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47 ARCHÆOLOGIA MEDIÆVALIS Namur – Namen – Namür Archeologie van de Middeleeuwen en de Moderne Tijden in de drie Belgische gewesten en aangrenzende gebieden Archéologie du Moyen Âge et des Temps Modernes dans les trois régions belges et les pays limitrophes Mittelalterliche und Neuzeitliche Archäologie in den drei Belgischen Regionen und Nachbargebieten Chronique Kroniek Chronik 2024 47 ARCHÆOLOGIA MEDIÆVALIS Chronique Kroniek Chronik 2024 RÉDACTION / REDACTIE / REDAKTION M. Verbeek, A. Degraeve, B. Claes, St. Van Bellingen, F. Chantinne & Ph. Mignot (eds.) Archéologie du Moyen Âge et des Temps Modernes dans les trois régions belges et les pays limitrophes Archeologie van de Middeleeuwen en de Moderne Tijden in de drie Belgische gewesten en aangrenzende gebieden Mittelalterliche une Neuzeitliche Archäologie in den drei belgische region und Nachbargebieten 47e Colloque / Colloquium Namur – Namen – Namür Auditorium des Moulins de Beez 11-12/03/2024 Comité éditorial – Redactiecomité – Leitartikelausschuβ Luc Bauters (adviserend archeoloog), Maarten Berkers (Stadsarcheologie Gent), Frédéric Chantinne (SPW/AWaP), Britt Claes (KMKG), Ann Degraeve (urban.brussels), Koen De Groote (Onroerend Erfgoed), Stéphane Demeter (urban.brussels), Alexandra De Poorter (KMKG), Marie Christine Laleman (adviserend archeoloog), Lien Lombaert (Prov. Oost-Vlaanderen), Philippe Mignot (SPW/AWaP), Marie Verbeek (SPW/AWaP), Geert Vermeiren (Stadsarcheologie Gent) Comité organisateur / Organiserend Comité / Veranstaltungskomitee vzw Archaeologia Mediaevalis asbl Avec la collaboration de / Met de medewerking van / In Zusammenarbeit mit: Musées royaux d’Art et d’Histoire (MRAH)/ Koninklijke Musea voor Kunst en Geschiedenis (KMKG) Urban.brussels Service public de Wallonie, Agence wallonne du Patrimoine Stad Gent, Dienst Stadsarcheologie & Monumentenzorg Provinciebestuur Oost-Vlaanderen Vlaamse Overheid, Agentschap Onroerend Erfgoed Couverture / Omslag / Titelblatt Gent: Dronefoto van het opgravingsvlak aan de Drabstraat, site Designmuseum Gand : Photo par drone de la zone de fouilles sur la Drabstraat, site Designmuseum (Stad Gent, Dienst Stadsarcheologie en Monumentenzorg) Mise en Page / Layout / Seitenlayout : Véronique Lux A RC H A E O LO G I A M E D I A E VA L I S 47 Un fragment de verre bleu à décor de filets blancs opaques découvert au château de Moha (Lg.) | Inès Pactat1, Bernard Gratuze2 & Julien Adam3 | Contexte de découverte Avant de devenir l’une des douze résidences des princes-évêques de Liège au début du xiiie siècle, le château de Moha se trouvait sous l’autorité de la famille de Dasbourg, originaire d’Eguisheim. Cette dernière, puissante vassale de l’Empereur du Saint-Empire romain germanique, fut en effet propriétaire de l’alleu de Moha et de son château entre 1067 et 1225. Nos connaissances relativement limitées sur les phases dasbourgeoises de la forteresse ont conditionné la réalisation d’un sondage dans l’angle ouest de la cour haute en 2022, où des structures remontant potentiellement à cette période d’occupation avaient été repérées. Les fouilles ont permis de mettre au jour un mur orienté nord-ouest/sud-est, dont la tranchée de fondation a livré plusieurs fragments de céramique à pâte claire, en particulier un bord à lèvre déjetée de pot globulaire du xie siècle. La structure est contemporaine d’un niveau de sol en mortier de chaux, dont l’abandon est marqué par le dépôt d’une strate détritique d’une épaisseur de 10 à 15 cm. De celle-ci furent extraits plusieurs centaines de restes fauniques, quelques objets en fer et alliage cuivreux, mais aussi un abondant matériel céramique des xie et xiie siècles. Le terminus post quem de la strate détritique est donné par un fragment de gobelet de la période 6 de Pingsdorf produit entre le début et le milieu du xiie siècle mais aussi par des fragments de pichets mosans du deuxième quart du xiie siècle. La faible proportion de céramique d’Andenne à pâte orange tend, par ailleurs, à confirmer cette datation. Parmi les éléments découverts dans cette strate détritique se trouve également un fragment de verre bleu à décor de filets blancs opaques (fig. 1). Cet objet appartient à un large groupe de vaisselles en verre 1 2 3 4 Fig. 1 Fragment de verre bleu à décor de filets blancs opaques découvert au château de Moha (photo J. Adam, Les Amis du Château Féodal de Moha) majoritairement attribuées aux xe-xiie siècles et dont l’exemplaire le plus remarquable est un vase-reliquaire retrouvé dans l’abbaye Saint-Savin (France). Le fragment de Moha a été analysé par spectrométrie de masse couplée à un plasma inductif avec prélèvement par ablation laser (LA-ICP-MS) à L’IRAMAT-CEB (UMR 7065, CNRS/Université d’Orléans). L’instrumentation utilisée est composée d’un spectromètre de masse Element XR de Thermo Fisher Scientific couplé à une microsonde d’ablation laser Resolution M50E de Resonetics, équipée d’un laser ArF travaillant à 193 nm. Le protocole d’analyse employé est identique à celui utilisé pour les verres de Vetricella4. Résultats obtenus Les résultats obtenus montrent que les verres, bleu foncé et blanc opaque, sont des verres calcosodiques au natron. Cette famille de verres a été produite au Proche-Orient entre le début du premier millénaire avant notre ère et le ixe siècle de notre ère et sera remplacée à partir de la fin du viiie siècle de notre ère par les verres calco-sodiques et calco-potassiques aux cendres. Le verre bleu de la panse du récipient du château de Moha est coloré par l’oxyde de cobalt et le verre blanc employé pour LabEx SMS, TRACES-TERRAE (UMR 5608), CNRS/Université de Toulouse. LabEx SMS, TRACES-TERRAE (UMR 5608), CNRS/Université de Toulouse ; IRAMAT-CEB (UMR 7065), CNRSUniversité d’Orléans. Les Amis du château féodal de Moha ASBL. Gratuze 2020, p. 77-88. 137 Fig. 2 Teneurs en magnésie et potasse (à gauche) et en oxydes de manganèse et d’antimoine (à droite) des verres de bleu et blanc opaque du tesson de Moha comparées à celles des autres verres bleus et blancs de type Saint-Savin analysés à l’IRAMAT. les filets du décor est coloré et opacifié par ajout d’antimoniate de calcium. On notera que le verre bleu contient une forte proportion d’antimoine (1,5 %) et est caractérisé par un rapport corrigé CoO/NiO supérieur à 12 tandis que le verre blanc est caractérisé par une teneur relativement élevée en magnésie (MgO, 1,3 %) Ces teneurs élevées en magnésie sont fréquemment rencontrées au sein des verres blancs antiques opacifiés à l’antimoniate de calcium. Ces caractéristiques chimiques tendent à indiquer que ces deux verres ont probablement été fabriqués entre le début de notre ère et la fin de l’Antiquité. Cette composition est conforme à celle de l’ensemble des verres dits de type Saint-Savin qui présentent une panse en verre bleu cobalt et un décor de filets et pastilles en verre blanc5. Cependant, sur la base de ses caractéristiques typologiques et chimiques, un ensemble plus vaste peut être constitué, regroupant des gobelets, des flacons et des lampes avec une panse en verre bleu turquoise (colorée par le cuivre) décorée de filets de verre opaque blanc, une panse en verre bleu cobalt décorée de filets de verre opaque blanc et jaune (antimoniate de plomb), une panse en verre opaque blanc décorée de filets en verre pourpre (manganèse) ou bleu cobalt et une panse en verre pourpre (manganèse) décorée de filets en verre opaque blanc6. Toutes ces productions présentent la caractéristique d’avoir été fabriquées à partir du recyclage de 5 6 7 8 138 verres et de tesselles colorés datant de l’Antiquité (bleu foncé, bleu turquoise, violet, vert, blanc et jaune opaques), comme le décrit Théophile dans son traité De diversis artibus7. Le verre de Moha s’inscrit donc au sein d’un large ensemble de verres décorés, certainement produits en Europe entre les xe et xiie siècles. L’étendue de l’aire de répartition des découvertes, de l’Irlande à l’Italie et de la Norvège au sud de la France, ne laisse pas deviner un lieu de production spécifique. Il est d’ailleurs possible que plusieurs ateliers soient à l’origine de ces verres colorés car de petites variantes techniques ou stylistiques sont perceptibles : par exemple un décor optique soufflé dans un moule à Vetricella (Italie) ou un filet jaune opaque à Nevers (France). Concernant les contextes de découverte, il s’agit en grande majorité de lieux fréquentés par une élite religieuse ou laïque. Ces verres colorés appartiennent donc vraisemblablement à une production de luxe dont le procédé de fabrication pourrait lui conférer une certaine valeur. Ces objets contrastent en effet avec d’autres pièces en verre contemporaines, mises en forme dans un matériau à base de cendres de plantes et généralement de teinte naturelle. Le recyclage de verres antiques a également été employé pour la fabrication de vitraux bleu foncé jusqu’à la fin du xiie siècle et la découverte d’un nouveau minerai de cobalt8, ainsi que dans l’art des émaux médiévaux. & Gratuze 2011, p. 69-73 ; Gratuze 2020, p. 77-88 ; pactat & Gratuze à paraître. & Gratuze à paraître. dodweLL 1961, p. 44-45. bideGaray & poLLard 2018, p. 784-796. simon-hiernard pactat A RC H A E O LO G I A M E D I A E VA L I S 47 Verre Na2O MgO Al2O3 SiO2 P2O5 Cl K 2O CaO TiO2 MnO Fe2O3 CoO CuO Sb2O3 PbO Bleu 16,2 0,69 2,66 67,4 0,13 0,83 0,77 6,93 0,10 0,59 1,12 0,05 0,34 1,46 0,46 Blanc 16,1 1,30 2,24 66,4 0,076 0,72 0,56 6,73 0,072 0,20 0,52 0,0008 0,027 4,64 0,17 Verre Li B V Cr Ni Zn Ga As Rb Sr Y Zr In Sn Nb Bleu 5,95 164 18,7 17,3 40,1 96,5 4,58 43,3 15,6 427 6,83 57,4 1,88 0,11 261 Blanc 2,71 178 10,9 12,4 5,91 60,1 2,98 85,1 11,5 407 5,94 46,3 1,53 - 41,6 Verre Cs Ba La Ce Pr Nd Sm Eu Gd Tb Dy Ho Er Tm Yb Bleu 0,38 250 7,66 13,1 1,62 6,76 1,35 0,35 1,17 0,19 1,15 0,23 0,64 0,09 0,66 Blanc 0,22 178 6,56 11,0 1,37 5,68 1,13 0,29 1,02 0,16 0,97 0,20 0,58 0,08 0,56 Verre Lu Hf Ta Bi Th U Bleu 0,30 1,42 0,12 0,46 1,51 1,09 Blanc 0,08 1,11 0,09 0,38 1,19 1,05 TABLEAU 1 : Compositions moyennes des verres bleus et blancs opaques du fragwment de verre du Château de Moha. Teneurs mesurées par LA-ICP-MS et exprimées en % massique d’oxydes pour les principaux constituants (Na 2O à PbO) et en parties par million (ppm) pour les éléments mineurs et traces (Li à U) Bibliographie Study, in : Bianchi G., Hodges R., The nEU-Med project : Vetricell, an Early Medieval royal property on Tuscany’s Mediterranean, 28, All’Insegna del Giglio, p. 77-88 (Biblioteca di Archeologia Mediavale). Pactat I. & Gratuze B., 2022, The bowl glass sherds of Saint-Savin type discovered at Haithabu : analytical study. In Hilberg V. (ed.), Haithabu 983-1066. Der Untergang eines dänischen Handelszentrums in der späten Wikingerzeit. Band 1 : Text, Dr. Friedrich Pfeil, Die Ausgrabungen in Haithabu, p. 457-468 Pactat I. & Gratuze B., à paraître, De Théophile à l’archéométrie : le recyclage de verres antiques aux xe-xiie siècles en Europe occidentale, Techne, 57, à paraître en 2024. Simon-Hiernard D. & Gratuze B., 2011, Le vase de Saint-Savin en Poitou et les verres médiévaux bleu-cobalt à décors blancs, in : Bulletin de l’Association Française pour l’Archéologie du Verre, p. 69-73. Adam J., 2023, Résultats des opérations archéologiques menées au château de Moha à Wanze (Lg.), in : Archaeologia Mediaevalis, 46, Bruxelles, p. 8-11. Bidegaray A.-I. & Pollard A. M., 2018, Tesserae recycling in the production of medieval blue window glass, in : Archaeometry, 60/4, p. 784-796. Dodwell C.R., 1961, Translation and edition of Theophilus De Diversis Artibus, Book II, XII, “The various colours of opaque glass”, New York : Thomas Nelson and Sons, Ltd., p. 44-45. Foy D., Gratuze B., Heijmans M. & Roussel-Ode J., 2017, Bleus et blancs : Verres de la fin de l’époque carolingienne en Provence, in : Journal Of Glass Studies, Vol. 59, p. 153-169. Gratuze B., 2020, The blue and bluish green glass sherds, decorated with opaque white glass strands, discovered at Vetricella (Scarlino, Grosseto) : Analytical • 139