de recherche et leur logique même. En ce qui concerne la logique, il s'agit à notre avis plutôt de la lecture non attentive de nos travaux, car souvent il déforme nos propos et même nous attribue des idées que nous n'avons jamais exprimées, même d'une façon implicite (rigidité du costume romain, caractère presque éternel d'ethnicité des Goths) Quant au choix de méthodes de recherche, il nous semble que pour les évaluer, il faut avoir des connaissances "empiriques" assez larges en archéologie européenne. Et ce n’est visiblement pas toujours le cas pour GH, à en juger d'après ses remarques à propos R. Hachmann (Hachmann 1970) et l'archéologie de la région baltique 2 , ou sur l'absence prétendue des pratiques funéraires stables dans la civilisation de Černjahov/Sîntana-de-Mureş 3. 1 y Contrairement à ce qu'affirme GH, nous n'avons jamais eu l'intention de passer sous silence les travaux de nos collègues, qui expriment d'autres points de vue. A contraire, nous avons invité à nos colloques en France S. Brather, B. Effros, F. Theuws, Ph. von Rummel, qui ont pu ainsi largement exposer leurs hypothèses devant les chercheurs français et les discuter d'une façon détaillée. De même nous avons positivement répondu à toutes les invitations aux colloques émanant de ces collègues et ainsi exposé à leur jugement nos opinions. 2 Depuis longtemps l'ouvrage de R. Hachmann (Hachmann 1970) a été déjà l'objet de critiques parce qu'il n'a pas tenu rigoureusement compte de la méthode de purification régressive (par ex. Klein 1974). Dans l'annexe consacrée aux Goths, on ne parle pas du matériel archéologique scandinave et de son interprétation par R. Hachmann, contrairement à ce que affirme GH, mais des résultats de recherches archéologiques du grand chercheur polonais R. Wolagiewcz (Wolagiewcz 1986), qui a réussi trouver les preuves archéologiques d'une migration de la Scandinavie vers la côte sud de la Baltique et ainsi confirmer la véracité de la légende généalogique des Amals, racontée par Jordanès (voir également Kazanski 1991: 15-18). Les travaux de R. Wolagiewicz ont reçu la reconnaissance des autres grands spécialistes de l'archéologie gothique, tel M. Ščukin (Ščukin 2005: 25-38). 3 Le biritualisme, c'est a dire la combinaison des incinérations et des inhumations, est un trait stable des pratiques funéraires des civilisations de Wielbark et de Černjahov (voir Symonovič, Kravčenko 1983; Nikitina 1985), appartenant, selon l'avis commun, aux Germains orientaux, c'est à dire aux Goths, aux Gépides, ainsi qu'à leurs alliés germaniques et non germaniques. Ce biritualisme se manifeste à l'époque romaine également chez les voisins des Germains orientaux, qui étaient en contact avec les Goths et les Gépides, tels que les Baltes en Prusse orientale et la population scytho-sarmate de la Crimée du La vive critique à notre égard de Guy Halsall (GH), exprimée dans son article « Ethnicity and early medieval cemeteries », publié en 2011 dans Archaeology and ethnicity. Reassesing the « Visigoths necropolis”, est pour nous l’occasion, non seulement de répondre à notre collègue, mais d’exposer à nouveau notre point de vue sur les données archéologiques et leur interprétation historique concernant les témoins archéologiques des groupes barbares implantés dans le territoire de l'Empire romain d'Occident. Quelques remarques préliminaires s’imposent. Nos recherches, évoquées par GH, avaient un but très précis, en l’occurrence étudier de façon la plus objective possible les cas archéologiques concrets attestés en Gaule du Nord qui, à notre avis, peuvent témoigner de la présence de Barbares dans cette région. Pour identifier ce matériel, 199 Michel Kazanski – Patrick Périn Une autre remarque préliminaire concerne les sources écrites, dont la vision qu’à GH nous semble stupéfiante. Il considère notre lecture des textes comme "démodée", or, nous, les archéologues, n'intervenons pas dans leur lecture. Visiblement GH n'a pas très bien compris le principe même de notre recherche, emprunté aux travaux de l'école allemande de H.-J. Eggers et R. Hachmann. L'étude du matériel archéologique est effectuée uniquement avec les méthodes et moyens propres à cette discipline et seulement après, au niveau de l'interprétation historique, viennent d'autres sources, en premier lieu les témoignages des sources écrites, étudiées préalablement par les historiens des textes et des philologues. Ainsi, il est communément admis, que les passages de Jordanès et de Grégoire de Tours, que nous évoquons pour l'interprétation de la diffusion des modes germaniques orientales, sont fiables. Personne ne doute de l'existence du prince ostrogothique Vidimer ou du général romain Syagrius, la discussion portant sur les faits précis de leur biographie. D'une façon curieuse GH, qui nous incrimine l'application de ces textes classiques et bien étudiés, nous reproche en même temps de ne pas avoir renforcé notre argumentation à propos des soldats germaniques orientaux en Gaule du Nord, par les témoignages des auteurs anciens! L'impression se dégage que les sources écrites sont vraiment gênantes pour GH, qui exprime presque le regret que ces sources existent, car elles confirment les hypothèses que celui-ci ne partage pas. mode etc.) et que d'autre part même les traits culturels les plus traditionnels varient dans le temps, ce qui n'est pas une révélation pour quiconque. En effet, nous avons consacré un certain nombre de travaux à ces sujets et donc sommes donc absolument conscients de ces faits4. Après ces remarques préliminaires, il convient d’examiner à présent les domaines choisis par GH pour sa critique, à savoir les pratiques funéraires, les armes et le costume féminin. pr Si l'on se penche plus spécialement sur le caractère traditionnel des pratiques funéraires, il est évident que celles-ci changent avec le temps, mais ce changement est plus long dans le temps que par rapport à d'autres domaines de la civilisation : il suffit de se rendre au cimetière le plus proche et de regarder les dates des enterrements pour vérifier cette affirmation. Cependant les larges parallèles, tirés par GH au hasard de toute la civilisation européenne, sont à notre avis stériles. Hors contexte historique et culturel précis leur valeur est très relative. oo Examinons plutôt la situation réelle en Gaule à la fin de l'Antiquité et au début du Moyen Age. On sait parfaitement d'après sources écrites, détestées par GH, que l'installation de colons et d’auxiliaires germaniques de l’armée romaine en Gaule du Nord a été considérable à partir du IVe s. Il est donc légitime de chercher les traces archéologiques de ces événements. Ces traces se manifestent notamment dans la diffusion d'architectures domestiques (Fig. 1), de la céramique germanique non tournée (Gonzalez et alii 2001; Böhme 2009: 137, 144, 145, Fig. 6, 11) et d'autres objets (par exemple des peignes du type Thomas I, des fibules du type Almgren 175-177, Meyer II et III etc., voir Kazanski 1992). Ces éléments sont caractéristiques de la Germania libera et quasi-absents en Occident romain, mais GH les passe sous silence, pour se concentrer sur les pratiques funéraires et le costume féminin pour classer ces indices comme "douteux"5. y op fc Nous avons proposé une liste d’indices - les pratiques funéraires, les coutumes à caractère ethnographique, telle la déformation crânienne artificielle, les armes "ethniques", le costume féminin traditionnel, la céramique non tournée, le "style animalier germanique" qui, à notre avis sont plus significatives que le restant du matériel archéologique, pour l'étude du contexte ethnique et culturel en Gaule du Nord à la fin de l'Antiquité et au début du Moyen Age (Kazanski-Périn 1997; 2008; 2009; Périn-Kazanski 2006; 2011). De toute cette liste d’indices, établie sur la base de très nombreuses recherches paléo-ethnologiques, GH a choisi de n’en examiner que trois: les pratiques funéraires, les armes, où plutôt seulement un type – les « francisques » - et surtout le costume féminin. Nous ne savons pas, à le lire, si les autres indices lui paraissent tout à fait fiables, ou bien si notre collègue britannique ne maîtrise pas suffisamment le restant du matériel archéologique considéré pour en discuter sa valeur. 4 Le discours de GH sur le fait que l'objet isolé en soi-même n'a pas d'ethnicité ne représente pas un scoop scientifique non plus. On sait bien et on a dit et redit à plusieurs occasions que chaque objet doit être étudié dans son contexte historique et culturel. Pour ainsi dire, depuis le début de notre carrière scientifique, nous avons suivi le conseil de GH ne pas décrire les objets comme francs, lombards, gépides etc. Si notre collègue britannique se donne la peine de consulter nos travaux, il verra que dans nos études consacrées aux matériels précis, on utilise soit les noms des types, connus de tous les spécialistes sérieux, soit même les n° des types et seulement par raccourci, quant l'objet est décrit d'une façon détaillée et quand son origine géographique est claire et irrévocable, on utilise l'appellation comme "plaque-boucle gépide" ou "fibule lombarde", pour préciser le milieu géographie et culturel de provenance. 5 GH nous incrimine l'attribution germanique des tombes à armes et celles féminines à parures germaniques (hypothèse qui a été formée bien avant nous par nos collègues allemands, en premier lieu J. Werner et H.W. Böhme) en déformant d'ailleurs nos propos, car sur la page citée (Kazanski-Périn 2008: 191), pas un mot n'est dit sur ces types d’inhumations, mais on parle des tombes à chevaux, à tumuli et des incinérations, comme éléments étrangers aux pratiques funéraires de la Gaule du Bas-Empire et de l'époque mérovingienne! On peut donc souhaiter à GH une lecture plus attentive des travaux qu'il critique. Dans la plupart des cas, GH évite l'examen direct des cas archéologiques que nous avons étudiés. En revanche, il consacre une partie considérable de son texte à exposer des évidences, à savoir qu’à part la tradition culturelle et ethnique il y a d'autres facteurs qui interviennent dans la formation de ces traits culturels (structure sociale, âge, Sud-Ouest. Les inhumations et incinérations de la culture de Černjahov forment les types stables des sépultures et se répètent d'une nécropole à l'autre, à quelques exceptions près. Ainsi, on peut, au contraire, insister sur la stabilité et même la rigidité des rites funéraires de la civilisation de Černjahov. 200 Archéologie Funéraire et Ethnicité Traditionnellement on attribue les tombes contenant les armes ou encore les parures venant du Barbaricum aux Germains installés avec leurs familles en Gaule au service de Rome6. Le statut social de ces personnes est à discuter, mais il est néanmoins clair, à en juger d'après la valeur de leur mobilier funéraire, qu’elles occupaient une position élevée, très probablement liée au service militaire, ce qui se manifeste par la présence symbolique d’équipements militaires. D'autre part, en Gaule du Nord, essentiellement sur la côte, apparaissent des incinérations (par ex. dans la nécropole de Vron: Seillier 1993), qui, de toute évidence, sont également liées au monde germanique. suite que leur mobilier se distingue nettement de celui des sépultures identifiées par nos collègues allemands comme germaniques. Ces tombes romaines de Gaule, ainsi que celles de la Germanie romaine, à l'ouest du Rhin, contiennent des offrandes de vaisselle, des accessoires vestimentaires tels des colliers de perles, bracelets, boucles d'oreille, ceinturons, parfois des fibules masculines cruciformes dites de fonctionnaires. En revanche les armes et les fibules féminines y sont totalement absentes. L'apparition des tombes à armes et à fibules féminines dans le nord-est de la Gaule, et leur absence dans le restant de ce territoire au Bas-Empire ne peuvent pas être une manifestation de changements sociaux internes de la société gallo-romaine, telle la formation d'une nouvelle élite dirigeante, car le phénomène est limité à la partie septentrionale du pays7. Selon GH l'attribution germanique de ces tombes, qui nous paraît, avec d’autres (cf. en particulier: Böhme 1974, 1985, 2009) parfaitement justifiée, ne peut être prouvée par l'archéologie. Il allègue qu’aucune de ces pratiques funéraires n'est spécifiquement germanique. Il insiste sur le fait que les Barbares, dans la partie occidentale de la Germania libera, entre le Rhin d'une part et les côtes de la mer du Nord et de la Baltique d'autre part, pratiquaient les incinérations et que l'usage de l'inhumation y est adoptée par certains groupes de la population vers 400, sous l'influence romaine. oo pr D'autre part, il est faux d'affirmer qu’avant 400 les inhumations sont totalement étrangères au monde germanique occidental. En effet, durant la phase B1-B2, c'est à dire au Ier-IIe s., en Germania libera entre la Weser et la Vistule. on connait déjà des tombes de "chefs" du type « Lübsow », où l'inhumation est bien présente, ce qui les distingue, à part un riche mobilier, des tombes à incinération "ordinaires" (voir par ex. Bemmann-Voss 2007: 154-158). Dans la phase C2, selon la chronologie du Barbaricum de l'époque romaine (pour les bases de cette chronologie voir en particulier Godlowski 1970), c’est-à-dire durant la deuxième moitié du III e s., une série d’inhumations "princières" dites de l’horizon « Hassleben-Leuna » (Fig. 3) apparaît chez les Germains du groupe de l'Elbe-Oder (en dernier lieu Bemmann-Voss 2007: 158-162). Ces inhumations se distinguent par un riche mobilier, en grande partie d'importation romaine, par la présence de signes du pouvoir militaire, tels des éperons et manifestent sans doute la formation d'une nouvelle élite sociale chez les Germains (voir par ex. Young 1981: 16-18). Selon J. Werner cette nouvelle élite militarisée des Germains de l'Oder-Elbe est issue des chefs de guerre germaniques, au service des usurpateurs gaulois du IIIe s. (Werner 1973; Périn-Feffer 1997: 400). En rentrant dans leur pays ils ont rapporté non seulement de riches butins de guerre, dont leur mobilier funéraire témoigne, mais aussi de nouvelles coutumes funéraires. Ces dernières, on le sait depuis longtemps, sont un moyen de manifestation de statut élevé dans les sociétés traditionnelles. On peut donc constater, que chez les Germains continentaux, dans la région délimitée par GH, l'inhumation, sans doute empruntée aux pratiques funéraires gallo-romaines, est bien présente à l'époque romaine en tant que signe du haut statut de certains inhumés privilégiés. Ainsi, l'idée que les élites militaires du Bas-Empire, bientôt suivies par leurs subordonnés, imitaient avant tout les rites y op fc Il est absolument exact que ni l'incinération ni l'inhumation en elles-mêmes ne sont des pratiques spécialement germaniques. Mais ces rites doivent être replacés dans leur contexte historique et culturel précis. Ainsi, en ce qui concerne précisément l'incinération, largement pratiquée par les Gallo-Romains, elle disparait au cours du IIIe s. et n'apparait pratiquement plus jamais dans la majeure partie de la Gaule, sauf précisément dans le Nord (Fig. 2), territoire d'installation historique de migrants germaniques (Périn-Feffer 1997: 391). Il convient d’ajouter, pour ces sites à tombes à incinération du Bas-Empire et du début de l’époque mérovingienne, la présence de céramiques de tradition germanique, voire anglo-saxonne, façonnée à la main, de parures typiques de la Germanie du Nord et des îles britanniques (Vron, Neuville-sur-Escaut: Seillier 1993; Soulat 2009), de même que la parenté anthropologique des personnes inhumées avec des populations germaniques septentrionales du Haut Moyen Age (Blondiaux 1993: 242; Périn-Feffer 1997: 372-374). Nous avons donc toutes les raisons, comme beaucoup de chercheurs avant nous, d’attribuer ces caractères funéraires à des éléments étrangers très probablement d’origine germanique septentrionale. Les modes d’inhumation de la population gallo-romaine de la Gaule au Bas-Empire sont bien connus, grâce à des nombreuses publications et on se rend compte tout de 6 Les chercheurs ont souligné que ces tombes relatent seulement une partie de la communauté germanique, installée en Gaule au Bas-Empire (par ex. Young 1981: 15). A part ces élites militaires il y avait une masse de la population plus ordinaire, dont les traces sont attestées notamment dans les sites d'habitat (Gonzalez et alii 2001), sans parler d'une grande quantité d’esclaves, dont les traces ne sont pas aisément saisissables par l'archéologie. 7 Rappelons que selon les recherches d'archéologie rurale la pluspart de villae aristocratiques du Nord sont abandonnées au Bas-Empire (voir pour les détails Van Ossel 1992), tandis que dans la partie Sud elles fonctionnent toujours et la richesse de l'aristocratie méridionale est bien décrite par des auteurs latins de cette époque. 201 Michel Kazanski – Patrick Périn funéraires prestigieux du monde "princier" germanique, nous paraît tout à fait concevable. Abordons maintenant la question du costume féminin germanique occidental, attesté dans les tombes du BasEmpire en Gaule du Nord. GH nous attribue l'idée, que nous n'avons pourtant jamais exprimée, que le costume féminin est l'indice ethnique le plus important. Il expose longuement l’évidence que ce costume est également un marqueur social et dépend de l’âge des inhumées, ainsi que d'autres facteurs. Bien entendu nous partageons ce point de vue et nous l'avons exprimé très souvent dans nos publications. Il faut tout de même souligner que dans les sociétés traditionnelles le costume féminin, à l'exception de quelques exemples "princiers", est plus stable et plus "régional" que le costume masculin qui, comme on le sait, imite très souvent la mode militaire en vigueur. Pour s'en persuader, il suffit de consulter de nombreux ouvrages avec les représentations de costumes ethnographiques des différentes régions d'Europe. Comme cela arrive souvent, l'exemple "princier" est bientôt suivi par une partie de la population d’origine germanique, essentiellement par celle qu'on appellerait aujourd'hui "la classe moyenne". Au IVe s., une série de tombes à inhumation appartenant sûrement à des gens aisés, et non à des élites dirigeantes, apparait dans la partie occidentale de la Germania libera. Nous pensons aux tombes attribuées par H.-W. Böhme à sa Zeitstufe I, comme par exemple celles de Bremen-Mahndorf (t. 219), Sahlenburg (t. 1 et 21), Nimwegen-Grutberg (t. 405) (Böhme 1974: 157), aux relativement nombreuses tombes à inhumation alémaniques du IVe s. (Alamannen 1997: 79-102), ou encore aux inhumations germaniques de la région du Main contenant des épées : Lampertheim (t. III) et Stockstadt (t. 1 et 2) (Schulze Dörrlamm 1985, n° 4, 6). Il est à noter, que ces dernières, comme celles de la Gaule du Nord, contiennent des armes, ce qui a été déjà souligné par M. Schulze-Dörrlamm (Schulze-Dörrlamm 1985). Toutes ces inhumations sont beaucoup plus proches de celles de la Gaule du Nord, attribuées au Germains, que les sépultures majoritaires imputables à la population gallo-romaine du Bas-Empire. oo pr Le costume féminin du Bas-Empire, identifié comme appartenant à la tradition germanique, contient notamment une paire des fibules en forme d'arbalète, circulaires ou en trompettes, portées en général par paires sur les épaules et la poitrine. Selon GH, l'attribution de ce costume à la population germanique occidentale n'est pas fondée car, selon lui, on connaît mal la manière dont les Germaines occidentales portaient leurs fibules. Pourtant, déjà en 1974, H.-W. Böhme avait donné la liste des inhumations féminines de la partie occidentale de la Germanie de l'époque romaine tardive et du début de celles des Grandes Migrations où les fibules concernées ont été précisément mises au jour sur aux épaules ou dans la partie supérieur de la poitrine des défuntes: BremenMahndorf (t. 64, 142, 149, 203, 208, 219, 249), Helle (t. 20), Sahlenburg (t. 1, 13, 18, 19, 21) ou encore Rhenen (t. 823), en Toxandrie, cimetière utilisé depuis le IVe siècle par les Francs (Böhme 1974: Abb. 53). Il faut y ajouter les inhumations alémaniques du IVe s., qui ont également livré le même costume avec des fibules portées aux épaules (Alamannen 1997: 92, Abb. 74). op fc Le discours de GH concernant l'origine romaine du mobilier de ces tombes reprend, en fait, les propos de J. Werner, de H.-W. Böhme et d'autres chercheurs. En effet, la plus grande partie du mobilier funéraire, venant de ces sépultures est produit en Gaule et ne se distingue en rien de celui de tombes gallo-romaines, souvent voisines dans les mêmes cimetières. Cependant il suffit de regarder les cartes de diffusion des objets concernés, publiées par H.W. Böhme et confirmées par les travaux ultérieurs (voir en particulier pour les ceinturons: Sommer 1984; Soupault 2003), pour comprendre que le tableau, décrit par GH est trop simpliste. Ainsi, la diffusion des parures féminines de tradition germanique (Böhme 1974, Karten 1-10; Böhme 2009: Fig. 4, 5), englobe uniquement la Gaule du Nord et une partie de la Germania libera (fig. 4). Les tombes de l'époque romaine tardive, contenant la panoplie typique - lance, hache, bouclier, plus rarement épée - sont attestées en Gaule du Nord et dans le Barbaricum germanique, mais sont très rares, voire absentes ailleurs sur le restant du territoire romain (Schulze-Dörrlamm 1985: Abb. 34, 39). En revanche les ceinturons "militaires" se diffusent avant tout le long du limes romain, en le débordant parfois aussi bien à l'intérieur de l'Empire que dans le Barbaricum. D'autre part les peignes triangulaires du type Thomas II se concentrent essentiellement sur le territoire de l'Empire et sont relativement rares chez les Barbares (Böhme 1974, Abb. 48). Tout ceci laisse à penser que la diffusion des objets n'est pas aussi homogène que le pense GH et obéit à certaines règles, qui sont le reflet d'une situation historique et culturelle dont la reconstitution fait partie des tâches de l'archéologue. y De plus, il est significatif que ces types de fibules, notamment en arbalète (Fig. 4:2) et en trompette (Fig. 4:1), sont presque exclusivement connues en Germania libera, en Gaule du Nord et dans les Îles Britanniques, c'est à dire dans les régions mêmes d'implantation des Germains occidentaux, comme nous le savons également d'après autres sources. En revanche, ces fibules sont absentes en Gaule centrale et méridionale, en Espagne, en Italie, dans les régions danubiennes, bref, sur tout le restant du territoire de l'Empire d'Occident, ce qui n’est sûrement pas un hasard. Le costume féminin romain du Bas-Empire, bien connu d'après les nombreuses sources archéologiques et iconographiques, a subit un changement important par rapport à celui de l'époque précédente. Il ne contient ni les fibules en arbalète (à leur propos voir par exemple Schulze-Dörrlamm 1986) à part quelques cas quand des fibules cruciformes masculines ont abouti dans des tombes féminines provinciales, ni celles en trompette. 202 Archéologie Funéraire et Ethnicité Même les fibules circulaires, qui fixaient le peplum romain et sont connues d'après les données iconographiques, n'apparaissent pas dans les tombes gallo-romaines. Ce type de vêtement avec des fibules est seulement attesté à la fin de l’Empire romain par des images allégoriques (Schulze-Dörrlamm 1986: 687, Abb. 103, 104; von Rummel 2007: Abb. 34), ce qui met en doute la réalité de son existence au Bas-Empire. En revanche l'habit féminin (souvent une robe ajustée), avec une fibule ou une fermeture circulaire de la ceinture sur la poitrine, apparaît souvent dans l'iconographie des VeVIIe s. (voir des exemples pour la région méditerranéenne: Quast 1999: Abb; 6, 9; Mastykova 2005: Fig. 5-8). Au VIe s., ce costume se diffuse d'une façon large dans le monde mérovingien. On peut tout de même supposer que les petites fibules circulaires et animalières, connues au Haut-Empire faisaient partie, elles aussi, du costume romain tardif, car leurs dérivés sont bien connus à l'époque mérovingienne, mais de toutes évidence elles n'ont pas fait partie du mobilier funéraire des Romains (Martin 1988; Martin 1991; Martin 1994: 567-574; Marti 1990: 49-54). Nous n'avons donc aucune raison d’attribuer les tombes féminines avec des fibules de tradition germanique à la population de souche romaine. oo pr GH s'étonne que dans notre étude nous ayons attribué, en suivant en cela beaucoup d'autres chercheurs, le costume féminin de l’époque mérovingienne à deux fibules sur les épaules aux Germains orientaux, alors que pour le BasEmpire le même costume est attribué aux Germains occidentaux. Notre collègue britannique, d’une part, n'a pas remarqué qu'il s'agit de différents types de fibules (en arbalète, en trompette et circulaires, pour les Germains occidentaux, et de fibules en tôle d'argent pour les Germains orientaux) et que, d'autre part, le costume féminin a eu tendance à évoluer avec le temps. Chez les Germains occidentaux à l'époque romaine, le costume à deux fibules portées aux épaules est attesté, nous l'avons vu, par des inhumations de la partie septentrionale et occidentale de la Germania. Or, à en juger par de nombreux exemples dans les nécropoles de l'époque mérovingienne situées à l'Est du Rhin, la position des fibules change à partir de la seconde moitié du Ve s. Les fibules digitées sont alors le plus souvent portées à la hauteur du bassin, voire des cuisses (Fig. 5:1), tandis que les petites fibules se trouvent sur la poitrine (Clauss 1987). Ce costume est bien attesté en Gaule, mais le nombre de tombes concernées est très limité par rapport aux autres sépultures (le plus souvent quelques cas à chaque génération, de même que les riches tombes masculines à armes). Ainsi, nous avons des raisons solides pour attribuer cette mode du début de l'époque mérovingienne à la tradition vestimentaire des Germains occidentaux. En ce qui concerne les Germains orientaux d'Europe centrale et orientale, le port des fibules ansées asymétriques sur la poitrine ou sur les épaules y est typique pour l'époque romaine et celle des Grandes Migrations (Fig. 5:2), de nombreux travaux ayant été consacrés à ce sujet (voir en particulier TempelmannMączyńska 1989; Gopkalo 2011). Les changements se manifestent essentiellement dans les types de fibules. Ce sont d'abord des fibules en arbalète, puis ansés asymétriques en tôle métallique, avec des imitations en alliage cuivreux moulé et, enfin, des fibules ansées asymétriques dont l’une des extrémités est digitée, qui disparaissent au cours du VIIe s., tout comme en Occident. Ce costume typique des femmes germaniques orientales apparaît en Occident à l'époque mérovingienne de façon notable et uniquement dans les régions où l’installation des Germains orientaux est attestée, c'est à dire l’Espagne wisigothique (Fig. 6: 1, 2, 5-7), l’Italie ostrogothique et dans une moindre mesure chez les Burgondes établis en 443 dans l’est de la Gaule. En Gaule du Nord et du Sud, ce costume est de toute évidence « exotique », ce qui nous permet de le rattacher à une tradition venant de l'extérieur, très probablement à la mode germanique orientale, d'autant plus que dans la majorité des cas, il comporte des fibules en tôle d'argent, indiscutablement liées à la tradition vestimentaire féminine des Germains orientaux. y Dans certains cas, d’autre part, les pratiques funéraires des élites dirigeantes barbares excluent le dépôt d’objets dans les tombes. Nous pensons en particulier à certaines inhumations effectuées dans les églises (bien que l’Eglise n’ai jamais condamné cette pratique qui revêtait un caractère social et non religieux) ou au fameux Edit de Théodoric, prescrivant aux Goths, certainement d’un statut social élevé, de se faire enterrer "à la romaine", sans mobilier funéraire. Tout cela explique en quelque sorte la rareté des tombes contenant les parures germaniques, notamment en Italie ostrogothique, ou en Aquitaine, ou encore chez les Vandales d'Afrique du Nord, où les Germains représentaient une petite minorité par rapport à la nombreuse population romaine. Notre étude sur le costume mérovingien en Gaule du Nord ne concerne ainsi qu’une partie de la population et se limite à des cas archéologiques réels, sans entrer dans des spéculations d'ordre général. op fc Ainsi, pour l'époque romaine tardive en Gaule du Nord, les objections de GH n'ont pas de sens car elles ne prennent pas en compte le matériel archéologique réel. Ce n’est guère mieux pour l'époque mérovingienne. En ce qui concerne le costume féminin de cette époque, nous prenons bien évidemment en compte le fait, bien connu, que seule une partie des sépultures de la "classe moyenne" de la population inhumée a livré un mobilier susceptible d’être utilisé pour tenter de déterminer l’origine possible des inhumés. En effet, comme l’ont notamment démontré R. Christlein pour les Mérovingiens (Christlein 1973) et V. Bierbrauer pour les Germains orientaux (Bierbrauer 1989, 1989a), la grande partie, voire la majorité des tombes attribuables à la population "ordinaire" ne contient pas de parures, telles des fibules. Ces fibules en tôle d'argent sont attribuées par GH, qui se réfère à l'étude de F. Gauss (Gauss 2009), à la tradition 203 Michel Kazanski – Patrick Périn méditerranéenne. Une telle attribution ne peut venir que de l'ignorance délibérée de tout ce que nous connaissons de l'évolution de ces fibules. Leurs prototypes à tête semicirculaire et pied losangique, richement décorés, apparaissent déjà à l'époque romaine tardive, plus précisément dans le contexte "princier" des Germains orientaux et septentrionaux, au Danemark et en Pologne, notamment dans les célèbres découvertes de Sakrau/Zakrzów, Arslev et Sanderumgord. Au IVe siècle, durant la phase C3 selon la chronologie du Barbaricum d'Europe centrale, leurs imitations "démocratiques", en tôle métallique ou en alliage cuivreux moulé, apparaissent en grande quantité dans les tombes de la "classe moyenne" de la civilisation de Černjahov (Magomedov 2001: 75, 76; Mastykova 2007). Puis, à partir de ces fibules černjahoviennes se forment directement les grandes fibules en tôle d'argent qui deviennent caractéristiques des tombes des élites germaniques orientales du Danube et d'Europe orientale au Ve s. (Ambroz 1966). Il convient de préciser qu’avant le début des Grandes Migrations, c'est à dire avant 375, les fibules à pied losangique et tête semi-circulaire sont totalement absentes sur le territoire de l'Empire romain, qu’il s’agisse du matériel archéologique bien daté, de l'iconographie et des autres sources. Il faut donc avoir une imagination très fertile pour attribuer ces fibules à la tradition vestimentaire méditerranéenne. Bien sûr, il faut prendre en compte le fait que le phénomène de la mode vestimentaire lancée par l'aristocratie est bientôt adopté par le restant de la population. C'est ainsi que s'explique par exemple la large diffusion du costume à deux fibules en tôle d'argent en Espagne wisigothique (Périn 1993), qui concerne aussi bien les Goths que les HispanoRomains (Kazanski 1991: 101). gothique et très probablement non gothique et est liée à d'autres événements historiques (Périn 1993). Il faut cependant noter que les tombes à fibules en tôle d'argent apparaissent de plus en plus dans les fouilles de ces dernières années (par ex. Cazes 2013) (Fig. 7). Il est, bien entendu, difficile de reconstituer l'histoire précise de ces groupes barbares en Gaule du Nord. Cependant, leur acculturation, comme en témoigne des exemples archéologiques précis, telle la tombe 300 de la nécropole de Saint-Martin-de-Fontenay (Calvados) (Pilet 1994: 100, 101, 372), nous paraît claire. Cette tombe (Fig. 8) a livré un squelette féminin offrant des traces nettes de déformation crânienne artificielle, coutume orientale, typique des peuples d'Europe centrale et orientale à l'époque des Grandes Migrations. La défunte était accompagnée de deux fibules du type dit de MainzBretzeinheim (Fig. 8:1,2), dérivé des fibules germaniques orientales en tôle d'argent mais attesté uniquement en Gaule du Nord et en Rhénanie et fabriqué sans aucune doute pour une clientèle ayant des traditions vestimentaires danubiennes. Or, ces fibules ont été déposées dans la tombe "à la mérovingienne", c'est à dire sur le bassin de la défunte, et non aux épaules. Ainsi, la défunte concernée a commencé sa vie dans une y Comme nous l'avons dit, les grandes fibules en tôle d'argent se diffusent sur le territoire de l'Empire dans les régions d'installation des Germains orientaux (Danube, Balkans, Italie, Espagne), mais sont rares en Gaule du Sud (Lezoux: Vertet-Duterne 1999), y compris entre la Loire et les Pyrénées, ainsi que la Septimanie, où les Wisigoths s’établissent au Ve s. (en dernier lieu Pinar Gil 2010; Gourgoury 2013). La raison de cette exception aquitaine est très simple. Les Wisigoths, ou plutôt le ramassis de bandes armées itinérantes réunis sous ce nom, ont quitté le Danube et les Balkans vers 410, où ces fibules ne font pas encore partie de la mode prestigieuse (a propos de la datation des tombes privilégiées concernées et de leur chronologie sur le Danube, voir en dernier lieu Tejral 2011). Ainsi, ces Barbares, établis en Gaule au début du Ve s., y ont-ils amené des objets caractéristiques de la civilisation de Černjahov, tels que les peignes du type Thomas III ou les fibules en arbalète du type Almgren 162, ainsi que très probablement de petites fibules à tête semi-circulaire, réparties sur des sites différente et découvertes au hasard des fouilles (Kazanski 1993; 1999), mais pas les grandes fibules en tôle d'argent qui n'existaient pas encore avant 400 ou peu après. La diffusion postérieure de ces dernières dans le royaume wisigothique concerne alors la population op fc oo pr En Gaule du Nord les grandes fibules en tôle d'argent y sont très rares (Kazanski-Mastykova-Périn 2008: 152159) et n'ont pas de racines dans la tradition vestimentaire féminine locale, d'où notre conviction qu'elles sont liées à la présence de groupes étrangers d'origine germanique orientale. On peut proposer différents modes de diffusion de ces fibules en Gaule du Nord : la déportation des Wisigoths vaincus par Clovis en 507, comme le pense V. Bierbrauer (Bierbrauer 1997), ou bien, comme nous le pensons pour des raisons chronologiques, l'engagement de Germains orientaux dans l'armée romaine de Gaule durant la deuxième moitié du Ve s., pour faire face à l’avancée des Francs vers le sud (Kazanski-Périn 1997). La pratique du recrutement de Germains danubiens (Ostrogoths, Skires, Hérules, Ruges, Suèves, etc.) dans l'armée romaine d'Occident, sous Majorien, Anthemius, Jules Nepos ou Romulus Augustule est bien attestée par les sources écrites, et même si nous n'avons pas de témoignages directs de leur envoi, avec leurs familles, en Gaule de Nord, une telle hypothèse nous paraît cependant très plausible. Ajoutons que dans beaucoup de cas, et selon l’usage, ces troupes supplétives barbares étaient accompagnées par leur famille car la loi romaine interdisait les mariages entre Romains et Barbares. Evidemment, dans le cadre de l'armée romaine dont les Mérovingiens ont hérité, ces troupes supplétives barbares d’origines différentes formaient souvent des groupes hétérogènes. Cela explique, selon nous, le caractère hétéroclite des secteurs les plus anciens de certaines nécropoles mérovingiennes de la moitié nord de la Gaule où les tombes contiennent des parures féminines de différentes traditions vestimentaires : germanique orientale, anglo-saxonne, lombarde, danubienne etc. (Vallet 1993; Kazanski-Périn 2009: 161-163). 204 Archéologie Funéraire et Ethnicité communauté où on suivait les coutumes "orientales", telle la déformation crânienne, et finit ses jours au sein d’une communauté mérovingienne dont elle adopté le mode de port pour ses grandes fibules. sociétés traditionnelles vivantes et de l'archéologie pour les sociétés « mortes ». En ce qui concerne les armes mérovingiennes, pour mettre en doute les possibilités de leur identification ethnique, ou plutôt culturelle, GH se limite à un seul exemple, celui des haches de jet mérovingiennes, appelées parfois, surtout dans la littérature non archéologique, les francisques. Son excursus sur l'origine des haches de jet mérite d’être nuancé et complété, mais de toute façon il n'enlève rien à la coïncidence, de même que pour les angons, de leur répartition géographique avec la carte des premières conquêtes franques de la fin du Ve et début du VIe s. (Fig. 9:1) (Périn-Feffer 1997: 312). Si l'on ajoute le fait que la hache de jet est spécialement citée, de même que les angons (Fig. 9:2), par les auteurs de l'époque comme les armes franques (Sidoine Appolinaire, Carm.V, v. 238-253; Agathias, Hist. II.5,6, cf. Périn-Feffer 1997: 115, 341), il est clair que notre exemple contribue à établir le fait notoire que les différents peuples barbares de l’époque des Grandes Migrations disposaient d’armes différentes qui impliquaient des manières de combattre diversifiées 8. On peut ajouter que les haches et les angons ne sont pas les seuls exemples gaulois d’armes liées à un contexte culturel précis. Evoquons à titre indicatif les lances à ailerons des IVe-Ve s., dont la carte, publiée par H.-W. Böhme (Fig. 10) témoigne de façon éloquente de leur attribution romaine et non germanique (Böhme 1974: Abb. 40). Alamannen (1997): Die Alamannen, Stuttgart. Bibliographie. Ambroz (1966): Амброз, А. К. (1966) : Фибулы юга европейской части СССР (Свод археологических источников Д1-30), Москва. Bemmann J. – Voß, H.-U. (2007) : « Anmerkungen zur Körpergrabsitte in den Regionen zwischen Rhein und Oder vom 1. bis zur Mitte des 5. Jahrhunderts N. Chr. », in: Fasold, P. et alii (Hrsg.) : Körpergräber des 1. – 3. Jh. in der römischen Welt (Schriften des Archäologischen Museums Frankfurt/M. 21). Frankfurt a. M., 153–183. oo pr Bierbrauer, V. (1989): « Ostgermanische Oberschichtgräber der römischen Kaiserzeit und der frühen Mittelalters », in: Peregrinatio Gothica, Lodz, 39-106. - (1989a): « Bronzene Bügelfibeln des 5. 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D'autre part il faut être conscient que la notion même d'une ethnie, d’un peuple ou d’une tribu varie selon le temps, l'espace et le contexte historique. Il est également exact en quelque sorte, comme l’écrit justement GH, que l'ethnicité est un "état d'âme", c'est à dire la volonté d'un individu de s'identifier à un groupe humain. Mais un changement d'identité ethnique et donc culturelle est, à notre avis, un processus assez long et complexe. Il y a en effet encore une chose, que notre collègue britannique semble oublier, en l’occurrence le fait qu’aucun individu ne peut se défaire rapidement et volontairement du bagage culturel qu’il a reçu dès son enfance de la part de son entourage d'origine, telle sa façon de se comporter, de penser, de réagir, de manger, de dormir, de s'habiller, de faire la guerre etc. Tous ces traits culturels propres à un individu ou à un groupe humain laissent des traces matérielles, qui font l’objet de l'ethnologie pour les op fc Böhme, H. W. 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La diffusion des fibules de tradition germaniques en Gaule (D'après : Böhme 2009). 209 Michel Kazanski – Patrick Périn oo pr Fig. 5 Fig. 6 Le costume féminin du début de l'époque mérovingienne e tradition germanique occidentale (1) et germanique orientale (2) (D'après : Périn-Kazanski 2011) Le costume féminin d'Espagne wisigothique (D'après : Gourgoury 2013) y op fc Fig. 7. Les découvertes dans la nécropole de Pezens (Aude) (D'après: Cazes 2013). 210 Archéologie Funéraire et Ethnicité y op fc oo pr Fig. 8. La tombe 300 de la nécropole de Saint-Martin-de-Fontenay (D'après : Pilet 1994). 211 Michel Kazanski – Patrick Périn op fc oo pr Fig. 9. La diffusion des haches de jet (1) et des angons (2) en Gaule (D'après : Périn-Feffer 1997). y Fig. 10. La diffusion des lances à ailerons au Bas-Empire (D'après: Böhme 1974). 212