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Consommer dans les campagnes de la Gaule romaine Actes du Xe congrès de l’Association AGER Sous la diretion de Xavier Deru et Ricardo González Villaescusa Le concept de « consommation » est vague et suspect. Vague, il l’est tout d’abord dans la classification dichotomique des sites par beaucoup d’archéologues qui distinguent « sites de production » d’une part, et d’autre part, « sites de consommation », c’est-à-dire tout le reste : aussi bien les sites d’habitat ruraux, des agglomérations, des sanctuaires ou des nécropoles. Ensuite, « société de consommation », « consumérisme » sont souvent employés dans un sens péjoratif. La consommation étant perçue soit comme une bouillie culturelle lorsqu’elle est de masse, soit comme un moyen d’exclusion, de distinction quand elle est aux mains des élites. S’il est vrai que notre « société de consommation » n’est pas comparable aux sociétés de l’Antiquité, une réflexion sur « la » société de consommation peut nous aider à comprendre la « consommation », donc la production depuis un autre point de vue, certes, moins habituel, de l’Antiquité. Sommaire Préface Michel Reddé Discussion préalable autour du concept de consommation. Xavier Deru, Ricardo González Villaescusa 13 L’essor des blés nus en France septentrionale : systèmes de culture et commerce céréalier autour de la conquête césarienne et dans les siècles qui suivent. Mouture de subsistance, d’appoint et artisanat alimentaire de rendement. Les meules gallo-romaines entre villes et campagnes dans le nord de la Gaule. Véronique Zech-Matterne, Julian Wiethold et Bénédicte Pradat avec la coll. de Françoise Toulemonde 23 Paul Picavet 51 Le matériel de mouture des habitats du Pôle d’activités du Griffon, à Barenton-Bugny et Laon (Aisne). Alexandre Audebert, Vincent Le Quellec 67 Boris Robin 85 Benoît Clavel et Sébastien Lepetz 93 9 Se nourrir Les meules rotatives en territoire carnute : provenances et consommation. La consommation des poissons en France du nord à la période romaine. Marqueur socio-culturel et artefacts taphonomiques. Coquillages des villes et coquillages des champs : une enquête en cours. La consommation des ressources animales en milieu rural : quels indices pour quelle caractérisation de cet espace socio-économique ? Anne Bardot-Cambot 109 Tarek Oueslati 121 Caractérisation de la consommation d’origine animale et végétale dans une exploitation agropastorale du début de l’Antiquité à Vitry-en-Artois (Pas-de-Calais). La diversité morphologique du porc en tant qu’indicateur des mécanismes de gestion de l’élevage porcin et de l’approvisionnement des villes romaines. Apport de l’analyse du contour des troisièmes molaires inférieures du porc. Une économie de marché entre la ville de Tongres et son arrière-pays ? Les exemples de la gestion des ressources animales et de l’approvisionnement en céramique. De la viande et des pots dans la proche campagne d’Avaricum (Bourges-Cher) : exemple de la villa de Lazenay et mise en perspective. La céramique des quatre habitats du IIIe siècle du « Pôle d’activité du Griffon » à Barenton-Bugny et Laon (Aisne). La consommation alimentaire d’après la céramique en Champagne : comparaisons raisonnées entre la capitale des Rèmes et son territoire. La consommation de denrées méditerranéennes dans les milieux ruraux de la Cité des Tongres : le témoignage des amphores. Sophie Lefebvre, Emmanuelle Bonnaire, Samuel Lacroix et Oscar Reverter-Gil 129 Tarek Oueslati, Catherine Cronier Fabienne Pigière et Annick Lepot David Germinet, Emmanuel Marot, Marilyne Salin 151 155 171 Amélie Corsiez 181 Anne Delor-Ahü, Pierre Mathelart 193 Noémie Nicolas 219 La circulation des terres cuites architecturales dans le sud-est de l’Entre-Sambre-et-Meuse et zones contiguës, d’après la répartition des estampilles. Laurent Luppens et Pierre Cattelain 227 Diffusion des tuiles dans le nord de la Gaule : le cas de la région d’Orchies (Nord). Guillaume Lebrun, Gilles Fronteau 249 La monétarisation des grands domaines ruraux de Gaule septentrionale : une problématique nouvelle. Jean-Marc Doyen 267 La circulation monétaire dans les campagnes du Languedoc à l’époque gallo-romaine : une première approche. Marie-Laure Berdeaux-Le Brazidec 277 Apports de l’ACR Céramiques de cuisine d’époque romaine en région Rhône-Alpes et Sud-Bourgogne à la question des faciès céramiques urbains et ruraux : bilan, limites et perspectives. Guillaume Varennes, Cécile Batigne-Vallet, Christine Bonnet, François Dumoulin, Karine Giry, Colette Laroche, Odile Leblanc, Guillaume Maza, Tony Silvino et l’ensemble des collaborateurs de l’ACR Céramiques de cuisine d’époque romaine en région Rhône-Alpes et Sud-Bourgogne 291 Se loger Échanger Consommer à l’échelle du site et de la région Produire et consommer dans l’arrière-pays colonial de Lugdunum et de Vienne : étude de cas. Matthieu Poux avec la coll. de Benjamin Clément, Thierry Argant, Fanny Blanc, Laurent Bouby, Aline Colombier, Thibaut Debize, Arnaud Galliegue, Amaury Gilles, Lucas Guillaud, Cindy Lemaistre, Marjorie Leperlier, Gaëlle Morillon, Margaux Tillier, Yves-Marie Toutin Aurélie Tripier 323 La Vulkaneifel occidentale comme lieu de consommation et de production du Ier au IVe siècle. Peter Henrich 357 Résumés (français, anglais). 365 PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIÈRE-PAYS COLONIAL DE LUGDUNUM ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 1 MATTHIEU POUX* avec la coll. de BENJAMIN CLÉMENT, THIERRY ARGANT, FANNY BLANC, LAURENT BOUBY, ALINE COLOMBIER, THIBAUT DEBIZE, ARNAUD GALLIEGUE, AMAURY GILLES, LUCAS GUILLAUD, CINDY LEMAISTRE, MARJORIE LEPERLIER, GAËLLE MORILLON, MARGAUX TILLIER, YVES-MARIE TOUTIN, AURÉLIE TRIPIER Produire et consommer dans l’arrière-pays colonial de Lugdunum et de Vienne : étude de cas INTRODUCTION La relation d’interdépendance qui unit une colonie à son territoire en matière d’approvisionnements vivriers, d’échanges de services, de circulation des biens et des personnes, correspond à une situation fréquemment observée en Italie, en Espagne et en Narbonnaise. Ce n’est pas le cas dans les Trois Gaules, où le processus de colonisation est beaucoup plus limité, voire inexistant au-delà de la moyenne vallée du Rhône. Sur le territoire français, une telle approche ne peut guère s’appliquer qu’à l’environnement des colonies de Vienna et Lugdunum, dont l’économie et les productions de biens manufacturés ont déjà fait l’objet de nombreuses études spécialisées : qu’il s’agisse de la vaisselle céramique, des lampes, de la verrerie, des matériaux de construction ou des décors ou de la métallurgie, la découverte d’ateliers, corrélée à l’analyse statistique des dépotoirs d’entrepôts et d’habitat, permettent de faire la part respective de productions locales et d’importations qui circulaient en milieu urbain1. effectuées en 2004 sur le site portuaire du Parking Saint-Georges2. Cette dimension a longtemps occulté leur vocation de centre économique au niveau régional, rarement prise en compte dans les études existantes. Particulièrement emblématique est le dossier des amphores dites « lyonnaises », dont la forme est imitée de modèles de conteneurs à vin ou à poisson connus dans la péninsule italique ou ibérique. Il est admis, malgré l’absence de découverte d’atelier, qu’elles ont été produites à Lyon-même sur les berges de la Saône et l’on a longtemps supposé, faute d’une production locale qui n’avait jamais été attestée par les fouilles, qu’elles étaient exclusivement dédiées au reconditionnement de denrées importées en vrac3. Cette hypothèse, qui reste valide pour les saumures et les sauces de poisson, est battue en brèche par la mise en évidence de vignobles et d’exploitations vinicoles sur différents sites de la région lyonnaise4. Ces travaux ont une portée plus universelle dans l’histoire de l’économie antique. Le rôle des grands horrea de Vienne dans les circuits de l’annone est postulé depuis longtemps, tout comme celui de plaque tournante dévolu à Lyon dans l’acheminement et la redistribution de denrées et de marchandises en direction du limes et à l’échelle de tout l’Empire, confirmé, s’il était besoin, par les découvertes Le vin ne représente qu’une facette du corpus de données élaboré au cours des dernières décennies dans la plaine de Vaise ou sur le Plateau lyonnais, qui invitent à reconsidérer l’économie de Lugdunum dans la perspective de son arrière-pays colonial. Indépendamment de la question de l’annone, les grands horrea de Vienne ont d’abord vocation à concentrer et à stocker des productions céréalières provenant de toute la cité. Leur capacité, inégalée à l’échelle de l’Occident romain, donne la mesure des *. — Matthieu POUX, professeur, Université Lumière Lyon 2, UMR 5138, MSH-MOM. 1. — Pour un aperçu synthétique des sites de production fouillés à Lyon et Saint-Romain-en-Gal, voir en dernier lieu : DESBAT A., « Artisanat et commerce à Lugdunum », dans LE MER, CHOMER, 2007, p. 214-222 (avec bibliographie antérieure) ; LEBLANC O. dans FAUREBRAC 2006, p. 432 sqq. (avec bibliographie antérieure). 2. — AYALA 2013. 3. — DESBAT, DANGRÉAUX 1997. 4. — POUX et al., 2011. REVUE DU NORD - N° 21 HORS SÉRIE COLLECTION ART ET ARCHÉOLOGIE - 2013, P. 000-000 2 MATTHIEU POUx et AL. Ludna Anse Chessy Miolan Châtillon Aqueduc des Mont d'Or La Boisse Beynost Lentilly St-Cyr Villette-d'Anthon Vaise Ecully Leyrieu COLONIA LUGDUNUM Tassin Decines Meyzieu St-Romainde-Jalionas Genas Vaugneray Siccieu Crémieu Aqueduc de l'Yzeron Bourbre Panossas Aqueduc de la Brevenne Corbas Veyssilieu Frontonas Feyzin St-QuentinFallavier Ozon Solaize St-Laurent-d'Agny / Goiffieux Marennes Serezin Le Gâ Roche Communay Bourgoin-Jallieu Ternay Aqueduc du Gier Agglomérations Villae et établissements ruraux COLONIA VIENNA aqueducs N 0 5 km Voies principales Limites supposées du territoire colonial FIG. 1. — Périmètre supposé du territoire de Lyon et localisation de la villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny. circuits d’approvisionnement mis en place à l’échelle locale, dont on ignore presque tout. La mise en évidence d’entrepôts de grande capacité en marge de la villa de Saint-Romain-de-Jalionas5, ainsi que, peutêtre, sur le site de Panossas en Isère6, nous ramène à une réalité souvent reléguée au rang de la vulgate historique : en Gaule tempérée comme ailleurs, la déduction de colonies découle moins d’opportunités politiques ou d’impératifs stratégiques que d’un programme planifié d’exploitation et de commercialisation à grande échelle des ressources locales. Les conditions d’une étude synthétique portant sur les modalités de consommation des denrées et marchandises en région lyonnaise ne sont malheureusement pas réunies. L’état d’avancement des recherches portant sur l’environnement rural des colonies de Vienne et de Lyon est encore embryonnaire7. Hormis le vin, on ne peut guère mentionner que quelques 5. — ROyET et al. 2006 6. — POUx, bORLENGHI et al. 2012. 7. — Programme de recherche porté par l’UMR 5138 Archéologie et Archéométrie, consacré aux relations ville campagne et à la romanisation des élites dans la région de Lyon et Vienne (ELCOL). 8. — bATIGNE-VALLET 2012. études thématiques, consacrées à la circulation des céramiques communes8 ou à la verrerie9. Leur portée est limitée par le nombre restreint de grands établissements ruraux fouillés et documentés de manière exhaustive. À l’exception notable des villae de Saint-Romain-de-Jalionas10 et de beynost11, les données recueillies sont soit trop anciennes (La Grange du bief à Anse, le Gâ à l’Isle-d’Abeau), soit encore inédites (Fleurieux sur l’Arbresle)12. Une prise en compte de la multitude de sites ruraux mis au jour par l’archéologie préventive est d’un faible recours : leur fouille est souvent partielle et leurs sols, généralement très arasés, livrent peu d’aménagements et de mobiliers susceptibles d’entraîner une analyse fonctionnelle ou économique. La cartographie des sites répertoriés dans la région (fig. 1) renvoie à des réalités archéologiques très différentes. Inégal et lacunaire, ce corpus en trompe-l’œil ne prête pas à 9. — COLOMbIER en prép. 10. — ROyET et al. 2006. 11. — MOTTE, VICHERD 2008. 12. — Un aperçu exhaustif des découvertes régionales dans FAUREbRAC 2006 (Rhône), bERTRANDy, bLEU, JOSPIN, ROyET 2011 (Isère). PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE comparaisons statistiques, ni à une approche multicritère, similaire à celle adoptée en Gaule méridionale. Faute de mieux, le problème de la consommation de denrées, de biens manufacturés et de services en région lyonnaise peut être abordé à travers l’étude monographique d’un seul gisement : celui de Goiffieux, à Saint-Laurent-d’Agny (Rhône), dont les équipements et les mobiliers particulièrement riches et bien conservés ont été documentés de façon à peu près exhaustive. Au-delà de son état de conservation exceptionnel, cette villa mise au jour entre 2008 et 201113 se distingue par son statut particulièrement élevé : l’étendue des bâtiments, supérieure à deux hectares, la qualité de leur architecture et de leurs décors (péristyle, bains privés, peintures, mosaïques), ainsi que la diversité des productions mises en évidence dans leur environnement proche, sont sans équivalent à l’échelle régionale, à l’exception des complexes palatiaux de La Grange du bief à Anse ou du Vernai à Saint-Romain-de-Jalionas. La villa de Goiffieux n’est assurément pas représentative de l’ensemble des établissements ruraux de statut médian ou inférieur recensés sur le territoire, caractérisés par un moindre investissement architectural, un appareil productif plus modeste et des contacts plus limités avec l’extérieur. Mais elle réunit, de par sa richesse, toute la palette des marqueurs de consommation pris en compte dans ce volume et offre, par conséquent, un bon aperçu des circuits de production et d’échange qui se sont mis en place dans les campagnes lyonnaises au début de l’époque romaine. 1. L’exempLe de La VILLA de GoIffIeux à SaInt-Laurent-d’aGny La villa de Goiffieux se démarque, en premier lieu, par sa situation privilégiée du point de vue de l’exploitation des ressources agricoles et des voies de communication. Installée au pied des Monts du Lyonnais, en bordure orientale des contreforts du Massif central, elle est orientée en direction des colonies de Lugdunum et de Vienna, dont elle n’est éloignée que d’une vingtaine de kilomètres. Prolongement occidental de l’implantation coloniale établie sur l’éperon de Fourvière, le Plateau lyonnais offre un paysage vallonné qui bénéficie d’un climat relativement tempéré, propice à la polyculture (céréales, fruits et vigne). Ces qualités lui valent d’être considéré aujourd’hui encore comme le « verger de 13. — POUx et al. 2008-2011 ; POUx et al. 2010, 2011 ; POUx, SILVINO, à paraître. : ÉTUDE DE CAS 3 Lyon », dédié à l’approvisionnement quotidien des marchés urbains. La position de la villa, située à quelque centaines de mètres du tracé de l’aqueduc du Gier, à courte distance du Rhône, à moins de deux kilomètres d’un réseau de voies secondaires qui reliait Lugdunum et Vienne à Feurs14, offrait des facilités pour le transport en gros des marchandises. L’environnement archéologique de la villa est bien documenté par les travaux consacrés par P. bernard aux occupations antiques du Plateau lyonnais15. La carte des entités d’époque romaine recensées dans ce secteur au fil des prospections et des diagnostics montre qu’elle s’inscrit dans un territoire occupé par un réseau très dense d’établissements ruraux d’importance variable. Le site de Goiffieux se distingue nettement de la plupart d’entre eux en termes de richesse et de longévité (fig. 2). Occupé en continu sur près d’un millénaire, entre la fin du IIe s. av. J.-C. et le Moyen Âge (xe s.), il se démarque, tous états confondus, par l’ampleur de ses aménagements architecturaux comme par l’abondance des mobiliers retrouvés. L’analyse se focalisera plus précisément sur la période julio-claudienne au sens large, de la fin de l’époque gauloise au début de l’époque flavienne (états 2 et 3). Les premières occupations de la fin de l’époque gauloise (état 1, La Tène D1b-D2a) sont matérialisées par un réseau de fossés associés à des constructions sur poteaux plantés à vocation domestique et agricole, caractéristiques d’un vaste établissement rural de type « ferme indigène » (fig. 3). La présence de nombreuses amphores vinaires et de céramiques à vernis noir importées d’Italie participent d’une première phase de « consommation » de biens importés qui est antérieure à la conquête romaine ; ils sont associés à des céramiques de cuisson et de table d’origine locale, qui illustrent la transformation sur place de denrées alimentaires produites dans l’environnement proche de l’enclos. La première villa d’époque romaine, implantée dès les années 40-30 avant notre ère (état 2a, fig. 4), s’organise autour d’une grande cour encadrée sur trois côtés par des bâtiments en matériaux périssables, dont le plan lacunaire a été reconnu sur près d’un hectare. L’aile sud est occupée par des bâtiments à caractère résidentiel, les deux autres ailes par des constructions légères abritant des foyers artisanaux et des espaces fonctionnels (pars rustica, i.e. agraria et vinaria) comprenant les vestiges d’un pressoir à vin à armature de bois aménagé dès l’époque augustéenne. Au nord14. — FAURE-bRAC 2006, p. 78-79. 15. — bERNARD 2009. 4 MATTHIEU POUx et AL. TALUYERS GOIFFIEUX BAS-GERMANY MONTAGNY GERMANY BELLE-AIGUE LES BARROTIERES LA GRIOTTE CHAVANEL LES MORTIERES SAINT-MARTIN-DE-CORNAS LES GRANGES LE MARLOREL Site 1er s. av. Haut-Empire Bas-Empire A A TARTARAS A B C B C B C Limite de commune Voie romaine (tracé supposé) Tracé d'aqueduc FIG. 2. — environnement archéologique de la villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny. P. bernard, mémoire inédit. est de cet ensemble s’étend une zone de cultures matérialisée par un réseau très dense de fosses et de tranchées de plantation. Un vignoble sur pergola de type vitis compluviata16, associé à d’autres fosses de plantation oblongues ou circulaires de nature indéterminée, suggèrent l’existence de pratiques culturales diversifiées, viticoles, céréalières, maraîchères et fruitières, dédiées à la commercialisation et/ou à l’alimentation des occupants du domaine. Le faciès de consommation de la villa ne se distingue guère de celui de l’état précédent, sinon par la mise en œuvre d’une production vinicole à relativement grande échelle si l’on en juge par la taille du pressoir. Le mode de construction des bâtiments, identique à celui qui caractérise les premiers quartiers d’habitations de la colonie de Lugdunum, traduit quant à lui une forte influence des modèles urbains17. Hormis les amphores et la vaisselle fine importées 16. — POUx et al. 2011. 17. — DESbAT 2005, p. 105 sq. PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE 783100 783200 : ÉTUDE DE CAS 5 783300 St-Laurent-d’ Agny Villa de “ Goiffieux” Plan général (état 2011) 73300 73300 50 m foyer habitat accès habitat 73200 73200 fossé de drainage ? dépendances agricoles ? 73100 73100 enclos périphérique 783100 783200 FIG. 3. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, état 1. 783300 6 MATTHIEU POUx et AL. 783100 783200 783300 St-Laurent-d’ Agny Villa de “ Goiffieux” Plan général (état 2011) 73300 73300 50 m jardin / vignoble puits pressoir cour pars rustica 73200 73200 pars vinaria puits 73100 73100 pars urbana 783100 783200 FIG. 4. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, état 2 (30/40 av. J.-C.-15/20 ap. J.-C.). 783300 PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE d’Italie, plusieurs deniers de la République frappés dans le contexte de la bataille d’Actium, d’une figurine-plaquette d’origine syrio-égyptienne et d’un fond d’amphorisque hellénistique en pâte de verre sur noyau d’argile, sont les seuls témoins d’échanges à longue distance18. Cette première villa fait place au milieu du règne d’Auguste à une construction plus confortable, fondée sur des solins maçonnés et dotée de sols en terrazzo. Cette phase de réfection préfigure le caractère palatial de la villa du Ier s., qui marque incontestablement une rupture dans l’appréhension du statut du site et de ses occupants : de simple domaine de rendement, la villa se mue en un vaste complexe résidentiel (fig. 5), pourvu de tous les aménagements de confort et d’ostentation connus en milieu urbain (péristyle, bains privés, bassins d’agrément, cuisine). De ce point de vue et de par sa richesse documentaire, ce dernier état se prête mieux que tout autre à une étude des usages de consommation en vigueur dans les campagnes lyonnaises au début du Haut-Empire. Comme tous les grands domaines ruraux d’époque romaine, la villa de Goiffieux est partie prenante d’un circuit économique bidirectionnel (fig. 6) : à l’existence d’un appareil de production dédié à l’exploitation des ressources locales (vin, céréales, fourrage, viande, lait) et à leur exportation sur les marchés urbains, répond classiquement celle de biens et de services importés de l’extérieur, à courte, moyenne et longue distance (autres denrées, matériaux de construction et de décor, vaisselle, mobilier, instrumentum). La balance des importations et des exportations est d’autant plus difficile à quantifier qu’elle repose principalement sur une approche positiviste privilégiant ce qui est conservé au détriment des biens périssables. La part prépondérante accordée aux pratiques alimentaires, aux biens de consommation courant et à leurs vestiges « fossiles » (céramique, métal, tabletterie), tend à occulter celle des « services » immatériels. L’intervention d’ouvriers ou d’artisans spécialisés, le recours à des savoir-faire, à des modèles culturels ou ornementaux empruntés à l’extérieur, constituent autant de facettes d’une autre forme de consommation plus difficile à appréhender à travers les fouilles. 18. — POUx et al. 2010. 19. — Les Monts du Lyonnais sont constitués de roches métamorphiques appartenant au socle cristallin du Massif central. La villa est implantée sur un substrat d’anatexites à biotite et à deux micas (cou- : ÉTUDE DE CAS 7 2. conStructIon et décorS : La marque deS ateLIerS urbaInS La construction d’un domaine constitue le tout premier acte de « consommation » imputable à ses occupants après l’acquisition des terrains. Elle fait appel à des compétences architecturales, à des ateliers, à des techniques de décor et à des matériaux en grande partie exogènes, qui représentent un investissement financier considérable ou un amortissement sur le long terme. 2.1. De la terre à la pierre : diversification des ressources Comme indiqué plus haut, les matériaux et les techniques mis en œuvre pour la construction de la première villa d’époque triumvirale (état 2a, 40-30 av. J.-C.) sont relativement sommaires : ses élévations en terre crue et ses sols en terre battue ne diffèrent pas, en apparence, de ceux de la ferme gauloise sous-jacente. L’argile utilisée est probablement d’origine locale, tout comme les blocs de gneiss utilisés pour les solins – la forte teneur en paillettes de mica qui caractérise ces deux matériaux trahit une origine géologique commune19. Il en est sans doute de même pour les bois de construction, qui ont pu être prélevés sur les contreforts boisés des Monts du Lyonnais. Si leurs essences n’ont pu être déterminées, on sait qu’une partie d’entre eux ont été récupérés après démantèlement de la ferme d’époque gauloise : la datation dendro-chronologique d’une planche en chêne utilisée pour le cuvelage d’un puits aménagé dans les années 40-30 av. J.-C a montré qu’elle provenait d’un arbre abattu au plus tard dans le dernier tiers du IIe s. av. J.-C.20. La mise en œuvre de ces matériaux ne requiert en principe aucune intervention extérieure puisqu’elle relève, dans la région comme ailleurs, d’une tradition architecturale indigène qui est bien antérieure à la période romaine21. Ce mode de construction s’en démarque pourtant par plusieurs aspects : l’organisation des bâtiments, qui s’inspire dès l’origine des plans de villae italiques à cour centrale, la présence de portiques de façade, leurs fondations sur solins en pierre non liée au mortier et surtout, la mise en œuvre de cloisons de brique d’adobe en lieu et place du torchis, sont autant d’apports exogènes qui induisent une nette rupture au ramment appelée gneiss à deux micas) qui présente une structure feuilletée alternant lits clairs (feldspath) et sombres (mica). 20. — POUx et al. 2008-2011, rapport 2011. 21. — De KLIJN et al. 1996. 8 MATTHIEU POUx et AL. Etat 3 (Auguste-Néron) jardins / vignoble pars rustica ? fossé cuisine pars urbana latrine moulin ? aqueduc ? balnéaire pressoir triclinium pars vinaria péristyle natatio bassin enclos FIG. 5. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, état 3 (15/20-60/70 ap. J.-C.). PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 9 Ressources locales Architecture et décors • matériaux de construction (terre, bois, pierre, marbre, TCA) • mosaïques • peintures murales • adduction et aménagements hydrauliques • plomberie Interventions extérieures : • fournisseurs en matériaux • artisans spécialisés • transferts de technologie • modèles ornementaux Ressources locales Pratiques alimentaires • installations culinaires (foyers, culinae) • alimentation carnée (faune) • alimentation végétale (carporestes) • céramiques culinaires et vaisselle de table • amphores et autres récipients de transport Appareil de production • productions céréalières • élevage • production vinicole (vignoble, pressors •production fruticole • fourrage • petit artisanat (métallurgie, textile...) Importation de marchandises à • courte distance (colonie et territoire colonial) • moyenne distance (Civitas Segusiavorum/Lugdunensis) • longue distance (autres provinces) Exportation des productions locales à • courte distance (colonie et territoire colonial) • moyenne distance (Civitas Segusiavorum/Lugdunensis) • longue distance (autres provinces) Consommation locale FIG. 6. — Schéma théorique illustrant les principaux flux de production et d’échange attestés à l’échelle de la villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny. Quelle que soit l’origine, indigène ou coloniale, des premiers propriétaires de la villa, ils ont probablement eu recours aux mêmes corps de métier, rompus à l’exploitation des ressources locales au sens large. Les tegulae et imbrices utilisées pour la couverture des bâtiments (fig. 7) figurent assurément parmi les matériaux importés, aucun four de tuilier n’ayant été reconnu dans le périmètre immédiat de la villa23. Il en va peut-être de même pour les pierres des solins, puisque aucune carrière antique n’est signalée dans le secteur, tandis que des sites d’extraction de gneiss et de granit sont bien attestés à Lyon dès le début du Ier s. ap. J.-C. (fig. 8)24. (état 2b, 10 av.-15 ap. J.-C.). Désormais dotée de sols et de solins maçonnés, l’aile résidentielle gagne en confort et en technicité architecturale. Elle continue de faire appel majoritairement à des matériaux d’origine régionale, comme le gneiss utilisé pour l’ensemble des maçonneries, extrait dans un secteur plus ou moins proche du Plateau lyonnais. Le mortier, probablement gâché sur place à en juger par les niveaux de travail mis en évidence pour les états postérieurs, est formé d’un granulat de sables et graviers morainiques d’origine locale. Il est lié par une chaux de qualité, issue d’un calcaire pur. Ce matériau, qui ne se retrouve pas dans l’environnement proche de la villa, a sans doute été prélevé dans les monts d’Or ou plus probablement, en basse ou en haute vallée du Rhône, avant d’être acheminé sur le chantier sous la forme de blocs de chaux vive25. Ces interventions extérieures sont encore plus manifestes dans le second état d’époque augustéenne Cet état n’a livré aucune trace de décor, à l’exception de quelques tesselles noir et blanc de forme longi- 22. — Les techniques de construction mises en œuvre (avec solins, sol en terre battue et foyers au sol) sont identiques, par exemple, à celles du premier état de la domus de la rue des Farges ou encore, des domus fouillées à l’ouest du pseudo-sanctuaire de Cybèle : DESbAT 1984, 2005 ; CLÉMENT, à paraître. 23. — CHAMOUx 2008. 24. — Par exemple sur le site de Chapeau Rouge à Vaise (LE MER, CHOMER 2007, p. 192). En revanche, l’usage de moellons en gneiss dans les maçonneries est rarement attesté à Lyon même. Il peut également être envisagé qu’une partie des pierres proviennent du terrassement effectué sur le site au moment de la construction de la villa. 25. — À Lugdunum, les constructions d’époque augustéenne utilisent soit des calcaires du miocène (calcaire du Midi), provenant de la basse vallée du Rhône, soit du calcaire urgonien (Pierre de Seysel) dont les carrières sont localisées dans la commune de Franclens (HauteSavoie) : PHILIPPE, SAVAy-GUERRAz 1989 ; SAVAy-GUERRAz 1997. sein de la tradition architecturale locale. Ils font appel à de nouvelles techniques de construction qui ne sont attestées, à une date aussi haute, que dans les centres urbains de Vienne ou de Lugdunum22. 10 MATTHIEU POUx et AL. FIG. 8. — Carrières de gneiss granitique à Lyon, Chapeau-Rouge. D’après Le Mer, Chomer 2007. FIG. 7. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, amas de tuiles enfouis dans la cour après démantèlement des bâtiments d’époque augustéenne (état 2). ligne, vraisemblablement mises en œuvre pour l’aménagement de sols en opus signinum à semis de tesselles. L’usage de calcaire blanc et de schiste noir importés ne suffit pas à exclure qu’elles aient été taillées sur place. Quelques fragments de placage en marbre blanc, vraisemblablement importés d’Italie (Carrare, Luni ?), ont également été découverts dans des fosses de démolition liées à la réfection de la villa d’époque augustéenne (état 2b). 2.2. Main-d’œuvre qualifiée et matériaux importés La situation évolue radicalement avec l’édification de la villa palatiale de l’état 3. L’aile sud est intégralement reconstruite et intégrée dans un dispositif architectural à péristyle encore plus proche des modèles italiques contemporains. 26. — Par exemple, dans le premier état de la Maison aux Xenia à Lyon (PLASSOT 1995) ou encore, dans certaines domus contemporaines de Saint-Romain-en-Gal (DESbAT 1994). La généralisation de la maçonnerie, jusqu’à l’élévation des murs périmétraux, va de pair avec une monumentalisation du bâti et une diversification des apports de matériaux. Elle fait appel à des moellons de gneiss de deux qualités différentes (beige et bleu) qui proviennent peut-être de carrières distinctes. On constate aussi une évolution dans le granulat utilisé pour le mortier de chaux. Ce dernier est composé de sable anguleux et de graviers provenant de l’exploitation d’arènes de gneiss à deux micas, présentent à proximité immédiate du site. Au même titre que les moellons, cette évolution traduit sans doute le début de l’exploitation de l’environnement immédiat de la villa pour sa construction à partir du Ier s. ap. J.-C. Ce sable pourrait en partie provenir du concassage des déblais rocheux livrés par les importants travaux de terrassement qui ont précédé l’implantation de son aile nord. La mise en œuvre des murs (opus incertum à inclusions de terres cuites architecturales en remploi) comme de certains sols (opus signinum à semis de crustae de marbre ou de calcaire) est très similaire à celle observée dans les domus urbaines de Lugdunum et de Vienne26. L’analogie est flagrante en ce qui concerne les colonnes maçonnées du péristyle, revêtues de stuc et constituées de demi-colonnes (fig. 9) absolument identiques à ceux connus à la même époque à Lyon, rue des Farges (Maison aux Masques)27 ou dans le péristyle de la Maison aux Xenia28. 27. — DESbAT 1984, p. 45-47. 28. — PLASSOT 1995. PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 11 l’expression de la richesse des propriétaires et d’un nouvel art de vivre. Leur plan, leurs modalités de mise en œuvre et la circulation de l’eau dans des canalisations maçonnées ou des conduites forcées relèvent d’une technologie de pointe qui requiert assurément l’intervention de corps de métiers spécialisés. Le balneum de type « pompéien », caractérisé par un caldarium à schola labri et solium opposés30, comme la culina maçonnée qui le jouxte au nord31, procèdent de modèles architecturaux directement importés d’Italie. Le grand bassin longiligne et la natatio renvoient eux aussi à des plans connus, à cette époque, en Italie ou en Narbonnaise32. FIG. 9. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, briques hémicirculaires constitutives d’une colonne maçonnée du péristyle d’époque augusto-tibérienne (état 3), effondrée en place. C’est sans doute dans le domaine de l’hydraulique qu’elle est le plus manifeste. Le péristyle et les abords de la villa d’époque augusto-tibérienne sont occupés par plusieurs bassins d’agrément de taille importante, alimentés par un système sophistiqué de récupération des eaux de toiture et un petit aqueduc privatif mis en évidence au nord du domaine. Le plus petit d’entre eux, aménagé à l’intérieur même du péristyle, mesure 5 m par 3 m ; le plus important, construit le long de la façade méridionale de la villa, pas moins de 58 m de long par 3 m de large. Un troisième bassin d’environ 13 m par 7 m hors œuvre, identifié à une natatio, occupe l’avant-cour de la villa, qui pourrait correspondre à un espace de palestre ou de jardin. L’angle nord-est de la villa est occupé par des bains privés à itinéraire rétrograde alignant quatre pièces accolées, dont deux dotées d’une abside (tepidarium, caldarium, frigidarium et praefurnium). Une petite cuisine est adossée à son mur nord : sa table de cuisson maçonnée, pourvue de réserves à combustible voûtées, communiquait probablement avec le praefurnium adjacent29. Tous ces aménagements, qui n’ont d’équivalent à une époque aussi haute que dans les centres urbains de Lugdunum et de Vienne, ne sont pas seulement 29. — POUx et al., 2013. 30. — bOUET et al. 2003. 31. — POUx et al. 2013. Sa table à feu surélevée associée à deux réserves à combustible voûtées correspond à un dispositif typiquement italique attesté principalement en Campanie et dans de très rares cas en Gaule, dans le cadre de domus urbaines ou de cuisines collectives rattachées à une schola : SALzA PRINA RICOTTI 1980 ; bOUET 2001. 32. — Le premier trouve des comparaisons à Caumont-sur-Durance, Plassac, Puissalicon, Tourves, Taradeau, Mercin et Vaux ou Aylesford- L’adoption de ces techniques principalement connues en milieu urbain implique forcément l’intervention d’artisans spécialisés, établis dans le périmètre de la colonie. Leur existence et leur rayon d’intervention sont bien documentés par l’épigraphie lyonnaise, qui mentionne l’existence de plusieurs corporations liées aux métiers de la construction (fabri, tignarii, CIL xIII, 1939, 1956, 1957, 203)33. Certains ateliers sont spécialisés dans la réalisation de charpentes et de toitures (artificum tectorum, CIL xIII, 1734), de stucs (tectores, CIL xIII, 1983) ou encore, de fers de construction (fabricae ferrariae, CIL xIII, 2036). Il y est explicitement question d’artisans exerçant « chez les Ségusiaves » (CIL xIII, 2013, in Segusiavis negotiantes), donc à l’extérieur de la ville et même de la colonie de Lugdunum stricto sensu. Le degré de spécialisation de ces corps de métier implique obligatoirement l’usage de matériaux adaptés, importés plutôt qu’acquis sur place – à l’exception, peut-être, des bois de construction et des moellons. En l’absence d’analyses archéométriques, l’origine de certains d’entre eux est éclairée par de rares témoignages épigraphiques. Quelques briques et tegulae découvertes sur le site, malheureusement hors contexte, comportent des estampilles qui renvoient à plusieurs ateliers régionaux (fig. 10). La marque CLARIANVS, traditionnellement attribuée à un atelier de Saint-Clair-sur-Rhône34, provient d’une ou de plusieurs officine(s) éloignée(s) dont l’emplacement précis reste indéterminé, mais peut-être localisé aux alentours de Vienne. Une fistule en plomb (fig. 11), mise en œuvre dans une cuve de foulage aménagée Eccles sur l’Île de bretagne (GROS 2006, 328 sq.). Les natationes à escalier d’angle sont attestées principalement en Gaule Narbonnaise, dont la villa du Vernai à Saint-Romain-de Jalionas fournit un exemple proche (bOUET 2003). Quant au bassin du péristyle, il possède son pendant dans la plupart des domus suburbaines de Saint-Romain-en-Gal (FAURE-bRAC 2006). 33. — Corpus réuni et commenté par b. CLÉMENT, à paraître. 34. — VERGUET 1974, p. 239 ; bOUET 1999, p. 188-189. 12 MATTHIEU POUx et AL. FIG. 11. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, fistule en plomb estampillée au nom du plumbarius viennois t. domituus manusuetus (état 4). C. est d’autant plus notable qu’elle est rarement attestée à Lyon avant l’époque claudienne36. FIG. 10. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, estampilles sur briques et tubuli (état 4). dans une phase ultérieure de la villa (état 4), est également d’origine viennoise : l’abréviation V(iennae) F(ecit) est précédée du nom d’un artisan, T. Domitius Mansuetus, qui semble avoir principalement exercé sur la rive gauche du Rhône, c’est-à-dire, dans des terres situées à l’extérieur de la Cité de Vienne empiétant sur le territoire de Lyon35. Certains matériaux mis en œuvre au cours de cette phase (état 3) et de la suivante (état 4) ont une origine plus lointaine. Des fragments de placage en calcaire fin peuvent être attribués à des carrières régionales (choin de Fay, pierre de Lucenay). D’autres correspondent à des marbres importés de Méditerranée : fragments de placage, de chapiteau corinthien et de corniche en marbre de Luni (Italie), fragment de pilastre cannelé en Jaune Antique originaire d’Afrique du Nord, éléments de placage en marbre de Teos (Africano vert d’Asie Mineure), porphyre vert de Grèce, ou marbre de Karistos (Cipolin d’Eubée). Ces matériaux rares n’ont certainement pas été acquis de façon distincte, mais par lot, par l’intermédiaire de marbriers implantés sur les marchés urbains de Lugdunum et de Vienne (fig. 12-13). Leur utilisation dans des constructions privées du début du Ier s. ap. J.- 35. — Plusieurs estampilles sur fistules en plomb, retrouvées sur un territoire situé de part et d’autre des rives du Rhône, attestent de l’existence de nombreux plumbarii exerçant dans un rayon de 30 km autour de la colonie de Vienne (COCHET, HANSEN 1986, p. 79). Cette estampille est également signalée à Irigny (69), sur la rive droite du Rhône. Voir en dernier lieu : RÉMy, MATHIEU, bRISSAUD 2012. 36. — Entre la fondation de la colonie et le milieu du Ier s. ap. J.-C., l’emploi du marbre à Lyon n’est attesté que sous la forme de plaques de marbre blanc, sans doute issu des carrières de Carrare (Luni voir Parmi ces importations, une pièce retient plus particulièrement l’attention (fig. 14). Les restes fragmentés d’un labrum bipode à vasque rectangulaire moulurée, dont quelques exemplaires seulement ont été recensés à l’échelle de la Gaule, principalement dans les centres urbains de Lyon, Augst, Autun ou ClermontFerrand. Réservée aux thermes publics ou aux riches demeures patriciennes, cette forme de bassin d’origine vraisemblablement grecque ne fait son apparition en Italie romaine qu’à l’époque augustéenne37. Contemporain des tous premiers exemplaires en marbre blanc importés en Gaule (Autun, Augst), le labrum de Goiffieux reflète l’acquisition ciblée d’un mobilier de luxe qui représente un véritable bien de « consommation », au sens actuel du terme. 2.3. L’empreinte stylistique des écoles lyonnaise et viennoise Ces supports architecturaux ont conservé des décors de sol et de paroi réalisés in situ, dont la complexité et la datation particulièrement précoce rendent encore plus visible l’intervention des ateliers urbains et l’importation de modèles décoratifs exogènes. Deux grands ensembles de peintures à décor figuratif, de style et de facture relativement proches, ont été reconnus dans l’emprise des bâtiments. Le premier, recueilli en position primaire sur le fond d’hypocauste du caldarium des bains, date des origines de la villa d’époque augusto-tibérienne (état 3). Ses caractéristiques (plinthes mouchetées imitant le marbre, bardiglio). À partir de Claude, on assiste à une diversification des importations avec l’apparition des marbres colorés qui supplantent en quantité les marbres blancs, aussi bien dans l’habitat que dans le domaine public (informations inédites b. Clément, thèse en cours). 37. — GASTON 2007, p. 305-318. Les exemplaires les plus précoces se concentrent principalement en Campanie, notamment à Pompéi (forum, domus d’Obellius Firmus, de Vesonius Primus, de Fabius Rufus, des Vettii). PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE SLA - Pilastre - Jaune antique (Chemtou - Tunisie) SLA - Placage - Luni (Italie) : ÉTUDE DE CAS 13 SLA - Corniche - Luni (Italie) SLA - Placage - Porfire vert (Grèce) SLA - Placage - Brèche de Teos (Turquie) SLA - Placage - Karystos (Eubée - Grèce) FIG. 12. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, marbres importés (états 3 et 4). il est désormais établi qu’ils intervenaient en ville comme à la campagne. panneaux verts, interpanneaux étroits à décor de candélabre monochrome, empilant des motifs végétaux et de fins filets blanc sur fond noir, double bande de séparation et corniche stuquée) sont caractéristiques, en Gaule, des premiers témoignages de la diffusion du Troisième Style dit « sévère »38. bien que sa trame soit commune à de nombreux décors contemporains, il se distingue par l’usage dominant du vert-bleu dit « céladon » (mélange d’une terre verte, glauconie ou céladonite, et de bleu égyptien), une couleur bien particulière qui se retrouve de façon très locale à Lyon comme à Vienne39. bien que signalée ponctuellement en Narbonnaise, sur l’Île Sainte-Marguerite et à Nîmes40, elle est la signature d’ateliers régionaux dont Le second ensemble a été découvert en position secondaire, dans un remblai de construction sousjacent aux bâtiments de l’état suivant (état 4). Ses caractéristiques sont proches du précédent (panneaux à dominante vert-bleu, interpanneaux noirs à candélabres végétalisants), mais relèvent d’un style nettement plus évolué : l’ajout de détails figuratifs, masques humains, oiseaux, autel, coussinet d’ombelle ou sphinge, sont typiques d’une série de décors régionaux issus du répertoire du Quatrième Style41. Un ensemble de peintures, en particulier, lui correspond 38. — bARbET 2007, p. 53 sqq. 39. — Par exemple rue des Farges, Maison augustéenne (10 av. J.-C.) ou à Saint-Romain-en-Gal, Maison des Dieux Océan (entre 20 et 60 ap. J.-C.) : DESbAT 1984 ; DESbAT et al. 1994. 40. — bARbET 2007, p. 68 sqq. 41. — bARbET 2007, p. 122 sqq. 14 MATTHIEU POUx et AL. FIG. 13. — Origine des marbres importés dans la Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny (états 3 et 4). presque entièrement, celui du quai Riondet à Vienne, daté de la deuxième moitié du Ier s. (fig. 15), dont les candélabres s’organisent de la même façon (ombelles à festons et à coussinets, fûts rythmés par des bulbes ornés de tiges à feuilles, oiseaux, motifs cordiformes). Outre la prédominance du vert-bleu, d’autres détails renvoient à la facture d’ateliers locaux, comme les phiales ou les ombelles à coussinet vert foncé avec rehaut jaune, attestées exactement sous la même forme à Lyon, clos de la Solitude42. Malgré la présence de motifs plus largement diffusés comme les masques, la phiale ou encore les oiseaux, attestés de la Narbonnaise à la belgique, ces décors et la préférence donnée à la couleur verte ne se rattachent en rien à ce qui se faisait à Rome ou en Campanie. Ils sont la marque d’un atelier ou d’un ensemble d’ateliers basés dans la région, dont les équipes exerçaient indifféremment dans les colonies de Lyon, de Vienne et dans leurs territoires respectifs. Si leur exécution a pu être confiée à des artistes-peintres (pictores) établis dans l’une ou l’autre colonie, la 42. — Ensemble inédit, étude en cours (b. CLÉMENT, M. LEPERLIER) réalisation des enduits et corniches en stuc a dû faire appel au savoir-faire de ces tectores ségusiaves attestés par l’épigraphie lyonnaise (CIL xIII, 1983). Cet état de la villa comporte également plusieurs décors de sol en opus tessellatum dont la réalisation participe d’influences techniques et iconographiques plus larges. Dès le début du Ier s. ap. J.-C., ses bains sont revêtus d’un pavement bichrome à décor d’écailles de poisson, qui renvoient à un modèle courant à cette époque en Campanie. Les tesselles blanches sont constituées d’un calcaire d’importation qui a pu être taillé ou retaillé sur place, comme le suggère leur présence dans les niveaux de travail lié à cet état (fig. 16). Le sol d’un triclinium situé au centre de la branche occidentale du péristyle a livré un emblema de mosaïque de 1,20 m de côté (fig. 17), présentant un décor figuré en opus quasi-vermiculatum représentant un buste de bacchus ou de silène paré de tous ses attributs dionysiaques (chlamide, thyrse, mitra et couronne de lierre), encadré aux quatre coins par des PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 15 FIG. 14. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, labrum en marbre blanc à vasque rectangulaire d’origine italique(état 3). Parallèle : d’après gaston 2007. masques de théâtre (silènes, bacchantes) et sur les quatre côtés par des décors géométriques et végétaux en noir et blanc (palmettes, motifs floraux). La technique du pavement, inséré dans un sol en « béton » de chaux blanc à gros éclats (opus crustatum) est précoce et renvoie d’emblée à des modèles grecs ou italiques, fréquemment copiés en Gaule, du Ier s. av. J.-C. au IIIe s. ap. J.-C.43. Sa trame centrée est plus rare et semble s’inspirer d’un modèle connu à la même époque à Pompéi, où elle est attestée à huit reprises, sous la forme d’un médaillon central aux lignes simples enca- dré par des demi-cercles latéraux et des quarts de cercle angulaires. Le carton de Saint-Laurent-d’Agny est similaire par sa simplicité. Néanmoins, des carrés se substituent aux quarts de rond et médaillon central. Il compte parmi les exemples les plus précoces connus en Gaule, où il apparaît surtout à partir des IIe-IIIe s. ap. J.-C.44. 43. — TOUTIN 2010. Voir par exemple Pompéi, Maison aux Chambres Fleuries. En Gaule, on dénombre une quarantaine de pavements reprenant ce même procédé, par exemple dans la Maison du Capricorne à Glanum (seconde moitié du Ier s. av. J.-C.), sur le site de la Médiathèque à Narbonne (20-25 ap. J.-C.) ou rue Pasteur à Nîmes (Ier s.). 44. — TOUTIN 2010. Les vingt occurrences recensées diffèrent par une complication du dessin (tresses à 3 ou 4 brins… Lyon, Vienne et SaintRomain-en-Gal) et une multiplication des compartiments (besançon, bavay…). Certains traits ornementaux trahissent une même origine : c’est le cas de la palmette stylisée « en chandelier », particulièrement populaire en Italie (Aquilée 16 MATTHIEU POUx et AL. FIG. 15. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, ensemble pictural dans la tradition du IIIe style, lié à une réfection de la villa au Ier s. ap. J.-C. (états 3 et 4). Parallèle : peinture à candélabres du Quai Riondet à Vienne. D’après barbet 2007. PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 17 FIG. 17. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, mosaïque polychrome à décor bacchique aménagée au centre d’un triclinium d’époque augusto-tibérienne (état 3). mais relève ici d’une création originale, puisque sa tige cordiforme est terminée par un bouton circulaire qui constitue à ce jour un unicum. Quant aux bustes figurés, leur thématique bachique relève évidemment du topos, adopté en milieu gaulois sur plus d’une quarantaine de mosaïques. Les proportions et traitement du visage, ainsi que plusieurs détails (mitra, oreilles pointues), détonent par rapport aux exemples plus tardifs découverts à Lyon ou dans les Trois Gaules. et Pompéi) mais attestée en Gaule à treize reprises seulement, sur des mosaïques des IIe-IIIe s.45. Le motif de fleuron tournoyant est beaucoup plus fréquent46, Daté de la fin du règne d’Auguste par la stratigraphie et par un as à l’autel de Lyon noyé en guise de dépôt de fondation dans son lit de pose, ce pavement correspond à l’une des plus anciennes – si ce n’est à la plus ancienne – mosaïques figurées polychromes de Gaule Lyonnaise (fig. 18). La rareté des comparaisons ne permet donc pas d’être catégorique quant à son origine. Par la technique utilisée, la trame géométrique centrée et son sujet iconographique canon, cette mosaïque traduit une forte influence italique, transmise sur des cartons importés de Campanie ou des premiers ateliers de Transalpine. Elle s’émancipe pourtant de ces modèles, à la fois par l’association du noir et blanc à une polychromie soignée, 45. — TOUTIN 2010. Sa forme caractéristique en « chandelier », est bien attestée à Pompéi, ainsi qu’à Aix-en-Provence et à Vaison-laRomaine, sur des pavements datés du Ier et du IIe s. ap. J.-C. 46. — Sous sa forme rotative, il y est attesté à 36 reprises. On peut noter que chaque exemplaire est une création unique, ayant chacun une forme propre. Celui de Saint-Laurent compte parmi les exemples les plus précoces (après brignon (Ier av. J.-C.) et Luc-en-Diois (40-30 avant notre ère). FIG. 16. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, tesselles de mosaïque dans un niveau de travail lié à la construction des bâtiments de l’état 3. 18 MATTHIEU POUx et AL. Panneau central Palmettes Fleuron tournoyant Thématique bacchique FIG. 18. — Carte de répartition des principaux motifs figuratifs présents sur la mosaïque. y.-M. Toutin. PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE Taxon NR Sus domesticus Caprinés Lepus sp. Musaraigne Rongeurs Microfaune Mammifères - indéterminés gallus gallus Columba livia Anser sp. turdus sp. Passériformes Oiseau déterminable Oiseau - indéterminés Oiseau - phalanges postérieures Poissons Nombre total de restes 39 4 44 1 2 14 62 59 29 1 27 8 2 197 455 46 990 : ÉTUDE DE CAS 19 FIG. 19. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, principales espèces animales attestées par l’étude archéozoologique des reliefs osseux découverts dans la culina d’époque augusto-tibérienne (état 3). l’introduction de motifs inédits (fleurons à boutons, traitement des personnages) et une certaine maladresse de l’exécution. Ces traits provinciaux suggèrent l’intervention d’une « main locale », probablement formée en Italie ou en Narbonnaise, dont le cercle de clientèle s’étendait au-delà des centres urbains de Lugdunum ou de Vienne. 3. conSommatIon aLImentaIre et accommodatIon deS reSSourceS LocaLeS Les denrées alimentaires, appréhendées au travers des écofacts (faune, carporestes) ou des céramiques servant à leur conditionnement et à leur service, constitue le principal champ d’analyse des pratiques de consommation au sens premier du terme. Dans le cadre d’un domaine rural dont on peut supposer qu’il était pour une large part autosuffisant, elle est évidemment indissociable de l’étude des productions et de l’exploitation des ressources locales. 3.1. Régime local et compléments exotiques Les pratiques culinaires mises en évidence dans la villa de Goiffieux ont été traitées dans le cadre d’un article récent47 consacré à l’espace de cuisine adossé aux bains d’époque augusto-tibérienne, à ses aménagements fonctionnels et aux reliefs alimentaires 47. — POUx et al. 2013. 48. — La prédilection pour la faune aviaire, en particulier, rappelle les assemblages issus des « fosses à banquet » augustéennes du pseudosanctuaire de Cybèle à Lyon-Fourvière : FOREST dans DESbAT 2005, qu’il a livrés (ossements, carporestes et assemblages céramiques). La présence, inédite en milieu rural, d’une table à feu alimentée par le praefurnium adjacent, témoigne d’une forte influence des modèles architecturaux italiques. Elle va de pair avec l’adoption de nouveaux modes de préparation alimentaire, inconnus en Gaule préromaine, qui se reflètent également dans la composition des dépotoirs domestiques et induisent eux-mêmes de nouveaux modes de consommation. Les déchets de préparation culinaire retrouvés sur le sol de la cuisine (membres ou extrémités de pattes issus des opérations de découpe, graines, pépins et petits fragments de vases épargnés par un balayage régulier du sol) documentent la consommation de nombreuses espèces animales et végétales. Le faciès défini par l’étude des restes fauniques comporte une vingtaine de taxons (fig. 19, jeunes porcelets, volailles lièvres, petit gibier à plume et poissons de rivière) qui caractérisent en Gaule les tables les plus fortunées et les plus acculturées48. La faune consommée et rejetée en contrebas des bâtiments ou dans des fosses creusées sous le sol des portiques se distingue de ce faciès par la présence de plus gros ossements et la prédominance du bœuf, probablement élevé sur place49. p. 131. 49. — Étude préliminaire de C. bochaton, rapport de fouille 2009 (POUx et al. 2008-2011). 20 MATTHIEU POUx et AL. Taxons Noms NR vernaculaires triticum aestivum/durum/turgidum Secale cereale Hordeum vulgare triticum sp. Cerealia blé nu 8 seigle 2 orge polystique 2 blé 2 céréales 21 Vitis vinifera Pinus pinea Corylus avellana Juglans type Fruits indét. vigne pin pignon noisetier noyer Poaceae Avena type Rubiaceae Fabaceae Vicia sp. Lathyrus vicia medicago sp. Chenopodiaceae Carex sp. Polygonum convolvulus graminées 10 avoine type 1 rubiacées 1 fabacées 2 vesce 3 fève 1 luzerne 1 chenopodiacées 2 laîche 1 renouées liseron 1 172 1 1 1 3 FIG. 20. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, principales espèces végétales attestées par l’étude des carporestes découverts dans la culina d’époque augusto-tibérienne (état 3). FIG. 21. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, restitution du balneum (à gauche), de la culina (à droite) et du moulin hydraulique d’époque augusto-tibérienne (état 3). Cette exigence de diversité s’assortit d’une nette préférence pour les espèces endémiques qui ressort très bien de l’étude des carporestes (fig. 20) : les céréales cultivées sur place (blé nu, seigle, orge polystique) y occupent une part dominante avec les pépins de raisin provenant du vignoble fouillé au nord-est de la villa50. Ce qui ne saurait surprendre, dans un domaine rural dédié à la production agricole, fruitière et vinicole, où la richesse des ressources locales pallie la rareté des denrées exotiques servies sur les tables urbaines et où toutes les denrées domestiques et leurs sous-produits semblent avoir été mis à contribution (viande d’élevage, gibier, poisson, lait, œufs, céréales, fruits, miel…). À cet égard, un bon indice réside dans l’identification d’un petit moulin hydraulique associé à la cuisine, qui atteste la transformation sur place de céréales destinées à la fois à l’exportation et à la consommation locale (fig. 21)51. D’un point de vue strictement alimentaire, les seuls apports exogènes perceptibles dans l’emprise de la villa sont matérialisés par les fragments d’amphores à vin (Dressel 1 ou Dressel 2-4 de la côte tyrrhénienne, 50. — POUx et al. 2011. 51. — POUx et al. 2008-2011, rapport 2010 ; POUx et al. 2013. PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE Lamboglia 2 de la côte adriatique, Dressel 2-4 massaliète ou orientale) ou à defrutum de bétique (Haltern 70), à huile d’olive (Dressel 20 de bétique), à saumures ou à sauces de poisson (Dressel 7-11 ou beltran IIa de bétique, Lyonnaise 3). L’importation en quantités limitées de ces condiments et denrées exotiques, qui ne pouvaient être produits sur place, suffisait à accommoder le régime local à la mode romaine. Leur relative rareté est peut-être imputable à un système de redistribution et de vente au détail dans d’autres conteneurs moins bien identifiés52. Certaines catégories de pots en céramique commune, fermés à l’aide d’un couvercle, ont théoriquement pu servir au transport à plus courte distance de denrées (pâtés, miel, fromages…) produites dans d’autres domaines et acquises sur les marchés régionaux53. À l’inverse, et dans la mesure où ils sont bien documentés à Lugdunum54, il est significatif d’observer l’absence des fruits exotiques et l’extrême rareté des coquillages marins, qui se résument sur le site à quelques coquilles d’huître isolées. 3.2. Répertoire céramique : importations lointaines, variété des marchés régionaux Les céramiques de table relèvent d’une forme de consommation plus indirecte et participent plutôt de l’achat de mobiliers et d’ustensiles domestiques, au même titre que l’instrumentum en bronze, en fer ou en os. La romanisation du répertoire traditionnel accompagne notoirement celle de l’alimentation et se traduit par l’apparition de nouvelles formes de vaisselle adaptées aux recettes italiques (mortiers, patinae, marmites). Elle va naturellement de pair avec un recul des céramiques de facture locale au bénéfice de productions de semi-luxe importées à plus ou moins longue distance, qui peuvent être considérées comme un bon marqueur des pratiques d’échange nouées à l’échelle du territoire colonial. Comme pour les techniques et matériaux de construction, une nette évolution est perceptible entre l’époque triumvirale et augustéenne (état 2, 30-40 av. J.-C.) et la fin de l’époque julio-claudienne (état 3, 15/20 - 60/70 ap. J.-C.). Dans les premières décennies qui suivent la fondation de la villa, les productions locales et régionales sont, sans surprise, majoritaires au sein du vaisselier (tab. 1). Les cités de Lyon et Vienne fournissent la majorité des récipients de céramique commune 52. — DESbAT, FOREST, bATIGNE-VALLET 200, p. 173. 53. — On songe, par exemple, aux pots à col côtelé ou à épaule carénée de production lyonnaise ou encore, aux « pots à miel » de type Haltern 56. 54. — DESbAT, FOREST, bATIGNE-VALLET 2006, p. 171. : ÉTUDE DE CAS 21 (claire calcaire, commune grise), sans qu’il soit possible d’attribuer les vases à l’un ou l’autre centre de production55. Seul un ensemble de cruches à pâte claire non calcaire (pâle fine) semble plutôt provenir des ateliers de la Loire. L’origine des céramiques fines est établie avec plus de précision. La plupart des sigillées appartiennent aux productions lyonnaises de la Muette, tout comme les céramiques à paroi fine, notamment les gobelets d’Aco. Un seul gobelet « dit de type beuvray » appartient aux productions viennoises. Les céramiques peintes de type « bol de Roanne » se répartissent de par leur pâte et leurs décors en deux groupes attribués, respectivement, aux ateliers de Vienne et de la vallée de la Loire56, représentés de façon équilibrée. Les productions à engobe argileux non grésé, aux formes soit imitées des sigillées italiques ou des campaniennes, soit plus originales, sont également attribuables aux officines viennoises. Aux productions régionales au sens large peuvent également être rattachés quelques récipients en terra nigra, originaires de la vallée de l’Allier57. Les productions extrarégionales sont nettement minoritaires au sein du corpus et proviennent presque exclusivement de la péninsule italique (fig. 22). Les céramiques fines comprennent sigillées italiques (plats du service Ic et coupelles du service II), campaniennes, gobelets tardo-républicains à lèvre concave. La céramique commune est représentée par des plats et des couvercles à engobe rouge interne (VRP) ; les amphores, par des conteneurs vinaires de type Dr 1b, Lamb. 2 et Dr 2/4, associés à quelques récipients à vin ou à sauces de poisson (Dr 7/11), à huile (Dr 20) et à defrutum (Halt. 70) de la péninsule ibérique. Un fond d’amphore Dr 2/4 documente l’importation de productions orientales. Durant l’état suivant, d’époque tibéro-claudienne (état 3), les productions locales et régionales demeurent majoritaires, mais sont davantage concurrencées par d’autres produits importés de toutes les provinces de l’Empire (tab. 2, fig. 23). Les céramiques peintes sont toujours issues des ateliers de Vienne et de la Loire, mais ces derniers occupent désormais une place majoritaire à hauteur d’environ 60 % de l’effectif. La sigillée lyonnaise disparaît au profit de productions extrarégionales issues des ateliers du sud et dans une moindre mesure, du centre de la Gaule. Les céramiques à paroi fine sont presque exclusivement issues des ateliers lyonnais de la butte, 55. — Sur les productions respectives de ces deux cercles d’ateliers : DESbAT, GENIN 1996 ; DESbAT, SAVAy-GUERRAz 1986. 56. — LAVENDHOMME, GUICHARD 1997, p. 115 sqq. 57. — LALLEMAND 2005. FIG. 22. — Origine des céramiques importées lors de la première phase d’occupation de la villa (état 2, seconde moitié du Ier s. av. J.-C.). Lyon Roanne Roanne Vallée de l’ Allier Lyon Goiffieux Vienne Lyon / Vienne Roanne / Vienne 4 Vienne FIG. 23. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, carte illustrant l’origine des principales catégories céramiques d’origine régionale répertoriées pour les premiers horizons de la villa (états 2 et 3). PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE État 2 Provenance Locale/régionale Peinte Imitation TS/Camp Sigillée lyonnaise Paroi fine terra nigra Sig. Centre Gaule Engobée Commune grise Claire calcaire Commune rouge Pâle fine Amphore (lyonnaise) Gaule (hors région) Sig. Sud Gaule Plombifère Kaolinitique Amphore (gauloise) Amphore (marseillaise) Italie Sigillée Paroi fine Campanienne VRP Amphore Espagne Paroi fine Amphore (bétique) Amphore (Tarraconaise) Orient Amphore Total : ÉTUDE DE CAS 23 État 3 NR NMI % NMI NR NMI % NMI 2937 189 67 8 55 3 264 20 14 2 2 1 91 7 5 1 1 0 13306 603 1362 120 88 8 18 1260 1192 143 2 2 165 44 13 1 1 57 15 4 0 283 129 16 24 6191 5144 741 19 156 39 33 7 4 906 182 61 8 2 3 2 0 0 58 12 4 1 0 3 0 0 1 0 0 818 475 5 95 214 29 139 128 2 4 5 0 9 8 0 0 0 0 2 0 0 219 15 20 11 17 156 22 8 4 2 4 4 8 3 1 1 1 1 296 23 1 67 229 16 7 1 0 58 4 1 55 3 4 0 1 0 775 2 765 8 25 0 25 0 2 0 2 0 1 1 0 0 0 0 16 16 1 1 0 0 3218 290 100 15211 1550 100 Tableau 1. —Comptage des principales catégories céramiques répertoriées pour les premiers horizons de la villa (états 2 et 3). qui fournit de nombreux bols hémisphériques et gobelets ovoïdes. La terra nigra provient toujours de la vallée de l’Allier, à l’exception d’une jatte de grand module d’origine viennoise. Les ateliers de Lyon et de Vienne fournissent encore la majorité du répertoire des céramiques communes (claire calcaire ou commune grise), enrichi de nouvelles formes emblématiques du Ier s. ap. J.-C. (mortier à lèvre pendante, cruche à lèvre en bourrelet, marmite à lèvre moulurée). La céramique pâle fine issue des ateliers de la Loire est toujours présente, bien qu’en quantités négligeables. On signale aussi la présence de jattes à lèvre débordante moulurée en céramique commune rouge produites dans les environs de Roanne. Enfin, plusieurs amphores figurent désormais au rang des productions locales. Leur morphologie, qui s’inspire des productions hispaniques, est caractéristique des productions lyonnaises du Ier s. ap. J.-C.58. 58. — DESbAT, DANGRÉAUx 1997. De nombreuses productions extra-régionales viennent compléter ce faciès (fig. 24). Le sud de la Gaule fournit une masse importante de formes sigillées emblématiques du Ier s. ap. J.-C. Les premières amphores gauloises (G1, G2, G3, G4 et G5) sont également présentes, parmi lesquelles figurent plusieurs tessons d’origine marseillaise. D’Italie parviennent encore quelques récipients à revêtement interne, ainsi que des amphores vinaires de type Dr 2/4. Les productions hispaniques sont mieux représentées dans cet état et livrent une grande variété d’amphores à huile (Dressel 20), à vin (beltran IIa), à defrutum (Haltern 70) ou à sauces de poisson (Dressel 7-11) originaires de bétique. Elles sont associées à quelques fragments de céramique à paroi fine produites dans la péninsule ibérique. L’importation de productions orientales est toujours marquée par quelques amphores vinaires de type Dressel 2-4, dont un exemplaire produit sur l’île de Cos. 24 MATTHIEU POUx et AL. Lyon Peinte bol Per. 16 Paroi fine bol hémisph. (Lyon 4.1) bol hémisph. (Lyon 5.1) bol hémisph. (Lyon 3) bol hémisph.(Lyon 2.1) bol hémisph. (Lyon 1.1) Loeschcke xIII Gobelet type beuvray Gobelet ovoïde Vienne Loire 15 28 Centre Gaule 2 2 2 1 2 1 1 15 Terra nigra Jatte Menez 71 Coupelle Menez 89 Plat Menez 28 Coupe Menez 23 1 4 7 7 1 Sigillée Claire calcaire Cruche Halt. 45 Cruche b. bandeau mouluré Cruche l. en bourrelet Mortier Halt. 59 Mortie à lèvre pendante Pot Halt. 62 Olpé l. bourrelet 7 12 24 14 11 16 17 6 Pâle fine Commune grise Pot col côtelé, ep. carénée Pot ép. carénée Plat bord droit Marmite l. moulurée 8 129 10 49 19 Commune rouge Jatte à lèvre débordante moulurée Amphores Lyon 3b 3 2 Tableau 2. —Comptage par origine des principales catégories céramiques d’origine régionale répertoriées pour les premiers horizons de la villa (états 2 et 3). 4. concLuSIonS Ces vestiges matériels ne permettent d’appréhender qu’un pan d’un faciès de consommation qui a pu concerner bien d’autres marchandises périssables, dont le sol n’a conservé aucune trace. Dans un contexte culturel et économique qui ignore la consommation en masse d’objets et de services à forte valeur ajoutée (achat de vêtements, d’objets de luxe ou de haute technologie), il semble néanmoins se réduire à quatre domaines principaux : la construction, les décors, l’alimentation et l’équipement domestique. 4.1. De l’investissement architectural aux biens de consommation courants L’investissement architectural au sens large, c’està-dire la mise en œuvre des bâtiments et de leur ornementation, constitue le premier acte de « consommation » accompli par ses propriétaires et de loin le plus significatif en termes de coût financier – après l’achat des terrains, qui n’entre pas en ligne de compte dans le cadre d’une assignatio. L’aménagement de luxueuses résidences dotées de tous les équipements hydrauliques de confort et d’ostentation (adduction et distribution d’eau, bains, bassins) impose le recours à une main-d’œuvre hautement spécialisée, formée et installée au plus près des centres urbains, ainsi qu’à des matériaux rares qui ne sont pas disponibles sur place. Des produits transformés, comme les terres cuites architecturales ou la chaux vive, le sable utilisé comme granulat, les placages en marbre ou en calcaire et peut-être même, les moellons de construction, sont autant d’apports exogènes dont le volume cumulé se chiffre en centaines de mètres cubes. Il était sans doute moins onéreux de les transporter que de les extraire sur place. La qualité du bâti et d’exécution des secteurs résidentiels de la villa s’accordent mal PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 25 FIG. 24. — Origine des céramiques importées lors de la seconde phase d’occupation de la villa (état 3, Ier s. ap. J.-C.). avec un recours opportuniste au tout-venant local. Même pour les pierres, l’ouverture d’un front de carrière ne va pas de soi et ne va pas sans poser des problèmes d’identification des gisements ou de maîtrise foncière. Certains matériaux bien spécifiques, comme les éléments de colonne, les tubuli ou les tuiles, n’ont pu être fabriqués sur place à une époque aussi haute et sont strictement identiques à ceux mis en œuvre à la même époque dans les centresvilles de Lyon et de Vienne. Les estampilles sur terre cuite, les sortes de marbre utilisées pour les placages ou le mobilier, renvoient à une grande variété de sites producteurs établis dans la région et bien au-delà. Ils ont difficilement pu faire l’objet d’un approvisionnement individuel et correspondent plutôt à des lots de différentes provenances, acquis par les artisans pour être redistribués à leur clientèle59. Le même constat s’impose pour les peintures murales et les décors de sol en opus crustatum et 59. — La fourniture de matériaux par les artisans du bâtiment est attestée, dans le domaine public, par la Lex parieti faciendo puteolana, reproduisant un contrat de construction relatif à la réfection en 105 av. J.-C. du temple de Sérapis à Pouzzoles (CIL x, 1781) : AUbERT 2003. tessellatum. bien que réalisés par nature in situ, leur style et leur mode d’exécution portent la marque des ateliers urbains de Lugdunum et/ou de Vienne, dont ils déploient tout le répertoire ornemental. Là encore, il n’est pas abusif d’invoquer la « consommation » de cartons, de pigments, de matériaux calcaires et de main-d’œuvre qualifiée (tectores, pictores, tesselarii, gypsarii, marmorarii). C’est dans cette perspective qu’il faut interpréter la commande, exceptionnelle dans nos régions à l’époque augustéenne, d’une mosaïque à décor bachique très proche des modèles italiques, dont elle se distingue toutefois par plusieurs traits originaux. À l’instar de l’agencement des bassins ou du programme décoratif des bains, les options retenues par le propriétaire des lieux en fonction de ses goûts esthétiques et de ses références culturelles procèdent, précisément, d’une attitude consumériste qui répond au concept contemporain de « customisation ». 26 MATTHIEU POUx et AL. FIG. 25. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, sélection de mobiliers en bronze : applique de trépied à tête négroïde (parallèle : nîmes, musée des Antiques), applique de robinet léontomorphe, statuette d’Hercule. Cette observation peut être élargie à l’ameublement de luxe, tel le labrum en marbre blanc, probablement importé de Campanie, qui ornait la salle tiède des bains, ainsi qu’à d’autres objets décoratifs ou utilitaires retrouvés dans la villa. Hormis la figurineplaquette et l’amphorisque en verre liés à ses premiers états, dont il est difficile d’établir s’ils ont été importés ou rapportés d’Orient60, elle a également livré quelques artefacts en bronze, issus d’ateliers régionaux ou plus éloignés : statuette d’Hercule, applique de trépied à tête négroïde, pièces de vaisselle acquis sur les marchés urbains, qui reflètent le « pouvoir d’achat » des propriétaires (fig. 25). En effet, la fouille n’a livré aucun indice de fabrication sur place d’objets manufacturés, à l’exception du petit artisanat textile (fusaïoles, fuseaux, aiguilles) et de la métallurgie domestique, attestée par de petites installations de forge probablement vouées à l’entretien et la réparation d’outils61. Quant aux objets quotidiens de moindre valeur, comme les fibules et les bracelets, les lampes ou encore la verrerie, ils relèvent plutôt des « biens de consommation courants » au même titre que les céramiques. 60. — POUx et al. 2010. 61. — Voir, à titre de comparaison, les ateliers de métallurgie qui enca- drent la cour de la villa des Grandes Terres à beynost : MOTTE, VICHERD 2008. Côté alimentation, l’étude de la faune, des céramiques et des carporestes indique que la priorité était accordée aux ressources locales (viande d’élevage, gibier, céréales, vigne), complétées par une part minoritaire de denrées et de condiments exotiques, conditionnés en amphores ou dans d’autres conteneurs non identifiés à ce jour. Le répertoire céramique révèle une grande diversité d’origines qui reflète avant tout la variété des sources d’approvisionnement dont bénéficiaient les marchés PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 27 Exportations à longue distance Ateliers régionaux (non localisés) (Lyonnaise, Belgique, limes rhénan) - vin - denrées agricoles - matériaux de construction (pierre, chaux) - terres cuites architecturales - vaisselle Produits locaux Lugdunum (domaine et environnement proche) - bois et pierres de construction - argile, sable de construction - vin local - fruits, céréales, fourrage - gibier, pêche Marchandises et denrées : - condiments, vin (?) - vaisselle - marbres - terres cuites architecturales - Instrumentum - textiles Services : - peintres - stucateurs - mosaistes limites supposées des perticae de Lyon et de Vienne Cité ségusiave et Massif Central Villa de Goiffieux Commerce (marchés locaux) - vin - produits agricoles - viande/salaisons - textiles Importations à longue distance - vin et denrées exotiques (huile, sauces) - modèles ornementaux - mobilier en marbre (labrum) - techniques hydrauliques et vinicoles - petits objets (amphorisque) Vienna Marchandises et denrées : - vaisselle - marbres - terre-cuite architecturale Services : - peintres - stucateurs - mosaistes - plumbarii Exportations à longue distance (Narbonnaise, Italie) - vin - denrées agricoles FIG. 26. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, carte schématique illustrant les principaux flux d’importation/d’exportation de biens et de services à courte, moyenne et longue distance. locaux. Ce recours majoritaire aux denrées produites sur place dans la villa, qui diffère des faciès de consommation attestés dans les domus urbaines de Vienne et de Lyon, est étroitement corrélé à sa fonction de domaine de rendement. Sa pars rustica ou fructuaria comprend dès le début du Ier s. ap. J.-C. un pressoir à vin, un moulin hydraulique, une zone culturale irriguée par un puits, puis par un aqueduc. Ces équipements suffisaient à pourvoir à tous les besoins en céréales, en fruits, en farine et en fourrage pour le bétail qui fournissait la viande d’élevage. Si leur acquisition et la rétribution du personnel affecté à leur fonctionnement représentaient en eux-mêmes une importante charge financière, ils relèvent davantage du « retour sur investissement » que de la consommation. 4.2. Gains de productivité, consommation et transport de biens Les données rassemblées à l’échelle du site soulignent, s’il était encore besoin, le statut dichotomique de la villa comme pôle de production autant que de consommation de biens ; ou pour reprendre l’équation établie par P. Ouzoulias, comme lieu de l’otium et du fructum, au sein duquel les gains de productivité sont investis dans l’amélioration du cadre et des conditions de vie des occupants (fig. 26)62. Son évolution participe d’une surenchère commune à une 62. — OUzOULIAS 2006 et dans ce volume. 28 MATTHIEU POUx et AL. majorité de villae du Haut-Empire, où la part de « consommation » en architecture et en équipements de confort apparaît souvent supérieure à leurs capacités productives. En tant qu’entreprise agricole dédiée pour une large part à la production du vin, la villa de Goiffieux a contribué dès l’époque augustéenne à l’approvisionnement des marchés et à l’économie locale, dans des proportions qui restent toutefois difficiles à quantifier : cette part de produits exportée était loin d’être négligeable à en juger par la taille de son pressoir, dont l’installation coïncide chronologiquement avec l’essor de la production d’amphores lyonnaises63. Il faut aussi compter avec d’autres denrées agricoles, produites et transformées sur place pour faire l’objet d’une commercialisation. En témoigne la zone culturale recoupée de façon partielle au nord-est de la villa, à proximité d’une petite installation de meunerie qui permettait l’exportation des productions céréalières sous forme de farine64. Une part des revenus générés par ces activités ont manifestement été réinvestis dans la consommation de biens et de services apportés de l’extérieur, contribuant à l’accroissement et à la monumentalisation du domaine. De par son rattachement au territoire de Lugdunum et les liens étroits qu’elle entretient avec son centre urbain, la villa de Goiffieux apporte un éclairage plus particulier sur le mode de fonctionnement d’une économie coloniale fondée, par nature, sur les liens d’interdépendance ville-campagne. La présence, bien établie par l’épigraphie, de décurions lyonnais inhumés à proximité de leur domaine65, témoigne de l’investissement des notables locaux dans l’économie rurale au sens large : de l’exploitation des ressources vivrières (vin, céréales) à l’extraction des matériaux de construction (pierre de taille, marbres), en passant par les productions manufacturières extra-urbaines (céramiques, terres cuites architecturales, métallurgie), leur activité combinait différents revenus tirés de la richesse foncière, de la mainmise sur l’exploitation des ressources coloniales et d’un accès privilégié aux mar- 63. — POUx et al. 2011. 64. — POUx et al. 2013 : l’utilité d’un tel équipement ne peut se concevoir dans le seul cadre des activités culinaires courantes, qui utilisaient de petits moulins à bras. 65. — POUx et al. 2011, p. 14-15 : aux inscriptions de La Guillotière et de Corbas, il faut ajouter celle du site des balmes sur le versant occidental de l’Île Crémieu en Isère, probablement lié au domaine d’un decurio Lugduni établi aux confins du territoire (CIL xII, 2375). 66. — Pour un aperçu plus général de ces différentes activités à l’échelle des provinces gauloises, voir en dernier lieu : POLFER 1999 ; LEPETz, MATTERNE 2003. chés urbains66. À Lugdunum, l’exemple de Toutius Incitatus, qui exerçait à la fois les fonctions de sévir augustal et de négociant en blé, est emblématique de cette confusion d’intérêts (CIL xIII, 1972). La découverte, sur le site de la villa de La Dent à Meyzieux, d’une statuette figurant un personnage masculin portant une inscription « au Génie des bronziers de Diar », suggère qu’elle a pu héberger un collège d’artisans métallurgistes67. Certains notables semblent même avoir exercé une activité spécifique de transporteur en marchandises pondéreuses (vin, pierre), acheminées par voie fluviale ou terrestre des sites d’exploitation au centre de la colonie, qui contribuait également aux revenus des domaines68. L’importation en milieu rural de biens et de services acquis sur ces mêmes marchés urbains est l’expression matérielle des aller-retour qu’ils effectuaient en permanence entre leur lieu d’activité et leurs résidences rurales, induits par l’alternance du negotium et de l’otium. L’interpénétration des intérêts qui ressort de ce schéma paraît transcender la distinction établie par M. Finley entre « villes parasitaires » et « villes de consommation », bénéficiant de rentes fiscales, respectivement, des ressources vivrières prélevées sur la campagne environnante. Le cumul des statuts de cadre de l’administration coloniale, de propriétaire terrien, d’entrepreneur et de transporteur, procède d’une structure politicoéconomique qui ne diffère en rien de la situation observée pour d’autres colonies contemporaines comme Narbonne ou béziers69. Elle caractérise, à l’époque julio-claudienne, un mode de gestion des domaines qui est comparable à ceux attestés dans la péninsule italique et caractérise les premières exploitations coloniales implantées sur le territoire gaulois. Eu égard à sa date de fondation très haute et à sa position dans la proche périphérie de Lugdunum, colonie déduite de droit romain, la villa de Goiffieux se range sans équivoque dans cette catégorie. Le statut colonial des premières générations de propriétaires est clairement attesté par un titulus pictus sur tesson d’amphore Dressel 2-4 de Marseille, issu d’une fosse 67. — bÉAL 2008 : genio aerar (…) diarensium. Sa datation très tardive n’exclut pas l’installation tardive d’un groupe d’artisans après l’abandon et la ruine de la villa. 68. — bÉAL 2006-2007. 69. — CHRISTOL, FÉDIèRE 1999, qui ont démontré que la présence des Usuleni narbonnais dans l’arrière-pays de la colonie était notamment liée à l’exploitation de manufactures tuilières gérées par leurs affranchis. La fondation des entreprises vinicoles et des officines de potier implantées sur le territoire colonial de Iulia Baeterrae participe du même processus : MAUNÉ 1998. PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS 29 sur le territoire de Lyon, est confirmée par la découverte de quelques pièces d’équipement militaire d’époque augusto-tibérienne. Cette origine explique sans doute pour une large part la précocité et la spécificité des pratiques de consommation reconnues sur le site avant l’époque flavienne. La première implantation coloniale, fondée dans les années 40-30 avant notre ère (état 2), se mue en l’espace d’une génération en un domaine de rendement d’envergure (état 3), qui revêt d’emblée un caractère résidentiel bien affirmé (état 3). La rapidité de son accroissement en termes de taille, d’équipement et de décoration des bâtiments, laisse supposer que ses propriétaires occupaient une position relativement élevée dans l’administration et/ou l’économie coloniale. Leurs références culturelles éclairent aussi le recours à des modèles architecturaux ou ornementaux typiquement italiques pour la décoration des sols, l’aménagement ou l’ameublement des bains et des bassins, qui ne trouvent aucun équivalent à cette époque dans les autres domaines ruraux recensés à l’échelle de la région et même, de toute la Lyonnaise72. 4.3. Des circuits d’approvisionnement dédiés ? FIG. 27. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, titulus pictus sur tesson d’amphore dessel 2-4 marseillaise. en bas : Lyon, amphore gauloise 4 étiquetée au nom de son destinataire Iulius Adiutor. D’après Faure-brac 2006. dépotoir comblée au début du Ier s. ap. J.-C. (fig. 27) : la mention usuelle du négociant au génitif est suivie de celle du lieu d’origine du produit (qui a transité par le port d’Arles) et d’un nom au datif (Staius Regilius), généralement identifié au destinataire du produit70. Ce dernier, dont on suppose qu’il résidait sur place, porte les tria nomina et un gentilice italique principalement attesté dans la moitié sud de la péninsule (Campanie, Apulie-Calabre)71. L’appartenance de sa famille au rang des coloni, voire, des premiers vétérans installés 70. — À l’exemple de deux tituli sur amphore à garum Dressel 7 retrouvés dans une domus de Pompéi (Ix, 7, 20, CIL IV 5650), comportant un nom au datif désignant son propriétaire d. Caprasius Felix, également mentionné par un graffito retrouvé dans l’atrium ou encore, d’un titulus sur amphore à garum (scombri) sur amphore Vindonissa 86 importée dans le camp de Mayence/Mogontiacum et adressée au légat qui en assurait le commandement, P. Pomponius Secundus (Ae 1996, 1175, cf. Tacite, Annales, xII. 27, 28). Cet accès privilégié aux marchés de Lyon, de Vienne, de Narbonnaise et d’Italie se lit aussi dans l’évolution rapide des approvisionnements en denrées et céramiques importées, observée entre l’implantation de la première ferme coloniale et la construction de la villa palatiale au début du Ier s. ap. J.-C. À un premier faciès dominé par les céramiques d’origine régionale au sens large (vallées du Rhône, de la Loire et de l’Allier), marqué par les ateliers de Lyon et de Vienne et associé à un flux d’importation presque exclusivement italique, succède un faciès beaucoup plus varié, marqué par l’apparition des céramiques fines extra-régionales, des sigillées de Gaule du Sud ou du Centre qui supplantent progressivement les productions lyonnaises, l’apparition de nouvelles amphores d’origine locale (lyonnaise, gauloise, marseillaise) et la montée en puissance des productions hispaniques. Cette diversification du répertoire n’a certes rien d’exceptionnel et s’observe à la même époque dans toutes les villes et les campagnes de Gaule. La pré71. — POUx, à paraître. 72. — Voir à titre de comparaison : De KLIJN et al. 1996 ou pour la Cité biturige : GANDINI 2008. La présence de monnaies républicaines rarement attestées en Gaule et d’autres objets exotiques d’origine orientale (figurine-plaquette, amphorisque en verre) s’inscrit dans le même contexte (POUx et al. 2010). Elle peut refléter l’origine du propriétaire, aussi bien que son lien de proximité avec le marché méditerranéen. 30 MATTHIEU POUx et AL. sence de cette large palette de marchandises originaires aussi bien d’Orient que d’Italie, d’Espagne, de Gaule méridionale ou centrale, de Lyon, de Vienne ou encore, de la vallée de la Loire, ne reflète rien d’autre que le dynamisme des réseaux commerciaux qui se sont mis en place dans la région sous le règne d’Auguste. On se gardera, par conséquent, d’en déduire que les propriétaires de la villa entretenaient des relations directes avec ces différents centres de production. Le seul constat qu’il convient d’en tirer est qu’ils semblent s’être approvisionnés indifféremment sur les marchés viennois aussi bien que lyonnais, voire, dans les centres urbains de la vallée de la Loire et ce, indépendamment de leur appartenance au territoire lyonnais (fig. 26). Il semble néanmoins que certaines marchandises ont emprunté des voies plus spécifiques. Le titulus pictus sur amphore mentionné plus haut (fig. 27) précise que le vin qu’elle contenait a été acheminé à son destinataire depuis le port d’Arelate. Sa pâte micacée, caractéristique des productions massaliètes, permet d’affirmer qu’elle a été embarquée plutôt que conditionnée à Arles. Quelle que soit son origine exacte, elle témoigne d’une commande passée directement par le consommateur auprès du producteur ou des negotiatores chargés d’écouler sa production. L’existence de cargaisons dédiées, faisant l’objet d’un acheminement suivi jusque dans les campagnes, prouve que les circuits commerciaux mis en place dans l’arrière-pays colonial ne reposaient pas uniquement sur la diffusion massive de marchandises courantes, mais aussi, sur des actes de consommation ciblés et plus isolés. Cette pratique est attestée à Lyon par un autre titulus sur amphore gauloise de type G4 étiquetée au nom de Iulius Adiutor, destinataire d’une cuvée d’amineum réservée à son propre usage (fig. 27)73. Elle était sans doute l’apanage de personnages influents aux réseaux très étendus, qui leur permettaient d’acquérir des marchandises rares par-delà les marchés locaux de Vienne et de Lyon. À Goiffieux, cette hypothèse pourrait être étendue au labrum en marbre blanc d’origine campanienne (?) qui ornait les bains, pièce d’importation unique en Gaule à cette époque. De là à l’appliquer aux cartons et à la maind’œuvre spécialisée chargée de réaliser les décors de la villa, il n’y a qu’un pas que les études stylistiques ne permettent pas encore de franchir. villa de Goiffieux occupe une position plus commune en regard des autres domaines recensés dans la région et dans les Trois Gaules. La débauche de dépenses investies à l’époque julio-claudienne dans l’architecture, l’hydraulique et les décors, cède la place à des installations beaucoup plus fonctionnelles. Occupé pour une large part par des espaces de vinification et de stockage du vin, le corps central de la villa reconstruit entre la fin du Ier et le début du IIe s. ap. J.C. est dépourvu de bains et n’est doté que d’un seul bassin natatoire aux dimensions nettement restreintes (10 m par 5). Ses fondations beaucoup plus arasées ont néanmoins livré des éléments de construction et de décor (marbres, tubuli, second ensemble de peintures) qui attestent l’existence d’une pars urbana réduite à quelques centaines de mètres carrés, reléguée au-delà de son angle sud-est (fig. 28). La mise en évidence d’au moins deux pressoirs, d’une cuve de foulage et de chais de grande capacité témoigne, symétriquement, d’un net accroissement de son appareil productif qui semble se faire au détriment de la partie résidentielle. Cette évolution a été observée dans d’autres villae coloniales de plan et de statut comparables. C’est par exemple le cas du gigantesque domaine vinicole de Vareilles dans l’Hérault, fondé dès le Ier s. av. J.-C. L’essor de la production au IIe s. ap. J.-C., que matérialise l’occupation de toute la surface disponible par des chais à dolia, semble aller de pair avec sa transformation en résidence secondaire, occupée de façon temporaire par ses propriétaires et gérée par un vilicus résidant sur place74. Cette régression, qui témoigne d’un recul de la consommation de biens et de services au profit de l’appareil productif, n’est pourtant qu’apparente : loin de traduire un appauvrissement du domaine, elle indique seulement que les gains de productivité sont désormais réinvestis ou « consommés » ailleurs, dans d’autres domaines plus importants ou plus proches de l’agglomération lyonnaise. Dans son évolution ultérieure, qui succède à un incendie survenu au début de l’époque flavienne, la Ces observations ne pourront être validées que par des études réalisées à une échelle territoriale plus large. On se gardera de les généraliser, en l’absence d’analyse intra-site comparable, même si elles sont susceptibles d’être étendues à d’autres villae et établissements agricoles de statut comparable à celui de Goiffieux. Ainsi, par exemple, l’investissement architectural dont a bénéficié la villa de la Grange du bief à Anse (Rhône), avec ses vastes pièces mosaïquées, ses jardins en terrasse et son portique de 150 m de long, est nettement supérieur et celui réalisé dans la villa du Vernai à Saint-Romain de Jalionas 73. — Ae 1988, 874 : Amin(eum) ve(tus) usib(us) Iuli(i) Adiutoris. 74. — MAUNÉ 2003. 4.4. Du site au territoire : lacunes et perspectives PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE : ÉTUDE DE CAS e e Etat 4 (2 - 3 s.) pars rustica aqueduc ? enclos pars vinaria pressoir-fouloir pressoir balnéaire chais ? natatio palestre ? enclos pars urbana ? FIG. 28. — Villa de goiffieux à Saint-Laurent-d’Agny, état 4 (IIe-IIIe s. ap. J.-C.). 31 32 MATTHIEU POUx et AL. considérable. Ils sont associés sur le même site à de grands bâtiments de stockage dotés de planchers surélevés, identifié à des chais ou à des greniers. Leur surface supérieure à mille mètres carré suggère un rôle de centralisation des ressources agricoles locales, peut-être dans le cadre de l’annone76. Fouillée de façon plus extensive, la villa du Vernai dispose elle aussi, d’un appareil productif important et diversifié, matérialisé entre autres par un horreum de capacité moyenne une grande variété d’espèces élevées et cultivées sur place (bovins et porcins, céréales, vigne et fruits divers)77. Les modalités de consommation en vigueur dans d’autres établissements de rang inférieur sont moins faciles à cerner. Les villae caractérisées par un plan complexe mais moins étendu affichent, en règle générale, une déclinaison plus restreinte des marqueurs attestés dans les domaines les mieux pourvus. Certaines d’entre elles ont bénéficié d’un investissement architectural qui n’est pas négligeable, mais sans commune mesure : les bains de la villa des Grandes Terres à beynost, sont plus sommairement aménagés et associés à un seul bassin de taille modeste, tandis que d’autres sites de plan comparable, comme les villae de La boisse ou de Meyzieu, ou encore, celle de Fleurieux-sur-l’Arbresle, n’ont livré aucune trace de tels équipements78. L’absence de décors figurés, d’éléments d’hypocauste ou de placages de marbre est à cet égard très révélatrice même en l’absence de fouilles (fig. 2). Les mobiliers exogènes et les biens de consommation de semi-luxe (sigillée, lampes, instrumentum en bronze) y sont également absents ou beaucoup plus rares. De manière plus générale, les rares études consacrées aux amphores et céramiques en milieu rural confirment que la part d’importations y est très en retrait par rapport à celle mise en évidence dans les habitats urbains de Lugdunum et de Vienne. FIG. 29. — Poisson en verre soufflé et statuette en bronze découverts sur le site de la villa de La dent à meyzieux. D’après Faure-brac 2006 ; béal 2008. (Isère), au moins équivalent75. Les vestiges en cours de fouille sur le site des buissières à Panossas (Isère), interprétés comme ceux d’une villa de l’arrière-pays viennois, comportent des thermes monumentaux aménagés sur plus de 200 m2 et entièrement plaqués de marbre, qui représentent un engagement financier 75. — ROyET et al. 2006 ; FAURE-bRAC 2006, p. 146 sqq. 76. — POUx et al. 2012. 77. — ROyET et al. 2006. Le degré de conservation des vestiges, très différent d’un site à l’autre, doit néanmoins inciter à la prudence. Une approche statistique multicritère, fondée sur le matériel de fouilles récentes, permettra peut-être à terme d’opérer une hiérarchisation pertinente. Quant aux découvertes déjà recensées isolément sur certaines villae, leur analyse approfondie peut parfois réserver quelques surprises : tels ces restes de fruit exotique mis en évidence sur la villa du Vernai (gourde calebasse), ou encore, le 78. — MOTTE, VICHERD 2008 ; FAURE-bRAC 2006, p. 273 sqq. ; SILVINO et al. 2011 ; S. MOTTE, rapport inédit. PRODUIRE ET CONSOMMER DANS L’ARRIèRE-PAyS COLONIAL DE Lugdunum ET DE VIENNE poisson en verre soufflé de La Dent à Meyzieux, pièce rare inconnue à Lyon-même qui fait écho à la statuette trouvée sur le même site (fig. 29)79. mots-clés : Gaule, colonie, villa, économie, ressources agraires, viticulture, matériaux de construction, décors, céramiques. Bibliographie AuBERT 2003 : AUbERT J.-J., « En guise d’introduction. Contrats publics et cahiers des charges », dans AUbERT J.-J. (dir.), tâches publiques et entreprises privées dans le monde romain, Genève, 2003, p. 1-26. AyALA 2013 : AyALA G., Lyon, Saint-georges. 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