Le travail de l’os, du bois de cerf et
de la corne à l’époque romaine :
un artisanat en marge ?
Actes de la table ronde instrumentum,
Chauvigny (Vienne, F), 8-9 décembre 2005
sous la direction de
Isabelle Bertrand
co-édition
monique mergoil montagnac
Association des Publications Chauvinoises
2008
In : I. Bertrand (dir.), Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
(Monographies Instrumentum 34), Montagnac 2008, p. 1-2
SOMMAIRE
INTRODUCTION
Le travail de l’os et du bois de cerf à l’époque romaine : bilan et
perspectives de la recherche sur un artisanat “mineur”
Isabelle BERTRAND – p. 3-13
Technologie des matières dures d’origine animale à l’Âge du Fer en
Europe celtique
Delphine MINNI – p. 15-23
Une grille d’analyse pour décrire et comparer des ateliers de tabletiers ?
Michel FEUGÈRE, Vianney FOREST, Philippe PRÉVOT – p. 25-33
Le travail de l’os dans l’antique Samarobriva (Amiens, F) : première
approche
Annick THUET – p. 35-45
L’artisanat de l’os dans la ville-sanctuaire gallo-romaine du Vieil-Évreux
(Eure). État des connaissances
Laurent GUYARD – p. 47-53
avec la collaboration de S. Bertaudière, S. Zeller, C. Fontaine, J.-P. Goupy
Le travail de l’os à Rennes (Ille-et-Vilaine) à travers un canif à manche
sculpté trouvé 3-5 rue de Saint-Malo
Françoise LABAUNE – p. 55-63
avec la collaboration de G. Le Cloirec
Un atelier de travail de l'os à Chartres au IIIe s. ap. J.-C.
Dominique CANNY, Jean-Hervé YVINEC – p. 65-84
avec la collaboration de D. Labarre, M. Aubrun
Une fabrication de colle d'os dans le quartier de La Grande Boissière à
Jublains (Mayenne) ?
Vianney FOREST – p. 85-100
Le travail de l’os et du bois de cerf à Lemonum (Poitiers, F) : lieux de
production et objets finis. Un état des données
Isabelle BERTRAND – p. 101-144
1
Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
Os, bois de cerf et ivoire à Rom (Deux-Sèvres). Quelques éléments de
réflexion sur l'approvisionnement en matière première et la distribution
des objets dans l'agglomération
Isabelle RODET-BELARBI, Nadine DIEUDONNÉ-GLAD – p. 145-163
Un artisanat de l’Antiquité tardive dans le théâtre de l’agglomération
antique de Drevant (Cher). La production de fusaïoles et autres objets en
bois de cerf et os
Christian CRIBELLIER, Isabelle BERTRAND – p. 165-185
Peignes et étuis en os et bois de cerf du théâtre de Drevant (Cher)
Isabelle BERTRAND – p. 187-193
État des connaissances sur la production de l’os à Orange (Vaucluse, F).
Étude et comparaison des ateliers du travail de l’os
Philippe PRÉVOT – p. 195-229
Les matières dures animales (os, bois de cerf et ivoire) dans la vallée de
l’Hérault : production et consommation
Michel FEUGÈRE, Philippe PRÉVOT – p. 231-268
La collection de tabletterie du Musée romain de Nyon (CH)
Caroline ANDERES – p. 269-274
Travail et décor des médaillons en bois de cerf. Analyse et essai
typologique
Émilie ALONSO – p. 275-281
Différences et identités de la vie quotidienne dans les provinces romaines :
l’exemple de la tabletterie
Sabine DESCHLER-ERB, Kordula GOSTENČNIK – p. 283-309
Letti funerari in osso di età romana: aspetti della produzione e diffusione
alla luce di alcuni rinvenimenti in Lombardia. Presentazione preliminare
di un letto da Cerveteri (Roma)
Chiara BIANCHI – p. 311-334
L’artisanat du bois de cerf à Iuvavum/Salzbourg, Autriche. Les manches
de couteau
Felix LANG – p. 335-342
2
In : I. Bertrand (dir.), Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
(Monographies Instrumentum 34), Montagnac 2008, p. 65-84
Un atelier de travail de l'os à Chartres
au IIIe s. ap. J.-C.
Dominique CANNY
(1)
, Jean-Hervé YVINEC
avec la collaboration de David Labarre
(3)
, Max Aubrun
(2)
(4)
Présentation générale du site
Localisation
La ville de Chartres, l’antique Autricum, cité des
Carnutes (fig. 1), connaît depuis plus de 3 ans un
ambitieux programme d’aménagement urbain mené
dans le cadre du projet “Cœur de Ville”. Chacune des
étapes de celui-ci a été précédée d’interventions
archéologiques adaptées.
La fouille préventive menée par l’Inrap (responsable d'opération : H. Sellès) sur le projet de parking,
de novembre 2003 à décembre 2004, comprend la place
des Épars de plan sensiblement circulaire et une partie
du boulevard Chasles sur 450 m de longueur et 15 m
de largeur en moyenne (fig. 2). Situés en dehors de
la ville médiévale, les terrains qui ont été explorés
correspondent à l’emprise de la ville ouverte du HautEmpire.
Fig. 1 – Localisation d’Autricum en Gaule Lyonnaise.
du site, ne laissant subsister que les structures en
creux.
La fouille a mis en évidence plusieurs îlots de la
ville antique. Sur la place des Épars, ce sont principalement de vastes domus ainsi qu'une zone à vocation
cultuelle qui ont été mises au jour. Le boulevard Chasles
a livré quatre îlots constitués d'habitats plus modestes,
abritant pour certains d'entre eux des artisans, dont un
artisanat lié au travail de l'os. Cette activité, qui fait
l'objet de la présente étude, a été découverte dans un
bâtiment situé en bord de la voie antique n° 4 et dans
une fosse de la zone 5 du boulevard Chasles (parcelles
A et B de l'îlot 3).
Le site
La superficie totale de l'emprise fouillée (place
des Épars et boulevard Chasles) est de l'ordre de
1,5 ha. La place des Épars a révélé des vestiges denses
avec une stratification comprise entre 1,80 m et 1 m
tandis que les vestiges du boulevard Chasles étaient
quasiment arasés ; cet état s'expliquant par la mise en
place du système défensif médiéval qui a fait disparaître
les différents niveaux d’occupation et d’utilisation
(1) Inrap CIF ; dominique.canny@inrap.fr
Je dois remercier Isabelle Bertrand et Max Aubrun pour le temps qu’ils m’ont consacré, les informations et les précieux conseils qu’ils m’ont
apportés. De même, je remercie chaleureusement Dominique Joly, directeur du service municipal d’Archéologie de Chartres, pour les
informations et la documentation qu’il m’a fournies. Je suis également reconnaissante à Jean-Michel Morin (responsable adjoint opération
“Cœur de Ville”, Inrap CIF) et Pierre Perrichon (D.A.O. opération “Cœur de Ville”) pour leur collaboration.
(2) Inrap, CRAVO – UMR 5197 CNRS ; jean-hervé.yvinec@inrap.fr.
(3) Service Archéologique Municipal de Chartres.
(4) Musées de Chauvigny.
65
Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
Fig. 2 – Localisation du site “Cœur de Ville” sur le cadastre actuel.
Fig. 3 – Localisation des structures ayant livré du mobilier osseux travaillé.
66
D. Canny, J.-H. Yvinec – Un atelier de travail de l'os à Chartres au IIIe s. ap. J.-C
Présentation et description des structures
ayant livré des déchets de tabletterie
Les structures dans lesquelles ont été identifiés des
déchets liés au travail de l’os sont localisées dans
l’emprise de l’îlot 3 (fig. 3). Ce dernier est défini par la
voirie 6, orientée est/ouest, et par la voirie 4, orientée
nord-ouest/sud-est. Tous les bâtiments reconnus à
l’intérieur de l’îlot 3 sont perpendiculaires à l’axe de
la voirie 6, à l’exception du bâtiment de la parcelle A
qui est perpendiculaire à la voirie 4. Ce changement
d’orientation est localisé entre la parcelle A et la parcelle B, toutes deux situées au carrefour des rues 6 et 4.
Fig. 5 – Le bâtiment : Vue depuis le sud-ouest (Cliché : D. Labarre).
Le bâtiment de la parcelle A
La fosse de la parcelle B
Le bâtiment est aligné par rapport à la voirie 4 ;
il présente, de ce fait, une orientation sensiblement
différente des autres bâtiments de l’îlot 3. Il est recoupé
au nord par le fossé médiéval et au sud par le fossé du
haut Moyen Âge. Conservé sur une surface d’environ
150 m2, ce bâtiment est divisé en cinq espaces distincts,
deux pièces au rez-de-chaussée et trois pièces excavées
(fig. 5).
Il subsiste peu d’éléments pour définir la parcelle B.
Elle se compose d’un mur (M 5059) qui correspond
à la limite ouest de la parcelle, de la cave 5047, de
deux fosses (F 5013 et F 5009) et d’un alignement de
négatifs de poteaux orienté est-ouest.
Ces vestiges sont orientés par rapport à la voirie 6.
Le mur et la cave sont perpendiculaires à l’axe de
circulation et l’alignement de poteaux lui est parallèle.
Les déchets de tabletterie sont issus de la fosse 5013,
située à l’extrémité ouest de la parcelle.
Les déchets de tabletterie proviennent de deux des
trois espaces excavés situés à l’arrière du bâtiment, les
caves 5019 et 5044.
La fosse, qui n’a pas été fouillée dans son intégralité pour des raisons techniques, présente un plan
approximativement circulaire avec un diamètre proche
des 2,50 m. Son comblement, outre les matériaux de
démolition, a livré des vestiges osseux (fig. 4) ; il s’agit
donc de rejets dans un dépotoir domestique. Ce niveau
a fait l’objet d’un prélèvement à la pelle mécanique,
suivi d’un ramassage des éléments les plus caractéristiques.
Les sols des rez-de-chaussée du bâtiment de la
parcelle A ont entièrement disparu. Les maçonneries du
bâtiment sont arasées jusqu’au radier de fondation, seuls
les murs des caves sont conservés sur une hauteur de
l’ordre d’un mètre.
La période d’occupation du bâtiment A est
datée au plus tard de la première moitié du IIIe s. ap. J.C. (5).
La grande pièce en bordure de voirie est de plan
rectangulaire. Si on restitue l’angle nord de la pièce
recoupée par le fossé médiéval, sa surface est de
70 m2. Le fort arasement ayant entraîné la disparition
complète des niveaux d’utilisation, il n’est pas possible
de connaître ses aménagements intérieurs ni sa fonction.
Dans le fond de la pièce, une structure en creux
(F 5075) présente des caractéristiques qui permettent de
l’associer au bâtiment. Il s’agit d’un creusement oblong
d’une longueur de 3,15 m pour une largeur d’environ
1 m, conservé sur une hauteur de 0,80 m. Le fond de ce
dernier est occupé par un lambeau de maçonnerie en
tegulae et mortier rose hydraulique (possible bassin de
décantation ?).
(5) Les datations sont données grâce à l’étude de la céramique
réalisée par Sébastien Thébaud (CDD Inrap Chartres).
Fig. 4 – Fosse 5013 (coupe).
67
Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
Un autre espace de plain-pied, d’une surface de
15 m2, est présent en arrière du bâtiment, situé entre les
caves 5019 et 5044. Cette pièce, dont le côté sud-ouest
n’est pas fermé, communique avec le couloir d’accès de
la cave 5044.
Les caves 5019, 5044 et 5082 sont aménagées à
l’arrière du bâtiment, leurs surfaces sont à l’origine
identiques (10 m2) et leurs modes de construction
semblables. Les murs sont maçonnés en silex et mortier
de chaux et des négatifs de poteaux en bois sont répartis
dans les maçonneries.
La cave 5082, mitoyenne de la cave 5044, présente
deux états de construction différents. Sa surface initiale
est réduite de 4 m2. Ce rétrécissement de l’espace est dû
au réaménagement du mur nord-est de la cave, qui est
décalé de 1,20 m vers le sud-ouest.
Fig. 6 – Cave 5044 : Vue depuis le sud-ouest (cliché : D. Labarre).
Le substrat naturel constitue le sol des caves 5019
et 5082, celui de la cave 5044 correspond à un niveau de
calcaire damé et d’argile jaune.
découvert dans le fond de la structure 5075, à l’intérieur
de la pièce en façade.
Deux éléments d’une meule (meta et catillus) sont
installés sur la partie médiane du sol de la cave, selon un
axe longitudinal. L’opération “Cœur de Ville” a permis
d’appréhender des aménagements similaires sur le
sol de plusieurs caves. Ces meules sont réemployées
comme supports pour piliers participant au soutènement
de superstructures.
Les déchets de tabletterie proviennent des comblements des caves 5044 et 5019.
La cave 5044
Cette cave de plan rectangulaire occupe une
superficie de 10 m2 auxquels s’ajoutent 4 m2 qui
correspondent à un couloir d’accès (fig. 6) ; son accès
se fait depuis la pièce de plain-pied située à l’arrière
du bâtiment en empruntant un escalier présent dans le
vestibule. Elle est délimitée par trois murs maçonnés en
silex et mortier jaune ; le quatrième mur, au sud-ouest,
a quant à lui entièrement disparu.
Sur le sol de la cave, 19 négatifs de récipients d’un
diamètre moyen de 0,40 m et un espacement de 0,30 m
sont installés le long des murs ; il semble que ces
aménagements aient eu une fonction de stockage.
L’abandon de la cave 5044 est daté par la
céramique de la deuxième moitié du IIIe s. ap. J.-C. Les
remblais qui comblent cet espace excavé sont composés
essentiellement de terre brune meuble et de matériaux
de démolition (fig. 7). Les remblais 5113 et 5129
L’angle nord de la cave, sur sa partie inférieure,
est recouvert d’un enduit rose hydraulique dont la
fonction reste indéterminée. Cet enduit rappelle celui
Fig. 7 – Cave 5044 (coupe).
68
D. Canny, J.-H. Yvinec – Un atelier de travail de l'os à Chartres au IIIe s. ap. J.-C
comportent une forte densité d’enduits peints. Ces
fragments de peintures murales témoignent des rez-dechaussée du bâtiment ; leur étude permettra notamment
d’estimer la hauteur et la nature des murs du rez-dechaussée.
une réelle valeur informative sur le type de production,
les modes opératoires et la partition du travail.
Ces déchets sont scellés par une succession de
remblais composés essentiellement de limons charbonneux mêlés à des matériaux de démolition. La
céramique issue des comblements date l’abandon de la
cave dans le courant du IIIe s. ap. J.-C.
Les déchets de tabletterie proviennent essentiellement du remblai 5046.
La cave 5019
Le mobilier osseux travaillé découvert en
position secondaire
La cave 5019 est située à l’extrémité nord-ouest
du bâtiment ; elle est de plan et de surface identiques à
la cave précédente.
L’expression “mobilier osseux travaillé” comprend
l'ensemble des artefacts issus des différentes étapes de
la chaîne opératoire : déchets liés à la sélection et à la
préparation de la matière, rebuts de taille, objets en
cours de façonnage, objets semi-finis et les objets finis.
On y accède depuis le nord-est par une ouverture
large de 0,80 m, située entre le mur M 5106 (mur nordest) et le mur M 5100 (mur sud-est). L’extrémité sudest du mur M 5106 est maçonnée en tegulae et mortier,
avec un parement régulier ; cette portion correspond
à l’encadrement d’une porte fermant l’accès à la cave.
La partie supérieure du mur M 5104 (mur nord-ouest)
présente un soupirail constitué de moellons de calcaire
équarris. Ces derniers (ou ces éléments), qui se retrouvent dans les comblements de la cave, reposent sur
un remblai comprenant majoritairement des déchets
de tabletterie (fig. 8). Ces déchets, répartis sur une
épaisseur variant de 5 à 10 cm, jonchent le sol, du seuil
de l’entrée jusqu’au fond de la cave.
Ce mobilier est caractérisé par deux types de
dépôts sur le site.
Le premier comprend des déchets découverts
en position secondaire dans les comblements de deux
structures (la fosse 5013 et la cave 5044). Le second
ensemble regroupe une concentration de déchets
localisés sur le sol de la cave 5019.
Le mobilier osseux travaillé de la fosse 5013
Le mobilier provient du comblement inférieur
d'une fosse dont la fonction originelle reste inconnue.
Toutefois, la position et la nature des déchets issus du
remblai révèlent qu'elle a été utilisée comme dépotoir
avant son abandon.
Cette quantité importante de déchets indique
la proximité d’un atelier de tabletterie, la cave ayant été
utilisée comme une zone de rejet sélectif liée à cette
activité. La séquence stratigraphique qui les contient
était en place, contrairement à la cave précédente, et
peut donc être considérée comme directement liée à
l’activité de l’artisan. Elle possède de ce point de vue
Les éléments recueillis sont majoritairement représentés par des déchets de débitage avec 38 épiphyses
Fig. 8 – Cave 5019 (coupe).
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Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
de bœuf sciées sur une extrémité
(fig. 9a) et 21 tronçons de diaphyses
sciés sur une partie et cassés sur
l'autre (fig. 9b). Des plaquettes
(fig. 9c) et des baguettes apparaissent
en quantité moindre avec 11 exemplaires. Ces déchets résultent de la
Fig. 10 – Mobilier osseux travaillé dans la cave 5044.
fabrication de charnières, d'épingles
On dénombre 105 tronçons de diaphyses sciés à
ou de plaquettes décoratives. Trois fûts représentent les
une extrémité et fragmentés sur l'autre, en associaobjets semi-finis et le seul produit fini est une épingle à
tion avec 79 épiphyses sciées de métatarses de grand
tête plate dont la pointe a été retaillée après cassure.
ruminant. Ce lot, qui correspond à des déchets de
débitage, est associé à des éléments caractéristiques
Le mobilier osseux travaillé de la cave 5044
de la fabrication d'épingles comme des fûts, des
épingles ratées (fig. 11a), des plaquettes (fig. 11b) et
Le mobilier provient des quatre dernières couches
des baguettes.
de comblement de cette cave, l'une d'elles (US 5046) a
livré près de l'intégralité des déchets (fig. 10).
Au sein de ces dernières, deux types sont
distingués (fig. 11c) ; le premier est constitué de
a
a
b
b
c
Fig. 9 – Fosse 5013 : a. Épiphyses sciées ; b. Tronçons de
diaphyses sciés ; c. Plaquettes (Clichés : D. Canny).
c
Fig. 11 – Cave 5044 : a. Matrice d'épingle et épingles semi-finies ;
b. Plaquettes ; c. Groupes de baguettes (Clichés : D. Canny).
70
D. Canny, J.-H. Yvinec – Un atelier de travail de l'os à Chartres au IIIe s. ap. J.-C
baguettes déchets qui sont des éléments de section
quadrangulaire à terminaison biaise dont une des faces
porte des traces de scie. Le deuxième type correspond
à des baguettes taillées par facettes, dont le sommet
plat est obtenu par sciage et dont l'autre extrémité est
fragmentée. Ces éléments sont les matrices d'épingles
ou d'aiguilles.
Ces deux lots distincts illustrent deux stades de
la préparation de la matière première. Les baguettes
presque brutes correspondent à des rebuts résultant d’un
enlèvement de matière, les secondes ont subi un début
de façonnage avant cassure.
Le mobilier osseux travaillé en situation de dépôt
primaire dans la cave 5019
Fig. 12 – Déchets osseux (US 5053) dans la cave 5019 : Vue depuis
le sud-ouest (Cliché : D. Labarre)
rition du niveau de déchets. Son prélèvement a été
effectué selon un carroyage composé de douze carrés
couvrant toute la superficie de la cave et permettant
ainsi de prélever la totalité du mobilier osseux. Un
tamisage de l'ensemble a permis d'extraire plusieurs
groupes de déchets issus de chaque carré de prélèvement, numéroté de 5274 à 5285 (fig. 13) (6).
Le protocole de prélèvement du dépôt (US 5053)
La fouille manuelle de la moitié de la cave 5019
a permis de mettre au jour un niveau composé de
sédiments et d’une forte proportion de déchets osseux
(US 5053) recouvrant le sol de la cave (fig. 12). L’autre
moitié a été fouillée mécaniquement jusqu’à l’appa-
Fig. 13 – Carroyage sur le niveau de déchets osseux de la cave 5019.
(6) À l'issue de cette étape, deux carrés (5279 et 5283) ont disparu et ne sont donc pas pris en compte dans la présente étude.
71
Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
Les groupes de déchets
de cette partie que la région de la surface articulaire
pour l’ulna qui occupe le revers caudal de l’extrémité
proximale du radius (fig. 16). Tous ces os sont issus
d’animaux adultes ou sub-adultes”.
Le dépôt est constitué d'environ 120 kg de déchets
dont la caractérisation permet de définir quatre groupes
(fig. 14).
Fig. 16 – Localisation de la matière sélectionnée sur le bœuf
(Dessin : M. Coutureau (Inrap) d'après R. Barone, Anatomie
comparée des mammifères, t. 1. Éd. Vigot, 1976).
Fig. 14 – Récapitulatif des déchets osseux issus de la cave 5019.
Le second groupe est composé de 60 kg de
fragments d'os mélangés ayant subi un début de
façonnage (fig. 17a). Ce sont des esquilles et des éclats
de petits et moyens modules qui correspondent à des
chutes engendrées par des découpes et des cassures
dans la matière. Le tri de ces éléments est en cours afin
de pouvoir mieux les appréhender dans le cadre d'un
complément d'étude.
Le premier, représenté par 35 kg de fragments d'os
longs, correspond à des déchets liés à la récupération de
matière lors des étapes de débitage (fig. 15).
Le troisième ensemble est représenté par 22 kg de
minuscules fragments (fig. 17b ; 18a et b) résultant d’un
enlè-vement de matière à l'aide d'outils tranchants (10 g
correspondent environ à 2 000 fragments). M. Aubrun,
a
Fig. 15 – Fragments d'os longs “in situ” dans la cave 5019
(Cliché : D. Labarre).
B. Clavel, ayant réalisé une première observation
archéozoologique, précise qu’“une nette prédilection
se dessine pour les os longs aux formes rectilignes
comme les radius. On notera en moindre quantité la
présence de tibia, d’humérus et de fémur. À première
vue, c'est le bœuf qui prédomine. La majeure partie
des déchets est donc constituée de radius, témoins du
prélèvement et du dégrossissage des pièces intéressantes
et dont il ne subsiste plus sur place que les extrémités.
On note, par ailleurs, principalement des parties
proximales (fraction supérieure de l’os qualifiée
quelquefois de “tête de radius”). Il ne subsiste en réalité,
b
Fig. 17 – a. Esquilles de petits et moyens modules ; b. Éclats.
72
D. Canny, J.-H. Yvinec – Un atelier de travail de l'os à Chartres au IIIe s. ap. J.-C
qui en a étudié un échantillon, identifie deux types
d’éléments (fig. 18a et b) :
- type a : plat, plutôt ovoïde, avec une face convexe
(fig. 18a et c, n° 1 et 2)
Éch. : 2/1
a
- type b : pyramidal ou trapézoïdal et de section triangulaire (fig. 18b et c, n° 3)
b
Ces types, qui sont présents dans des proportions
approximatives de 2/3 - 1/3, attestent l’utilisation d’un
outil en forme de cuillère du genre gouge (fig. 18d et e) ;
il est possible de restituer l’ordre de leur enlèvement :
deux gestes successifs et identiques enlèvent deux fragments de type a, un troisième geste fournit un fragment
de type b (fig. 18c). Les quantités relatives pour chaque
type de rejets sont logiques, les premiers gestes couvrant
une superficie plus importante de matière.
c
0
3 cm
Ces déchets sont mêlés à de la poudre qui provient
de la découpe à la scie, mais pour l’observation de
laquelle nous ne disposons pas de points de comparaison fournis par l’archéologie expérimentale. Le tri
de cet échantillon de déchets amène à quelques constats
qui pourraient initier une recherche approfondie des
chaînes opératoires nécessaires à la fabrication des
cochlearia.
Le quatrième lot comprend des ébauches et
des objets semi-finis cassés en cours de fabrication
(fig. 19). Les fragments se rapportent majoritairement à
388 ébauches de cuillères de type cochlear. On recense
aussi 286 baguettes découpées grossièrement et qui sont
facettées à des degrés différents. Des épingles semifinies ou épingles cassées en cours de fabrication sont
d
e
Fig. 18 – a et b. Déchets de très petit module ; c. restitution du
procédé d’enlèvement, vu par dessus et en coupe ; d. type de
gouge utilisé ; e. façon supposée de tenir la gouge.
Fig. 19 – Tableau de comptage
des ébauches dans la cave
5019 (US 5053).
73
Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
irrégulières car elles sont facettées de manière inégale
(largeur comprise entre 10 à 4 mm). Il s’agit à l’évidence de déchets de taille (rebuts et ratés) ;
2. Baguettes semi-grossières : baguettes dressées au
ciseau par facettes, fragmentées aux extrémités et de
largeur inférieure à celles observées sur les baguettes
grossières. Leur section comporte 5 ou 6 faces (ép. 2 à
7 mm) ;
3. Baguettes à sommet pyramidal : baguettes dressées
au ciseau par facettes dont une extrémité est terminée
par un sommet pyramidal. Leur section est souvent
hexagonale (ép. 3 à 5 mm). D'après J.-Cl. Béal (Béal
1984, 15), il s'agit vraisemblablement d'ébauches
d'épingles (fig. 22).
Fig. 20 – Épingles cassées en cours de fabrication (Cliché :
D. Canny).
également présentes en moindre quantité (fig. 20). La
diversité des ébauches de cuillères et de baguettes
a permis d'établir un classement pour chacun de ces
groupes.
Classement des baguettes
Sont rassemblées ici des baguettes découpées
grossièrement et facettées à des degrés différents
(fig. 21). Ainsi, nous distinguons ces éléments par leur
épaisseur et par leur section. Elles correspondent à des
enlèvements de matière (rebuts) ou bien à des fragments
d'objets cassés en cours d'élaboration (manches de
cuillères, fûts d'épingles ou d'aiguilles ...).
Fig. 22 – Exemple de fabrication d'une épingle : de l'ébauche à
l'épingle (Cliché : D. Canny).
1. Baguettes grossières : les extrémités des baguettes
sont fragmentées. Les sections et les surfaces sont
4. Baguettes affinées : baguettes de section ovale à
circulaire (diam. 2 à 4 mm) sur lesquelles les facettes
sont estompées tout en restant visibles car elles ont
subi un début de polissage. Ces éléments peuvent
correspondre soit à des fûts d'épingles, d'aiguilles ou à
des manches.
Proposition de restitution de la chaîne opératoire relative
à la fabrication de cuillères
À partir des 388 fragments (fig. 23) d'ébauches
de cuillères (EC est l'abréviation employée), une
classification a été réalisée afin de restituer les étapes
de fabrication d'un cochlear (fig. 24).
2
1
Le classement est le suivant :
EC 1 : le cuilleron est grossièrement ébauché, plus
long que large et cassé à la base ; il est de forme
grossièrement hexagonale, plat sur la face interne et
facetté sur la face externe (enlèvement dans le sens
longitudinal de la matière). Le manche n'est pas encore
esquissé.
4
EC 1a : le cuilleron, grossièrement ébauché, est
identique au précédent. La distinction porte sur la
présence d'une encoche latérale. Le cuilleron est
considéré comme ébauché jusqu'à la fin de la seconde
3
Fig. 21 – 1. Baguettes grossières ; 2. semi-grossières ; 3. à sommet
pyramidal ; 4. affinées (Clichés : D. Canny).
74
D. Canny, J.-H. Yvinec – Un atelier de travail de l'os à Chartres au IIIe s. ap. J.-C
étape (EC 2c) puisqu’il garde une forme hexagonale,
qu’il est plat sur la face interne et facetté sur la face
externe.
EC 2 : le cuilleron est ébauché. La présence d'une
encoche de chaque côté du cuilleron permet de distinguer les éléments de cette catégorie de ceux de la
catégorie EC 1. Le cuilleron est fragmenté au niveau
du départ du manche ; il n'est donc pas possible de
déterminer la section ni l’état d'avancement de ce
dernier. L’attribution au type 2a, 2b ou 2c est donc
impossible.
EC 2a : le cuilleron est ébauché et se poursuit par un
manche large, grossièrement ébauché (l. 12 à 17 mm)
dont le départ est matérialisé par une encoche diagonale
de chaque côté de la base du cuilleron.
EC 2b : manche dégrossi qui garde une largeur
importante. La section est quadrangulaire voire rectangulaire (largeur comprise entre 6 et 11 mm). À ce stade,
le manche est aminci en largeur avec un enlèvement de
matière sur les bords.
EC 2c : cuilleron à manche facetté dont la section ovale
à circulaire est affinée et se rapproche de celle du
manche final (largeur et épaisseur comprises entre 4 et
6 mm).
EC 3a : cuilleron de forme hexagonale, dont la face
interne est évidée ou en partie évidée. La face externe
reste facettée. Le manche est au même stade d'avancement que sur les manches de la catégorie précédente
EC 2c (fig. 25).
Fig. 23 – Classement des ébauches de cuillères par catégorie
(Cliché : D. Canny).
EC 3b : même état d'avancement que le groupe
précédent mais le sommet du manche se poursuit sous
le cuilleron avec un chevron esquissé.
Fig. 24 – Chaîne opératoire relative à la fabrication des cuillères.
75
Fig. 25 – Ébauches EC 3a, EC 3b et EC 3c (Cliché :
D. Canny).
Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
EC 3c : cuilleron évidé de forme hexagonale qui porte un
chevron au revers au départ du manche sous le cuilleron.
Le manche facetté est de section ovale à circulaire.
bovins. On a recherché spécifiquement certaines pièces
ainsi que le recrutement anatomique restreint à quelques
os longs. Une nette prédilection se dessine pour les os
longs aux formes rectilignes, comme les radius. Les
tibia, les fémur et les humérus apparaissent en quantité
moindre (fig. 26 et 27).
EC 4 : cuilleron évidé sur la face interne suivant une
forme circulaire. Le contour du cuilleron commence à
être découpé suivant une forme circulaire mais il reste
irrégulier. La face externe est irrégulière et porte des
traces de râpe. Un chevron est visible sous le cuilleron
qui se poursuit par un manche facetté non encore poli.
Parmi les 17 fragments de cuillères évidées au
contour de forme presque circulaire (EC 4), 15 ne sont
que des petits fragments de cuillerons, un seul cuilleron
est complet et, enfin, il n'y a qu'un seul exemple qui ait
conservé le départ du manche.
Fig. 26 – Répartition anatomique par os pour le carré 5282 en
nombre, poids de restes et nombre minimal d'individus.
Description archéozoologique du dépôt de la
cave 5019
L'étude des déchets osseux permet d'approcher les
questions touchant à l'approvisionnement en matière
première, les espèces concernées, le choix des os et
les étapes de préparation du travail. Une description
générale du dépôt est présentée dans une première
partie. Ensuite, les types de déchets qui le constituent
sont décrits afin de servir de référence à de futures
identifications menées sur d’autres lots de déchets
isolés. La répétitivité des contenus par carré nous a
amené à sélectionner le carré le plus représentatif afin
de réaliser des décomptes quantitatifs. Des observations
qualitatives sur les autres carrés viennent en complément.
Quant aux restrictions, elles tiennent à la très petite
taille de la fenêtre que nous ouvrons, puisque seul est
concerné, ici, le dépôt du fond de la cave de l'atelier.
Pour avoir une vision d'ensemble, l’observation de
l'ensemble des dépôts osseux de l'atelier et des structures avoisinantes apparaît comme nécessaire dans une
étude complémentaire.
Fig. 27 – Proportions des différents os représentés au sein du dépôt
5282 en nombre, poids de restes et nombre minimal d'individus.
Curieusement les métapodes, qui sont pourtant
utilisés dans d'autres fabrications au sein de cet atelier,
n'ont absolument pas été mis à contribution ici. L'observation des fragments d'ébauches encore présents parmi
les déchets permet de proposer une hypothèse. Les
ébauches de cuillerons de forme hexagonale à face
interne plane ou creuse sont probablement tournées
ultérieurement afin de former la partie concave de la
cuillère.
Présentation de l'échantillonnage
Les investigations portent sur un des trois carrés
qui est le plus représentatif, le lot 5282. Des observations qualitatives sur le reste du matériel viennent
compléter les décomptes quantitatifs.
Or, il semble que l'artisan choisisse judicieusement l'emplacement du cuilleron de manière à profiter
des concavités/convexités naturelles des os sélectionnés ;
ce qui exclut assez naturellement les métapodes qui ont,
par ailleurs, d'autres qualités permettant de tirer, par
exemple, des tubes ou des plaques. Ainsi la partie distale
du radius répond parfaitement à ce besoin de concavité
à une extrémité, tout en assurant une partie plane et
droite, suffisante pour tailler un manche, grâce à la
diaphyse attenante. D'ailleurs cette partie distale est
Lorsqu’il apparaît nécessaire de compléter les
décomptes quantitatifs, des observations qualitatives
sont réalisées sur le reste du matériel.
La phase de détermination a rapidement mis en
évidence le caractère mono-spécifique de l'approvisionnement qui repose uniquement sur des ossements de
76
D. Canny, J.-H. Yvinec – Un atelier de travail de l'os à Chartres au IIIe s. ap. J.-C
sous-représentée au sein des fragments de radius-ulna.
L'artisan plébiscite en tout cas cet os puisqu'il représente
75 % des effectifs quel que soit le mode de comptage
adopté.
que les éclats de petits et moyens modules fournissent
quasiment le double du poids de ceux des gros déchets.
Caractérisation initiale du dépôt
On remarque toutefois que la conformation des os,
et en particulier celle du radius-ulna, favorise ce couple
à plusieurs niveaux. En effet, la présence de l'ulna et sa
“soudure” au radius impliquent un traitement spécifique de cette partie. Le tabletier doit se débarrasser au
préalable de cette partie gênante et inutile.
Pour les besoins de l'étude sur la tabletterie et à
partir des résultats des tamisages, D. Canny a défini
plusieurs groupes de déchets (fig. 14).
L'exemple qui suit permet de transcrire partiellement ce considérable émiettement de l'os qui se produit
au fur et à mesure de l'activité.
Cela génère donc des déchets plus grands et plus
facilement identifiables (fig. 28). Mais, même en tenant
compte d'un possible effet de sur-représentation d'un
couple meilleure représentation/meilleure détermination,
il n'en demeure pas moins que cet os a fait l'objet d'un
choix très largement majoritaire.
Deux photographies, prises à partir d'un lot
conservé depuis la fouille (hors tamisage des esquilles
non présentes ici), illustrent bien cette réalité (fig. 29a et
b).
L'un des objectifs visé par cette description, tout
en étant complémentaire de ce qui vient d'être présenté, consiste aussi à fournir des données de référence
a
b
Fig. 29a et b – Comparaison des proportions des quantités de gros
et menus déchets générés au sein de l'atelier (Clichés : J.-H.Yvinec).
Seuls 20 os, formant le corpus du premier groupe
de D. Canny, ont été retirés entre ces deux clichés.
Ils permettent de se rendre compte de l'ampleur de la
fragmentation produite et de la quantité de menus
déchets que génère l'artisan. Sur la figure 29b les plus
gros fragments ne dépassent guère 2 cm et les plus
petits avoisinent les 2 mm. Ceci doit correspondre au
groupe 2 de D. Canny et témoigne de la maille du
premier tamis utilisé.
Fig. 28 – Déchets de grande taille associant l'ulna et le bord du
radius de bœuf (Cliché : J.-H. Yvinec).
applicables à l’identification de futurs dépotoirs de
tabletier. Il est important de souligner le caractère
inhabituel de la découverte d’un dépôt de cette nature
car il est constitué d’ébauches et de déchets qui
permettent de proposer une restitution de la chaîne
opératoire liée à la fabrication de cuillères.
Si cette classification rend assez bien compte de
l'ensemble, il y a beaucoup à dire dans le détail. En effet,
il convient de réfléchir aux classes de tailles d'os et
de trouver une description bien adaptée à ces lots
particuliers, fruits de la fragmentation produite par le
travail des artisans et par la sélection induite par les
mailles de ramassage ou de tamisage des archéologues.
Nous avons ici des lots qui correspondent à du
ramassage à la main d'un côté et à des tamisages de
l'autre. Il y a donc nécessité de redonner une unité de
traitement.
On décline donc cette description avec des moyens
visuels et statistiques de la phase terrain à la phase
analytique.
Durant la phase de fouille, le principal carré se
présente comme un assemblage d'os de taille assez
importante (fig. 15). Il s'agit en fait des nombreux
fragments de radius-ulna figurés plus haut. Sans doute
pour les besoins de la photo, la poussière d'os déjà
présente à ce niveau a-t-elle été balayée. La réalité des
chiffres issus du prélèvement et des tamisages est bien
différente puisque le tableau de décompte fait apparaître
Décomptes détaillés du carré 5282
Ces décomptes, à l'origine de la figure 30, avaient
pour but de déterminer les choix de l'artisan en matière
77
Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
d'espèce et d'os. Au cours de l'enregistrement, nous
avons affiné nos catégories afin d'avoir une meilleure
perception de la fragmentation et des formes qu'elle
prend. Parmi les os déterminés, les fragments de tibia
se présentent presque tous sous forme de morceaux
quadrangulaires plats d'un module moyen de 5 x 5 cm.
Seuls quelques fragments distaux de l'ensemble de la
diaphyse déparaient cet ensemble assez homogène.
Pour les humérus, on observe aussi une majorité de
fragments plats avec, à côté, trois demi-diaphyses
complètes (non utilisées ?). Les déchets de fémur se
concentrent dans la partie distale, inutilisable à cause
d'une zone en creux et de la partie proximale qui
présente un fort relief. La taille des fragments varie de
5 à 8 cm de long.
Ces fragments de diaphyses d'os longs de bovins
(fig. 32) fournissent à eux seuls les deux tiers de
l'échantillon des “os longs découpés” correspondant à
ceux de la classification initiale.
Pour le radius, nous avons séparé en deux grandes
catégories les déchets :
- la première catégorie (cat. 1) est représentée par
les grands fragments associant ulna et côté du radius
(fig. 28) ;
- la deuxième catégorie (cat. 2) regroupe les nombreux
éclats de radius, fruits de la poursuite du travail.
Fig. 32 – Fragments d'os longs de bovins, catégorie 1, résultant de
la préparation de plaques nécessaires à la fabrication des cuillères.
Autant les os de la catégorie 1 sont de grande taille
(poids moyen = 30 g) et facilement identifiables, autant
ceux de la catégorie 2 sont nettement plus petits (poids
moyen = 11 g) et plus difficiles à classer (fig. 30).
Reprise des données des tamisages
Les données du tamisage sont insérées dans une
perspective globale afin de pouvoir intégrer l'ensemble
des résultats de manière homogène. En réadaptant les
classes de taille des déchets, les données sont affinées.
Une première série de tests a permis de retrouver
la maille des tamis utilisée ; l'information étant perdue
Fig. 30 – Décomptes en nombres et poids de restes pour le carré
5282.
Ils font le lien avec les deux catégories “Os long”
qui regroupent l'ensemble des grands éclats générés
par le travail de refente et de préparation. Les deux
catégories sont assez arbitraires et la catégorie “Os
long cat. 2” a surtout été créée de manière à pouvoir
garder la trace de baguettes et d'éclats longs (fig. 31),
témoignant de l'affinage des plaques dans lesquelles
l'artisan va finalement tailler les cuillères.
D'ailleurs, on n’a pas cherché à isoler systématiquement ce type de pièce de celui de la catégorie 1,
d'autant qu'il existe une variation continue.
Fig. 31 – Éclats longs en baguettes témoignant de l'affinage des
plaques dans lesquelles sont taillées les cuillères.
78
D. Canny, J.-H. Yvinec – Un atelier de travail de l'os à Chartres au IIIe s. ap. J.-C
du fait de l'intervention de plusieurs
partenaires sur cette opération. Deux
tamis très classiques de 2 mm et de
0,5 mm ont donc été mis en œuvre.
Les éléments restants dans le tamis
de 500 microns sont tellement fins
qu'aucune subdivision n'a été effectuée (fig. 33). Pour la suite de l'étude,
les données fournies par D. Canny
ont été utilisées et concernent le
poids d'un lot d'esquilles, soit
2 000 esquilles = 10 grammes.
Fig. 35 – Proposition de dénombrement de l'ensemble des esquilles, éclats et fragments de
la cave 5019.
Synthèses des données sur la fragmentation
Finalement, nous obtenons des classes dont les
poids sont relativement similaires (fig. 35). Ceci donne
une relative homogénéité à l'ensemble, au moins sur ce
plan.
Les comparaisons sont très instructives pour de
futures études à mener sur de tels lots (fig. 36).
Fig. 33 – Aspect des esquilles les plus fines entre 2 et 0,5 mm.
En revanche, les éléments qui se situent entre le
ramassage à la main par prélèvement en mottes et
le tamis de 2 mm présentent une variation de taille
importante (de 4 à 2 mm environ). On peut donc
envisager de rescinder le lot issu du tamisage recueilli à
2 mm. Un premier test de tri manuel, ayant conduit à
réaliser trois catégories de taille, nous avons utilisé des
tamis adaptés pour trier de nouveau cet ensemble par
tamisage. Les trois catégories sont définies dans un
tableau (fig. 34) et correspondent à une répartition en
poids très équilibrée.
Fig. 36 – Représentation graphique du dénombrement de
l'ensemble des esquilles, éclats et fragments de la cave 5019.
La part des os ramassable à la main n'est que de
30 % en poids et, avec moins de 0,05 % en nombre de
restes, elle apparaît finalement négligeable par rapport
à l'énorme quantité de fragments et d'esquilles issue
des tamisages. On remarquera d'ailleurs que la part des
poussières reste l'inconnue de notre équation, mais
qu'elle n’est sans doute pas négligeable. Les microesquilles, issues du tamis de 0,5 mm, ne représentent
que 19,2 % du total en poids, mais, au minimum
66,2 % en nombre de restes. En valeur absolue, les
chiffres sont vertigineux puisqu'on approche les
4,6 millions de fragments. Plus on descend en taille ou
en poids moyen, et plus vite s'accroît la quantité de
Un lot de tamisage, issu du carré 5282, a donc été
re-tamisé à sec, en trois sous-échantillons à peu près
égaux grâce à des tamis de 6 x 6 mm et de 4 x 4 mm.
Fig. 34 – Dénombrement d'un lot tamisé d'esquilles, éclats et
fragments.
79
Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
restes, de manière quasi logarithmique (fig. 37). Le
nombre de fragments est d'ailleurs représenté sur un axe
logarithmique de manière à ne pas trop compacter le
graphique.
En quantité moindre, d'autres déchets attestent
la préparation d'éléments découpés dans la matière
et qui apparaissent sous la forme de plaquettes ou de
baguettes. Enfin, une petite quantité d'objets semi-finis
(fragments de fûts polis et d'épingles) reflète un travail
final de mise en forme et permet d'identifier le type
d'objet fabriqué.
Bien qu’évacués hors de l’atelier dans des
dépotoirs domestiques, on peut considérer les vestiges
osseux comme représentatifs de la production dont ils
sont issus. Cependant, leur position stratigraphique dans
ces dépotoirs indique un rejet non différencié résultant
d’un nettoyage de l’espace de travail.
Le dépôt de la cave 5019
Dans la cave 5019 du bâtiment en bordure de
voirie, la découverte du mobilier osseux revêt un caractère exceptionnel. Pour la première fois, l’intégralité des
fragments et des déchets relatifs à la fabrication d’objets
a été exhumée, grâce à un protocole de prélèvement
appliqué à la totalité du niveau de déchets.
Fig. 37 – Poids moyen des fragments par rapport au nombre de
fragments.
De ce fait, il est possible de restituer la chaîne
opératoire relative à la fabrication d'un type d'objet
et d’en identifier les nombreuses étapes, notamment
pour les cuillères, ce qui est, à notre connaissance, une
démarche inédite. Plusieurs constats peuvent être
avancés à l'issue des précédentes observations.
Interprétations
L’analyse des données précédentes permet d’avancer
un certain nombre d’interprétations.
- L’étape de préparation de la matière est attestée grâce
aux fragments d’os longs découpés. Il s'agit majoritairement de fragments de radius de bœuf dans lesquels
les ébauches sont taillées grossièrement avant d’être
progressivement mises en forme ;
Le mobilier découvert en position secondaire
Les éléments recueillis en position secondaire
(dans une séquence de remblaiement) dans la fosse 5013
ainsi que dans la cave 5044 ont des caractéristiques
similaires. Au total, 117 épiphyses sciées recueillies
dans les deux structures témoignent de la récupération
de la matière. Le second groupe de déchets, représenté
par 128 tronçons de diaphyses, atteste l'étape de la
préparation de cette matière. L'utilisation de la scie, à
cette occasion, est révélée par les traces visibles sur
quelques tronçons de diaphyses (fig. 38).
- L'abondance d’esquilles et de fragments de petits
et moyens modules résulte de plusieurs étapes de
façonnage, dont l'élimination du surplus de matière,
et correspond aussi aux rebuts engendrés par les
découpes et les cassures ;
- Parmi les objets ébauchés et cassés, quelques épingles
sont associées au groupe des cuillères et témoignent de
la nature des objets fabriqués ;
- L’étape de mise en forme de la cuillère qui consiste
à séparer la base du cuilleron et le départ du manche
engendre beaucoup de ratés, comme l’illustre la forte
proportion de fragments de cuillerons cassés au départ
du manche (le groupe EC 2) et aussi la grande quantité
de baguettes. Trois des quatre groupes de baguettes
(baguettes grossières, semi-grossières et affinées) peuvent
correspondre aux manches cassés des cuillères en cours
de fabrication et se rapporter à l'une des étapes de
façonnage du manche.
Fig. 38 – Traces de scie sur un tronçon de diaphyse
(Cliché : D. Canny).
80
D. Canny, J.-H. Yvinec – Un atelier de travail de l'os à Chartres au IIIe s. ap. J.-C
La caractérisation des fragments met en évidence
l’absence d’ébauches cassées au moment du polissage
et indique que cette étape finale est vraisemblablement
réalisée à un autre endroit.
l’hypothèse selon laquelle la fosse 5075, contemporaine
de l'utilisation du bâtiment, ait pu recevoir, en raison
de sa technique de construction (tegulae et mortier
hydraulique), les os mis à tremper dans un bain contenant
une solution à base de chaux ou de soude.
En effet, parmi les cuillères dont le degré de
façonnage est bien avancé, les faces externes des
cuillerons gardent un aspect irrégulier non poli et le
manche affiné garde ses facettes. Dans le groupe des
baguettes, certains exemplaires sont affinés comme s’ils
avaient subi un début de polissage, bien que les facettes
restent visibles.
Discussion sur l'approvisionnement
La question de l'approvisionnement en matières
premières de l'atelier est une problématique importante.
Différentes interrogations sous-jacentes lui sont liées.
D'où viennent les os ? Ou encore, l'artisan ou les artisans
se procurent-ils eux-mêmes la matière ou ont-ils recours
à un intermédiaire préparateur ?
Une première observation des esquilles vient
conforter cette idée. Ainsi, nous l’avons vu précédemment, les observations réalisées à la loupe binoculaire
ont amené à distinguer deux types d’esquilles correspondant à des enlèvements à la gouge (fig. 18). L’étude
préliminaire des petits et moyens modules d’os aboutit
au même constat. C'est l'utilisation d'une gouge, de
dimension supérieure, qui semble avoir engendré les
déchets du second groupe. Cet outil a laissé des traces
sur quelques ébauches et son utilisation entre donc
dans la mise en forme d'un objet comme les cuillères
(fig. 39).
La lecture attentive des restes disponibles permet
de répondre à certaines de ces questions et de poser des
hypothèses pour les autres.
Bien qu'elles soient noyées au sein d'un corpus
vaste et varié, certaines traces de découpe sont très
significatives.
En effet, on a pu observer sur des diaphyses bien
conservées des traces de découpes/décarnisations,
pratiquées à coups de couperet, caractéristiques des pratiques des grandes boucheries/abattoirs gallo-romains.
Ces traces, très peu économes de l'outillage, témoignent
probablement d'une découpe à rouge. Cette terminologie bouchère moderne signifie que l'on laisse des
parties de muscles (rouge) à la surface de l'os lors de
l’étape du désossage, en privilégiant la vitesse d'exécution.
D'un point de vue archéozoologique, elle se
traduit, à notre sens, par l'enlèvement de copeaux à
la surface de l'os et par l'utilisation systématique du
couperet ou de la feuille de boucher. Il en résulte une
prolifération de traces typiques à la surface de l'os que
l'on ne rencontre dans aucun autre cas. Ces découpes
sont observables sur quelques fragments de diaphyses
de grande taille, mais aussi, et de manière beaucoup
moins lisible, sur une multitude de fragments de faible
taille.
Fig. 39 – Traces de gouge sur une ébauche de cuillère (Cliché :
D. Canny).
La gouge comme la scie sont des outils plus faciles
à transporter qu’un tour. Le fait de ne trouver dans les
déchets que de grosses esquilles avec ou sans trace
d’outil tranchant (parage de la matière première) et,
d’autre part, de n’avoir que des ébauches cassées nous
amène à penser que le lieu où ces déchets ont été
retrouvés s’apparente plus à un site de récupération de
matière première avec une phase d’ébauchage grossier,
que d’un atelier proprement dit.
Cette signature des grandes boucheries est telle
que l'on peut, avec un grand degré de confiance, leur
attribuer la provenance de la matière première de nos
artisans. Cet approvisionnement auprès d'une source
quasi industrielle remplissant des conditions de régularité et de quantité apparaît des plus logiques. Encore
fallait-il pouvoir le prouver.
Cet approvisionnement se fait-il de manière
directe ou bien via un intermédiaire préparateur ? La
question est complexe et implique que l'on puisse
pousser la réflexion. On sait qu'il existe, dans le monde
romain (Lignereux, Peters 1996), une grande variété
de métiers liés aux activités artisanales de la viande, de
Enfin, dans le cadre de la préparation de la matière,
la décarnisation des métapodes devait sans doute
s'effectuer au sein de l'atelier selon une méthode qui
n'a pas laissé de trace probante. Nous pouvons avancer
81
Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
l'os ... Ici, nous devons considérer deux grandes
catégories de gestes et de préparation :
Considérations sur l’atelier
Le bâtiment de la parcelle A (cf. chapitre Présentation et description des structures ayant livré des
déchets de tabletterie, p. 67) pourrait être identifié
comme un atelier situé en bordure de voie avec une
boutique ouvrant sur la rue.
- l'élimination des épiphyses qui est certaine et observée ;
- la cuisson des os qui est probable mais difficile à
certifier.
Cependant, l'absence d'éléments finis ou presque
finis, alors que les ratés de fabrication sont nombreux,
autorise à revoir la désignation du lieu comme atelier
et à reconsidérer le travail réalisé à l’intérieur. En effet,
la cave apparaît vraisemblablement comme un lieu de
stockage plutôt que l'atelier lui-même.
Parmi les déchets découverts sur le sol de la cave
5019 et qui correspondent aux rejets de l'atelier, on
observe une absence totale d'épiphyses. Ceci signifie
que soit l'artisan, soit le boucher, soit un intermédiaire
a fait disparaître cette partie inutile au tabletier. Notre
connaissance des gestes pratiqués dans ces grandes
boucheries gallo-romaines incite à penser que l'élimination des épiphyses ne fait pas partie du répertoire
classique. Ceci n'exclut pas une préparation ultérieure
de petits lots d'os, pour un artisan, au sein de la
boucherie. En tout cas, on ne profite pas de techniques
qui fourniraient des tubes d'os tout prêts pour les besoins
de l'artisan. L'observation des traces a permis de voir
que ce travail d'élimination se faisait, non pas à la scie
comme c'est très souvent le cas pour les métapodes,
mais à coups de couperet. On peut considérer que nos
artisans disposent du matériel nécessaire pour pratiquer
cette élimination puisqu'il s'agit probablement du
même outillage qui sert à la fente en long des os. Ils ont
donc pu pratiquer eux-mêmes cette opération. Mais, par
ailleurs, aucune trace de ces diaphyses n'a, semble-t-il,
été retrouvée aux alentours de l'atelier. Au minimum,
un réexamen de l'ensemble des caisses de matériel
faunique, issu de l'îlot fouillé, permettrait peut-être
de vérifier ce point. Toutefois, la fosse dépotoir qui
les aurait recueillies peut très bien se trouver hors
de l’emprise fouillée, vu sa faible largeur. Il est
vraisemblable qu'un certain nombre d'interrogations
subsistent, même après ces investigations complémentaires. Pourquoi, par exemple, utiliser la scie pour
éliminer les épiphyses dans le cas des métapodes et
le couperet pour les autres os ? Est-ce en raison d'un
mode d'approvisionnement différent ?
L'étude des vestiges de travail mis au jour dans la
cave 5019 permet de porter un nouveau regard sur la
notion d'atelier ou tout au moins d'en appréhender les
caractéristiques.
La diversité des déchets contenus dans la cave 5019
est vraisemblablement le résultat de plusieurs nettoyages de l'atelier dans lequel l'artisan a préparé et mis
en forme la matière. Même si cet endroit ne peut être
identifié, il peut être supposé : cet espace est, selon toute
vraisemblance, localisé au rez-de-chaussée du bâtiment
à proximité immédiate de la cave.
Les vestiges osseux recueillis dans la cave
illustrent deux étapes du travail, le dégrossissage et le
façonnage, mais pas la finition des objets. Ceci implique
des postes de travail distincts et une répartition des
tâches au sein de l’atelier selon les différentes étapes
de fabrication. Il est évident que la finition au tour des
objets n’a pu laisser, sur un plan strictement archéologique, que de très modestes et fugaces traces.
La présence de déchets disposés irrégulièrement
sur le sol et leur concentration, localisée à l'entrée et au
centre de la cave, alors qu'ils apparaissent en quantité
moindre dans les angles, témoignent de la manière dont
ils ont été apportés.
La question d'une possible cuisson de l'os peut
être envisagée. Les travaux d'expérimentation menés
récemment (J.-F. Goret) montrent que certains artisans
tabletiers pratiquent une cuisson légère des os qui,
tout en éliminant les parties musculaires et tendineuses
encore adhérentes, évite une transformation de la
matière par ébullition.
Ce mode de déposition montre que les déchets ont
été jetés dans la structure, même si celle-ci n'a pas été
utilisée comme fosse à déchets ; en effet, les restes sont
stockés de façon homogène et ne sont pas mêlés à
d'autres types de détritus. Par conséquent, l’accumulation volontaire de déchets à cet endroit implique
peut-être une utilisation secondaire de ces restes osseux
comme combustible ou comme dégraissant dans la
céramique par exemple.
L'atelier n'a pas livré trace d'une structure de
cuisson pouvant correspondre à cette technique. Sans
doute cette étape de préparation était-elle réalisée dans
un bac (la fosse F 5075) contenant une solution à base
de chaux ou de soude (cf. fin du chapitre précédent)
permettant ainsi d'achever la décarnisation des os.
Bien qu’il soit difficile de quantifier la production
de cet atelier et de connaître sa durée d’activité, le
nombre d’ébauches et de “ratés”, brisés au moment
du façonnage, indique une production importante de
cuillères. Cet accessoire était utilisé couramment, sinon
régulièrement, pour la consommation de mets voire
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D. Canny, J.-H. Yvinec – Un atelier de travail de l'os à Chartres au IIIe s. ap. J.-C
Fig. 40 – Carte de localisation des sites artisanaux dans la ville de Chartres au Haut-Empire (Ier - IIIe s.).
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Le travail de l'os, du bois de cerf et de la corne à l'époque romaine : un artisanat en marge ?
Bibliographie
à d’autres fins, en cosmétique ou en pharmacie par
exemple (7).
Barbier 1988 : M. Barbier, Le travail de l’os à l’époque
gallo-romaine, Dossiers Histoire et Archéologie 126, avril
1988, 48-55.
Un quartier artisanal spécialisé dans la ville ?
Béal 1984 : J.-Cl. Béal, Les objets de tabletterie antique du
musée archéologique de Nîmes (Cahiers des musées et
monuments de Nîmes 2), Nîmes 1984, 15.
Les témoins indirects de l'utilisation de l'os
invitent à s'interroger sur l'insertion de cet artisan dans
le système économique de la ville et sur l'organisation
de son activité.
Crummy 2001 : N. Crummy, Bone-working in Roman
Britain : a model for itinerant craftmen ? In : M. Polfer,
L’artisanat romain : évolution, continuités et ruptures
(Italie et provinces occidentales). Actes du 2e colloque
d’Erpeldange 26-28 octobre 2001 (Monographies Instrumentum 20), Millau 2001, 97-109.
La présence d’un atelier de tabletier en bordure de
la voie 4, inséré dans un îlot d’habitations domestiques,
permet d’avancer l’hypothèse d’un artisanat intégré
dans le tissu urbain. Cette proposition est confortée
par la découverte récente, dans un autre îlot urbain,
des déchets d’un atelier de tabletier produisant essentiellement des boutons rivets et des épingles, situé
à environ 100 m à l'ouest du boulevard Chasles (8)
(fig. 40).
Ainsi, il apparaît que plusieurs artisans tabletiers
sont installés dans ce quartier de la ville ; chacun d'eux
avait une spécialité sans pour autant se limiter à un seul
produit. Leur situation dans des îlots comportant à la
fois de vastes domus, des habitats plus modestes, des
boutiques, des artisans tisserands et des métallurgistes
du bronze reflète une organisation urbaine non différenciée au sein d’un même quartier.
La carte de répartition des activités artisanales,
actuellement avérées (fig. 40) dans l'emprise de la ville,
montre que si les ateliers de potier sont implantés
au nord et à l'est, sur les franges urbaines, les autres
activités, plus diversifiées et plus nombreuses, sont à
l'évidence installées dans les insulae.
Daremberg et Saglio, Dictionnaire des Antiquités grecques
et romaines. 1877.
Grapin 2005 : Cl. Grapin, L’artisanat de l’os et de la corne.
In : Alésia, comment un oppidum gaulois est entré dans
l’histoire, Dossiers d’Archéologie 305, juillet-août 2005,
116-119.
Lignereux, Peters 1996 : Y. Lignereux, J.P. Peters,
Techniques de boucheries et rejets osseux en Gaules,
Anthropozoologica 24, 1996, 19-26.
Prost 1984 : D. Prost, Le mobilier en os gallo-romain
d'Escolives Sainte-Camille, Revue Archéologique de l'Est
et du Centre-Est XXXV, Fasc. 3-4, juillet-décembre 1984,
264-299.
Vallet 2000 : Ch. Vallet, Le travail de la matière animale
à l’époque romaine. Le travail de l’os à Augustoritum
(Limoges, Haute-Vienne). In : I. Bertrand (dir.), Actualité
de la recherche sur le mobilier romain non céramique.
Actes du colloque de Chauvigny des 23 et 24 octobre 1998
(Mémoire Association des Publications Chauvinoises
XVIII), Chauvigny 2000, 195-214.
Le tabletier paraît ici parfaitement intégré dans
la vie urbaine ; il ne s’agit donc pas d’une activité
marginale rejetée en périphérie mais, bien au contraire,
constitutive de la vie économique dans la ville.
(7) Dans le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et E. Saglio (1877, 1266), la définition du cochlear est la suivante :
“Cuiller (…) dont on se servait pour manger des œufs et des coquillages (…) avec le bout pointu on trouait et l'on ouvrait la coquille de l'œuf
et avec l'autre on en puisait le contenu. Et si on l'employait à manger des mollusques, on pouvait avec la pointe piquer l'animal et le dérouler
pour le porter à la bouche”.
(8) Fouille préventive “Les enfants du paradis” réalisée par le Service Municipal Archéologique de la ville de Chartres.
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