GLADIUS
Estudios sobre armas antiguas, arte militar
y vida cultural en oriente y occidente
XXX (2010), pp. 43-60
ISSN: 0436-029X
doi: 10.3989/gladius.2010.0002
LES ARMES DU DÉPÔT DU CAILAR (GARD, FRANCE)
IIIE SIÈCLE AVANT NOTRE ÈRE
LAS ARMAS DEL DEPÓSITO DE CAILAR (GARD, FRANCIA)
SIGLO III A.C.
PAR
Benjamin Girard* et rejane roure**
avec la collaboration de Henri Duday, Sandrine Lenorzer, Elsa Ciesielski, Armelle Gardeisen,
Jean Cantuel, Aurélien Creuzieux et Michel Py***
resumen - aBstract - résumé
Un gran número de distintos tipos de armas ha sido hallado en el yacimiento arqueológico de Le Cailar (Gard,
Francia). Este asentamiento protohistórico está ubicado en el valle bajo del Ródano y fue fundado a mediados, o
quizás a inicios, del siglo VI a.C. Le Cailar fue un importante puerto de comercio donde están atestiguadas distintas
producciones mediterráneas, en especial vino y cerámica. La relación con la ciudad focense de Massalia fue seguramente intensa. Durante el siglo III a.C., un vasto espacio sagrado fue creado a lo largo de las murallas. En este
espacio han sido halladas numerosas armas, otros objetos metálicos y fragmentos de calaveras humanas (cabezas
cortadas), así como monedas y fragmentos de huesos animales y de cerámica. Estos elementos arrojan luz sobre las
prácticas rituales relacionadas con la guerra durante el siglo III a.C.
A great amount of different types of weapons has been found in the archaeological site of Le Cailar (Gard, France).
This proto-historic settlement is located in the lower Rhône valley and was founded in the middle, or maybe at the beginnings, of the 6th century BC. Le Cailar was an important port of trade dealing with different Mediterranean products,
mainly wine and pottery. The relation with the Phocean city of Massalia was certainly strong. During the 3rd century
BC, a vast sacred area was created along the city walls. In this space, numerous weapons, other metallic objects and
fragments of human skull bones (cut-off heads), but also coins and fragments of animal bones and pottery have been
found. These elements shed light on ritual practices related to war during the 3rd century BC.
Différents types d’armes ont été retrouvés en grand nombre sur le site du Cailar (Gard, France). Cet établissement protohistorique est situé dans la basse vallée du Rhône et fut fondé au milieu, ou peut-être au début, du
VIe s. a.C. Le Cailar fut un important port de commerce où sont attestés différentes productions d’origine méditerranéennes, comme le vin et la céramique. Les relations avec la cité phocéenne de Massalia furent probablement
importantes. Au cours du IIIe s. a.C., une vaste aire sacrée fut créée le long des murailles. A l’intérieur de cet espace
ont été retrouvés des armes et divers objets métalliques, ainsi que des fragments de crânes humains (têtes coupées),
*
Benjamin Girard, Doctorant UMR 5594, «Archéologie, Cultures, Sociétés», Université de Bourgogne.
Réjane roure, Maître de Conférences, Université Paul-Valéry-Montpellier III - UMR 5140, «Archéologie des
sociétés méditerranéennes».
*** Henri duday, Sandrine Lenorzer, Elsa ciesieLski: UMR 5199, PACEA, Laboratoire d’Anthropologie des Populations du Passé, Université Bordeaux 1; Armelle Gardeisen, Jean cantueL, Aurélien creuzieux: UMR 5140, «Archéologie
des sociétés méditerranéennes»; Michel PY: UMR 5140, «Archéologie des sociétés méditerranéennes».
Je remercie Nuria Rovira pour les résumés en anglais et en espagnol.
**
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des monnaies et des fragments de céramiques et d’os animaux. Ces éléments permettent d’éclairer les pratiques
rituelles liées à la guerre au IIIe s. a.C.
PaLaBras cLave - keywords - mots cLés
Armas; segunda edad del Hierro; sur de la Galia; prácticas rituales; cabezas cortadas.
Weapons; Second Iron Age; south of Gaul; ritual practices; cut-off heads.
Armes; second âge du Fer; Gaule méridionale; pratiques rituelles; têtes coupées.
1. INTRODUCTION
Un important lot d’armes protohistoriques a été découvert sur le site du Cailar (Gard,
France) au cours d’une série de campagnes de fouilles programmées, entre 2002 et 2008. Ces
objets, qui sont tous de typologie laténienne, appartiennent à un ensemble complexe de vestiges de différentes natures, relevant manifestement de pratiques rituelles, probablement liées
au monde de la guerre. Cet ensemble est encore en cours de fouille à l’heure actuelle1, donc
il ne s’agit ici que d’une approche préliminaire des données puisque la totalité des vestiges
n’a pas encore été exhumée. Le nombre d’armes retrouvées et les caractéristiques de cet assemblage pour lequel nous employons le terme de dépôt permettent néanmoins cette première
présentation.
2. LE CAILAR : UN HABITAT FORTIFIÉ PROTOHISTORIQUE
2.1. situation GéoGraPhique et histoire de La découverte
Le site du Cailar se trouve dans la basse vallée du Rhône, en Languedoc oriental (ig. 1a),
au conluent du Vistre, qui vient de la plaine de Nîmes, et du Rhôny, qui prend sa source en
Vaunage où est connue toute une série d’habitats protohistoriques (Py, 1990). L’habitat de
l’âge du Fer a été installé sur une légère éminence naturelle entourée par les eaux et occupe
vraisemblablement une surface d’environ 1,5 ha (ig. 1b). A proximité de l’habitat, vers le sudest, se trouvait le rivage d’une vaste lagune qui s’étendait dans tout le sud de la région à l’âge
du Fer. Cette lagune aujourd’hui comblée par les alluvions du Rhône et des différents leuves
côtiers du Languedoc oriental (Rey, 2007) mettait alors en relation toute la série des comptoirs
littoraux protohistoriques connus: Arles, en remontant un bras du Rhône aujourd’hui fossile, Espeyran, Le Cailar, Lattes. La mer se trouvait également beaucoup plus proche du site
du Cailar qu’à l’heure actuelle (ig. 1a) et les différentes campagnes de fouille ont livré des
quantités très importantes de mobilier importé (étrusque, grec et massaliète), ce qui permet de
caractériser cet habitat comme l’une des interfaces commerciales entre l’arrière-pays indigène
et le monde méditerranéen.
C’est un habitat encore relativement mal connu, dont seule une petite surface a été explorée (ig. 1b). En effet, ce site n’a retenu l’attention des archéologues que récemment, dans les
années 2000. Malgré la découverte de deux chenets zoomorphes protohistoriques publiés au
début des années 1980 (Garmy et Pey, 1981), l’habitat protohistorique du Cailar est resté à
l’écart des recherches archéologiques menées dans la région. C’est un programme de prospection pédestre systématique mené dans la région par Claude Raynaud qui a commencé à révé1
La fouille du dépôt s’est poursuivie en 2009 et devrait s’achever vers 2011.
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Implantation probable
du comptoir protohistorique
Cours d'eau actuels
Chantier de fouille Place de la Saint-Jean
(zone du dépôt)
Restitution hypothétique
des cours anciens
1b
Figura 1. 1a: Carte de situation (en pointillés, les limites de la lagune et du rivage au sud du Cailar à
l’époque protohistorique) ; 1b: Carte de localisation du site et de la zone de fouille.
ler l’importance de l’occupation protohistorique et antique de ce site (Raynaud, 2002), avant
qu’un sondage stratigraphique réalisé en 2000 (ig. 1b) n’en dévoile l’énorme potentiel. Des
niveaux d’occupation bien conservés du Ve et du IVe siècle avant notre ère ont été mis en évidence, avec de forts taux de céramiques méditerranéennes (Py et Roure, 2002). Ces résultats
ont conduit à l’organisation d’une fouille programmée qui a débuté en 2002 et qui se poursuit
à l’heure actuelle. C’est lors de ce programme de recherche, sur la Place de la Saint-Jean (ig.
1b), qu’un certain nombre d’armes du IIIe siècle avant notre ère est apparu.
2.2. un haBitat fortifié fondé au vie siècLe avant notre ère
Les recherches menées sur la Place de la Saint-Jean ont également permis de découvrir
la présence d’un rempart enserrant l’habitat protohistorique. Une portion de courtine a été
dégagée sur environ 25 m de long, plus ou moins bien conservée (ig. 2). Ce rempart semble
mis en place dès la création de l’habitat, au cours du VIe siècle a.C. et a connu plusieurs remaniements. Il présente dans une première phase une élévation en adobes sur un socle de pierres,
puis dans une seconde phase il est bâti totalement en pierres liées à la terre ; enin, dans un
troisième temps, une partie de la courtine présente un agrandissement, interprété comme renforcement, du côté extérieur.
Le premier niveau d’occupation du site n’est pas encore connu, mais le sondage en cours
a livré en 2009 du mobilier céramique datant de la deuxième moitié du VIe siècle a.C. avec
de la céramique ine de Grèce orientale, des amphores étrusques, phéniciennes, grecques et
massaliètes, de la céramique tournée locale (céramique grise monochrome), en quantité assez
importante au milieu de la céramique non tournée indigène. Ces phases anciennes de l’habitat
sont encore assez mal connues car elles n’ont pu être étudiées pour l’instant que dans le cadre
de sondages limités mais le site du Cailar présente jusqu’au IVe siècle avant notre ère des proportions très fortes de céramiques importées avec près de 70 % d’amphores et des quantités
importantes de céramiques tournées ines. Ces données permettent de caractériser le site du
Cailar comme un comptoir de commerce ouvert sur la Méditerranée, dans l’orbite économique
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Figura 2. Plan de la fouille de la Place de la Saint-Jean, avec une vue du rempart et une photographie
des vestiges du dépôt en cours de fouille.
de Massalia. Les niveaux d’habitat ancien ont livré par ailleurs des vestiges de pierre taillée,
assez inhabituels pour cette chronologie dans la région. Deux blocs parfaitement taillés, avec
des dimensions proches de celle du module utilisé à Marseille et des traces d’outils de type
méditerranéen (Py et Roure, 2002: 200-202), ainsi qu’un fragment de linteau très bien sculpté,
ont été retrouvés dans des niveaux remaniés du début du IVe siècle a.C.
Le IIIe siècle a.C. est la période pour laquelle la plus vaste surface a été fouillée. Cependant, sur une centaine de mètres carrés, un seul ensemble se développe, contre le parement
du rempart, intra muros: celui du dépôt où les armes ont été retrouvées. On ne connaît pas
l’habitat contemporain, seul le mobilier céramique associé à ce dépôt montre que les importations méditerranéennes sont encore bien présentes (céramiques à vernis noir de l’atelier
des petites estampilles, de Rosas puis campaniennes A), avec toujours une forte coloration
massaliète (amphores et céramiques à pâte claire), au milieu de la céramique indigène locale
(Céramique Non Tournée du Languedoc oriental).
Les niveaux d’occupation les plus récents n’ont pas pu être étudiés sur la Place de la SaintJean car ils ont été détruits par une série de fosses et de décaissements datés de l’Antiquité tardive
et de l’époque médiévale. Quelques découvertes anciennes dans le village du Cailar permettent
toutefois d’afirmer que le site est encore occupé à l’époque romaine (Christol, 2003).
3. LES ARMES
3.1. Présentation GénéraLe
Les armes découvertes au Cailar appartiennent à un seul et même ensemble, homogène,
même s’il présente une certaine durée puisque des armes ont été déposées dans un même esGladius, XXX (2010), pp. 43-60. ISSN: 0436-029X. doi: 10.3989/gladius.2010.0002
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pace durant tout le IIIe siècle a.C. Le premier point à signaler est que ces armes présentent une
fragmentation importante, comme la plupart des autres vestiges auxquelles elles sont associées
comme nous le verrons ci-dessous. Cette fragmentation résulte à la fois de la taphonomie et de
diverses manipulations antérieures à l’enfouissement. Pour mieux analyser cet ensemble assez
particulier, un protocole de quantiication spéciique a été mis en place en utilisant les principes proposés par J.-P. Guillaumet et G. Bataille (Guillaumet, 2003 ; Bataille, 2007, 2008).
Il s’effectue en deux étapes : dénombrement des restes, puis estimation des nombres d’objets
et d’individus. Les tableaux comprennent donc le Nombre de Restes (NR) qui est le nombre
total des fragments d’objets retrouvés lors de la fouille ; le Nombre de Restes Post-Recollage
(NRPR) qui correspond au nombre total de fragments après recollage des cassures anciennes
de nature taphonomique; le Nombre Minimum d’Objets (NMO) qui permet de recenser le
nombre d’objets simples (1 ibule, 1 clou, etc.) et de parties d’objets complexes (1 umbo, 1
bouterolle, 1 plaque de fourreau, etc.); et enin le Nombre Minimum d’Individus (NMI) qui
permet de connaître le nombre d’objets simples et d’objets complexes (1 fourreau, 1 bouclier,
1 lance, etc.) de l’ensemble. Le NR et le NRPR sont voués à la taphonomie, et permettent
notamment d’examiner l’évolution de la fragmentation en fonction de la profondeur des restes ain de déterminer si certaines pratiques ont évoluées au cours du temps. Ces décomptes
donneront leur pleine mesure lorsque les recollages auront été réalisés le plus exhaustivement
possible sur l’ensemble du dépôt, ce qui permettra en outre d’observer un éventuel éparpillement spatial des fragments d’un même objet. Le NMO et le NMI, calculés d’après l’élément
caractéristique le plus abondant parmi les fragments d’un objet simple, d’une partie d’objet
complexe ou d’un objet complexe, ne tiennent compte que partiellement de la typologie et de
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Figura 3. Carte de répartition des objets métallique du dépôt ; tableau de comptage des armes et cliché
d’une épée dans son fourreau, découverte en 2009.
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la métrologie pour l’instant. Ils permettent d’avoir une première idée de la quantité d’armes
réellement déposées, avec une estimation certes la plus basse, mais surtout la plus juste possible, et globalement homogène, au-delà des spéciicités de chaque type d’armes.
Les six campagnes de fouilles entre 2002 et 2007 ont livré 369 fragments d’armement et de
fourniment, après recollage (NRPR), pour 624 restes retrouvés sur le terrain (NR). L’inventaire
détaillé de cet ensemble, à partir de son observation directe et des radiographies (effectuées par
le laboratoire Materia Viva de Toulouse), donne un NMO de 162 objets pour un NMI de 55
éléments. Toutes les pièces caractéristiques de la panoplie du guerrier gaulois sont représentées en plusieurs exemplaires : bouclier, lance, épée, fourreau, chaîne de suspension (ig. 3).
Le matériel identiiable semble bien caractéristique typologiquement des phases LT B2 et
LT C1, même si des éléments déterminants comme la longueur des fourreaux ou les associations entrées-bouterolles font défaut. En aval, les types de LT C1 sont bien présents, mais les
éléments de la phase la plus récente sont semblent-ils absents : pas de chaîne de suspension à
maillons à double torsades ins (et pas de ibules à pied ixé à l’arc dans les autres matériels
datant). Ce qui est certain, c’est que les types caractéristiques de LT C2 sont absents à ce jour.
On estime donc le Terminus Ante Quem à la in du IIIe s. a.C. en relation avec la chronologie
de la céramique. En amont, on se ixe pour l’instant au début de La Tène B2, soit les dernières
décennies du IVe s. a.C.
3.2. armement
3.2.1. Les épées
Au moins 10 épées peuvent être décomptées à ce jour. Elles correspondent à des modèles
standard du milieu du Second Âge du Fer. Quelques-unes sont pourvues de croisières rapportées campaniformes. On retrouve la plupart du temps des fragments correspondant au tiers de
la longueur de l’épée, parfois à la moitié ; des parties distales d’épée à pointe efilée ou à pointe
arrondie (ig. 4) et des partie proximale avec soie. Tous ces fragments étaient sortis de leur
fourreau mais il n’est pas impossible que quelques fragments soient également présents dans
les fourreaux; seule la restauration de ces objets permettra de le dire. Une seule épée complète
a été retrouvée à ce jour: lors de la campagne 2009, elle était dans son fourreau, et les quatre
rivets de la poignée étaient encore en place de part et d’autre de la soie (fig. 3).
3.2.2. Les lances
Les lances ne sont représentées pour l’instant que par cinq exemplaires, caractéristiques
du milieu du Second âge du Fer, avec des fers de petites dimensions à douille cylindrique et
des talons à soie (ig. 4). Les armes d’hast les mieux conservés sont deux fers de lance courts,
à douille cylindrique et empennage foliacé étroit élargi à la base, peut-être asymétrique pour
l’un des exemplaires, classiques à LT B et C, tout comme un petit fer de lance/javelot à douille
longue conique et pointe courte losangique.
3.2.3. Les boucliers
Les boucliers, en 10 exemplaires au moins, sont représentés par des rivets à tête hémisphérique, plusieurs fragments d’umbos (ig. 4) et de nombreux morceaux d’orle. Parmi les
umbos de bouclier les plus complets, on compte un exemplaire de moitié d’umbo bivalve
rectangulaire de LT B2. Les autres sont des umbos monocoques: umbo à coque basse à ailettes
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B
A
D
E
C
F
Figura 4. A: Fragments de bouclier (umbo, ailette et manipule); B: deux fragments d’épée en cours de
fouille; C: chaînes de suspension: éléments longs et éléments courts (radiographie Materia Viva); D:
fer de lance et talon à soie; E: entrées de fourreau, avec pontet et bouterolles (de gauche à droite: type
Harvan-Boldog LT B2; bouterolle à extrémité circulaire massive (G2) LT B2; bouterolle LT B2 – début
LT C1) (radiographies Materia Viva); F: exemples de manipulations destructives (umbo enfoncé, épée
pliée, plaque de fourreau perforée) (radiographies Materia Viva).
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rectangulaires courtes (types Gournay I) de LT B2b-C, type auquel se rattache sans doute une
partie des ailettes retrouvées isolées, de même qu’aux exemplaires à coque haute et ailettes
légèrement trapézoïdales de LT C1. Enfin on a peut-être un umbo monocoque à ailettes courtes
curvilignes ou pointues (type Gournay II).
3.3. fourniment
3.3.1. Les fourreaux
Il s’agit du mobilier le plus représenté avec au moins 20 fourreaux dénombrés jusqu’à
présent. Bien qu’il faille rester prudent quant aux observations effectuées à partir de fragments
séparés et de radiographies, on peut tout de même essayer de proposer quelques éléments de
typo-chronologie. Les entrées sont de formes variables mais systématiquement campaniformes (fig. 4). Les pontets sont de forme classique, à attaches circulaires plus ou moins larges
—parfois avec une attache inférieure ogivale— et passant rectangulaire; ils semblent tous
situés sous entrée. Le type le plus ancien est à petites attaches et passant long. Une entrée
possède une barrette de renfort sous le passant du pontet, caractère des fourreaux de LT C1, de
même qu’une barrette à petits disques latéraux. Du côté des bouterolles (fig. 4), un exemplaire
à extrémité ajourée circulaire massive, de type Gournay 2, est attribuable globalement à LT B.
Une bouterolle courte ajourée circulaire appartient à un fourreau de type Hatvan-Boldog, et il
semblerait qu’il s’agisse de la forme évoluée attribuable à LT B2. Plusieurs extrémités non circulaires de bouterolles de fourreaux des types Gournay 2 et 3 sont aussi présentes, et enin des
extrémités de bouterolles ines de fourreaux des types Gournay 4 et 5. Ainsi, malgré l’absence
d’associations directes entre entrées et bouterolles, ces caractères sont cohérents typologiquement et indiquent des fourreaux de LT B2 et LT C1. Aucun décor n’a été vu à la radiographie,
mais le nettoyage peut éventuellement en révéler.
3.3.2. Les chaînes de suspension
Les chaînes de suspension, au nombre de 10, sont bien conservées, diverses, et livrent des
indications précises (ig. 4). Un exemplaire est à longs maillons torsadés et datable de La Tène
B2, au début du IIIe s. a.C. Un fragment appartient au type en échelle, de LT B2b-C1a. Deux
éléments courts, très plats, pourraient appartenir au type ultime en gourmette, de LT C1b, ainsi
que peut-être deux autres éléments courts de forme similaire de la campagne 2007. La majeure
partie des éléments semble devoir être identiiée aux types à maillons simples en huit alternés,
ou à maillons simples dits «¼ de tour», qui sont les exemplaires les plus récents de LT C1 avec
les chaînes en gourmette.
3.4. maniPuLations destructives
Une grande partie des armes découvertes au Cailar présente des traces de déformations volontaires qui ne peuvent pas être dues à des combats. Ces traces sont diverses mais récurrentes
—vu la quantité de matériel découvert— et ont été observées sur les épées, les umbos et les
fourreaux (ig. 4 - F). Dans la majorité des cas, ces manipulations destructives semblent avoir
rendu les objets inutilisables.
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En ce qui concerne les umbos, plusieurs coques sont aplaties, avec une ou les deux ailettes
coupées; deux coques montrent un enfoncement dû à un instrument contondant; une autre trois
enfoncements rectilignes parallèles dus à une arme ou un instrument tranchant ; une coque
semble avoir été découpée dans sa hauteur et enin certaines ailettes découpées ont leurs bords
repliés.
En ce qui concerne les épées, au moins deux exemplaires présentent une cassure recourbée montrant qu’ils ont été pliés en deux; les autres fragments présentent des cassures plus ou
moins rectilignes, tendant à montrer que les épées ont été volontairement, sinon coupées, du
moins pliées. Les longueurs de lame conservées indiquent des exemplaires coupés ou pliés
en deux ou trois parties, ou plus pour quelques fragments inférieurs à 15 cm de longueur. La
campagne 2009 a vu la découverte d’une épée complète, dans son fourreau, mais repliée en
deux endroits (ig. 3): au niveau de la poignée —la soie est tordue presque à angle droit— et
dans le tiers supérieur de sa longueur.
Les fourreaux montrent le plus grand nombre de stigmates. Certaines bouterolles semblent
avoir été démontées, tandis que d’autres ont en revanche été coupées et conservent les extrémités des plaques du fourreau. Quelques fourreaux ont été pliés, un exemplaire notamment
replié en cercle, ou coupés en plusieurs tronçons; d’autres ont été démontés (plaques séparées).
À l’instar des épées, de nombreux fragments de plaques montrent des cassures rectilignes,
traces possibles de découpe, notamment les entrées qui semblent avoir été coupées selon des
longueurs variables. On observe enin un grand nombre de fragments coupés, tordus, pliés ou
repliés sur eux-mêmes, ainsi que quelques autres traces plus spéciiques comme des traces de
coups par une lame sur les bords de plaque ou encore un trou d’impact de la pointe d’une arme
dans une plaque.
Ces manipulations destructives sont l’un des éléments d’explication sur la fonction de ces
armes au sein de cet habitat; des armes qui n’ont pas été découvertes seules mais au sein d’un
ensemble très particulier dont l’un des éléments les plus emblématiques, le plus important, est
la présence de nombreux restes humains liés à la pratique gauloise des têtes coupées.
4. LE CONTEXTE DE DÉCOUVERTE: UN DÉPÔT D’ARMES ET DE TÊTES COUPÉES
Les armes qui viennent d’être décrites ont en effet été découvertes dans un contexte très
particulier puisqu’elles étaient associées non seulement à des restes humains mais aussi à des
monnaies, de la céramique et de la faune; ces différents types de vestiges étant éparpillés et
mêlés les uns aux autres sur un vaste espace ouvert, accolé au rempart décrit précédemment.
4.1. Des armes associées à des têtes coupées
Avec les armes, l’un des éléments les plus significatifs de cet ensemble en cours d’étude
est évidemment la présence de restes humains (fig. 5), analysés par Henri Duday, Sandrine
Lenorzer et Elsa Ciesielski2. En six campagnes de fouilles (2003-2008), 1877 restes humains
ont été prélevés, très fragmentaires, comme le reste des vestiges. Tous appartiennent au squelette céphalique à l’exception de trois petits fragments du rachis : un fragment d’atlas (première vertèbre cervicale), un fragment de vertèbre cervicale (probablement la troisième) et un
deuxième fragment d’atlas probable. On dénombre 1043 fragments du bloc crânio-facial, 87
2
Henri Duday (PACEA, UMR 5199), Sandrine Lenorzer (docteur Université de Bordeaux 1), Elsa Ciesilski (master
2 d’Archéologie méditerranéenne de Montpellier III).
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fragments de mandibules et 744 dents isolées. Le nombre minimal d’individus, évalué à partir
des branches droites des mandibules, s’élève à 37. Il s’agit exclusivement de sujets adultes ou
de taille adulte. Parmi les dents conservées, quelques troisièmes molaires dont les racines sont
en cours de calcification indiquent la présence probable de grands adolescents. En revanche,
il n’y a toujours aucun enfant. Il n’est évidemment pas possible de procéder à une diagnose
sexuelle à partir des vestiges du squelette céphalique. Les os appartiennent majoritairement à
des sujets robustes ou même très robustes et parfois à des sujets beaucoup plus graciles, mais
rien ne permet de dire que ces différences indiquent la présence de sujets des deux sexes. De
nombreux restes humains présentent des traces de lésions anthropiques, certaines pourraient
être dues à des combats mais la plupart sont manifestement liées à la décollation dont ces inc
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Figura 5. Carte de répartition des restes humains avec quelques clichés de restes humains sur le terrain
(a: masque facial; b: mandibule, frontal et temporal; c: mandibule et maxillaire), et des traces anthropiques liées à la décollation (d: processus mastoïde tranché; e: trace d’un instrument tranchant sous la
branche de la mandibule).
dividus ont été victimes. Des altérations de l’émail dentaire pourraient indiquer une exposition
à l’air libre.
La pratique de la tête coupée est bien documentée pour la Gaule, à la fois par les sources
littéraires et par la documentation archéologique (Arcelin et alii, 1992). Plusieurs textes évoquent cette coutume; le plus détaillé est celui de Strabon (Géographie, 4.5) qui se fonde sur
le récit de Poseidonios. Ce Grec d’Apamée a visité le sud de la Gaule au début du Ier siècle
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a.C. et décrit les têtes coupées, ramenées des champs de bataille, qu’il a vues dans les habitats indigènes des environs de Marseille3. Ce témoignage concerne donc la région même
du site du Cailar, quelques décennies seulement après la période du dépôt qui est en
cours de fouille. Même si une partie de l’œuvre de Poseidonios provient de sources
plus anciennes, le fait qu’il se soit habitué au spectacle de l’exposition des têtes tend à
montrer que ce passage-là au moins correspond bien à une observation directe de cette
coutume. En Gaule méridionale, cette pratique est également documentée par d’autres
découvertes de crânes humains dans des habitats (Arcelin et alii, 1992: 217) et par un
certain nombre de représentations iconographiques aujourd’hui bien connues : linteau de Nages, pilier de Glanum ou de Roquepertuse, et bien sûr bas-reliefs et statues
d’Entremont. L’interprétation de toutes ces représentations est délicate: plusieurs théories s’affrontent (Arcelin et Gruat, 2003) entre représentations des ancêtres héroïsés et
trophées guerriers.
Dans le cas du Cailar, l’association avec les armes ainsi que divers autres vestiges est atypique: les restes humains découverts dans d’autres sites du Midi (Pech Maho, Roquepertuse,
Entremont, La Cloche), correspondant à des têtes coupées, étaient isolés. Le Cailar est pour
l’instant le seul site de Gaule méridionale à avoir livré une telle quantité d’armes dans un
contexte rituel.
4.2. Les autres vestiGes métaLLiques
D’autres catégories de vestiges métalliques igurent également dans cet ensemble au sein
duquel les pièces d’armements et de fourniment sont cependant largement majoritaires avec 76
% des restes pour 67 % des objets et inalement 40 % des individus, auxquels s’ajouteront certainement après nettoyage la majorité des restes indéterminés (fragments de tôles et plaques).
La totalité du matériel métallique provenant du dépôt, auquel s’ajoutent les fragments
d’armes déplacés retrouvés dans des contextes postérieurs, compte actuellement 818 restes
pour 522 restes post-recollage, et une estimation minimale de 239 objets pour 132 individus,
principalement en fer (96 % des restes, 90 % des objets et 80 % des individus). En marge de ce
corpus, on dénombre seulement 16 objets en bronze et 10 objets en plomb4.
L’assemblage comprend des accessoires vestimentaires, représentés par 13 ibules (10 en
fer et 3 en bronze), un anneau terminal de chaîne-ceinture en bronze de La Tène C1 et 6
anneaux de ceinture en bronze et en fer, pouvant pour certains appartenir à des suspensions
souples de fourreaux de LT B, notamment deux exemplaires en fer de section massive en
amande et circulaire. Les ibules sont illustrées par des exemplaires à pied replié en fer, dont
des grands modèles à grosse perle terminale, et des modèles à pied replié à petite perle terminale parfois pourvue d’une perle décorative, et un seul exemplaire à pied ixé au sommet
de l’arc par une pince caractéristique de La Tène C1. Sont également présents 2 ustensiles,
une râpe à fromage en bronze et un gros couteau en fer à dos droit et manche plat; et 2 outils
en fer, une hache/herminette à douille et une serpe/vonge à douille. On note enin la présence
de quincaillerie : 3 clous en bronze et 23 en fer, notamment des clous de construction, pos-
3
Strabon (4.4.5) attribue aux Gaulois «l’usage qui consiste à suspendre à l’encolure de leurs chevaux les têtes de
leurs ennemis quand ils reviennent du combat et à les rapporter chez eux pour les clouer dans leurs entrées… Ils embaumaient à l’huile de cèdre les têtes des ennemis de marque pour les montrer aux étrangers et refusaient de les rendre contre
rançon, fût-ce au prix d’un poids égal d’or. Ce furent les Romains qui mirent un terme à ces coutumes. (…) Poseidonios dit
avoir vu lui-même en bien des endroits ce spectacle, qui d’abord lui répugnait, mais qu’il avait fini, avec l’accoutumance,
par supporter avec sérénité».
4
État de la documentation pour les campagnes 2002 à 2007.
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sibles témoignages de la présence originelle de structures construites, peut-être des supports
d’exposition des vestiges humains et métalliques.
4.3. Les autres vestiGes matérieLs : monnaies, faune, céramique
Mêlés au mobilier métallique et aux restes de têtes coupées, se trouvaient également un
certain nombre de monnaies, ainsi que des fragments de faune et de céramique.
Avec les armes et les restes humains, les monnaies représentent le troisième élément lié
très probablement à des pratiques rituelles (ig. 6). En effet, 48 monnaies ont été retrouvées
à ce jour dans le dépôt, toutes sont des oboles de Marseille en argent; or si les monnaies
commencent effectivement à circuler en Gaule méridionale à cette époque, une telle quantité
dans un espace aussi restreint est inhabituelle. Leur type est cohérent avec une datation dans
le courant du IIIe siècle a.C.5. Comme le reste des éléments mobiliers du dépôt, ces monnaies
étaient éparpillées sur l’ensemble de la surface dégagée, avec une légère concentration dans le
quart nord-est de la zone fouillée.
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Figura 6. Carte de répartition des monnaies, de la faune et de la céramique ; photographies de quelques
oboles massaliètes découvertes dans le dépôt.
Au sein de cet ensemble si particulier, se trouve également un grand nombre de fragments
de faune et de céramique. Ces deux types de vestiges sont associés ici car ils présentent tous
5
Les monnaies sont étudiées par Michel Py (UMR5140).
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deux des assemblages plutôt caractéristiques des habitats, sans aucune particularité qui tendrait à les rattacher à des pratiques rituelles, en dehors bien sûr de leur association avec les
armes, les restes humains et les monnaies.
La faune (fig. 6) a été étudiée par Armelle Gardeisen, Jean Cantuel et Aurélien Creuzieux6.
Les ossements présentent un bon état de conservation mais une très forte fragmentation, témoignant de la succession classique des événements qui va de l’exploitation initiale à vocation alimentaire des carcasses à des marqueurs d’activités post-dépositionnelles intenses
ayant entraîné des cassures, ainsi qu’une forte dispersion des fragments osseux auxquelles
s’ajoutent les remaniements potentiels, le tassement dû au poids des terres ainsi que quelques
marques d’intervention carnivores (coups de dents de petits carnassiers). Ces phénomènes ont
pour conséquence un taux de détermination très faible de l’ordre de 35% des restes. A ce jour
(campagnes 2002-2008), 1787 fragment osseux ou dentaires ont été prélevés, parmi lesquels
le nombre de restes étudiés s’élève à 1224; 423 fragments ont été déterminés anatomiquement
et spécifiquement. Le boeuf (151 restes représentant 7 individus) est l’animal le mieux représenté suivi du porc (128 restes représentant 12 individus), des caprinés (74 restes dont cinq
restes de mouton et un de chèvre représentant 6 individus), des équidés (37 restes représentant
4 individus) et du chien (14 restes représentant 3 individus). La faune sauvage est signalée par
un fragment de maxillaire de cerf et une première phalange de lagomorphe. Les répartitions
anatomiques ne laissent apparaître, à première vue, aucune spécificité mais témoignent au
contraire du rejet d’éléments appartenant à tous les segments du squelette, avec une variabilité
nuancée en fonction du format et de l’âge des animaux considérés et de la conservation différentielle des ossements.
L’éventualité de l’exposition de têtes d’animaux associées aux trophées humains ne semble donc pas pertinente. L’observation de ces distributions anatomiques couplée à celle des
marques de découpe (dépouillement, mise en pièces) inscrit les équidés dans le circuit habituel des déchets de cuisine, avec simplement une consommation relativement anecdotique
par rapport aux autres espèces (porcs, caprinés). L’hétérogénéité des restes fauniques semble
contraster avec l’homogénéité des autres mobiliers archéologiques. La fragmentation couplée
à la dispersion initiale des carcasses nous oriente davantage vers la reconnaissance de dépôts
dits secondaires, en provenance de contextes différents, et qui, lors de phases de remblaiement
de l’espace, auraient pu être entraînés avec des sédiments exogènes, puisés dans des remblais
ou dépotoirs riches en ossements. Cela revient à exclure l’animal dans cette pratique dont
on connaît pourtant d’autres exemples dans lesquels il a été directement mis en scène (Pech
Maho, Gournay, Ribemont, etc,…).
Des conclusions similaires marquent l’étude du mobilier céramique retrouvé dans l’espace
du dépôt, mêlé aux autres types de vestiges (fig. 6). La céramique présente elle aussi une
très forte fragmentation (aucun vase complet, ou même susceptible de l’être, n’a encore été
découvert) et l’étude préliminaire ne montre aucune spécificité de cet assemblage. Toutes les
catégories de céramiques sont représentées au sein des 4068 fragments enregistrés qui correspondent à un Nombre Minimal d’Individus (NMI) de 315 vases. La répartition, en NMI car les
différences de fragmentation entre catégories (amphores ou céramiques ines) sont importantes, donne 23 % d’amphores (majoritairement des amphores massaliètes), 2 % de dolia, 40 %
de Céramique Non Tournée locale, 14 % de céramiques communes tournées (des céramiques
à pâte claire de tradition massaliète principalement ainsi que quelques importations méditerranéennes) et 19 % de céramiques tournées ines comprenant des productions claires peintes
6
Armelle Gardeisen (UMR5140), Jean Cantuel (doctorant UMR 5140), Aurélien Creuzieux (Master 2 d’Archéologie
méditerranéenne de Montpellier III).
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et des céramiques à vernis noirs provenant de différents ateliers de Méditerranée. Ces proportions sont identiques à celles des habitats contemporains de la région qui abrite plusieurs sites
bien documentés pour cette phase (Nages, Lattes, Espeyran). Le principal apport du mobilier
céramique réside ici dans les données chronologiques qu’il apporte. Les productions à vernis
noir permettent de donner un phasage assez précis du dépôt. En effet, si l’ensemble du matériel
permet de dater globalement le dépôt du IIIe siècle a.C. (bords d’amphores massaliètes de type
8 et 9, formes de vaisselle en claire peinte caractéristiques), la présence de différentes productions de vernis noirs dans les niveaux successifs du dépôt indiquent nettement une durée de
cet ensemble, sur la totalité du IIIe siècle a.C. Dans les couches les plus anciennes, on trouve
des productions de l’atelier des Petites Estampilles et des ateliers de Rosas, alors que dans
les couches les plus récentes, on note l’apparition et le développement (en proportion) des
céramiques campaniennes A. Ce changement indique clairement que l’on passe de la première
moitié du IIIe siècle a.C. à la seconde moitié. Le mobilier métallique de la dernière campagne
de fouille (2009) apporte des informations concordantes puisque plusieurs éléments datés de la
in du IVe siècle a.C. sont apparus dans les premières couches du dépôt que nous commençons
à atteindre.
En ce qui concerne le rôle des céramique au sein du dépôt, l’absence de caractères particuliers de l’assemblage connu à l’heure actuelle amène à des constatations assez proches de
celles faites pour l’assemblage faunique et la totalité ou une grande partie du mobilier retrouvé
pourrait résulter d’un apport volontaire de terre prise au voisinage de l’habitat pour sceller chaque couche de vestiges lors des phases de «décrochage» des éléments exposés et d’épandage
des armes et des têtes coupées; pratique qui s’accompagnait peut-être alors d’offrandes monétaires. Bien entendu, on ne peut exclure totalement la possibilité que ces vestiges céramiques,
ou une partie du moins, soient liés à des pratiques commensales organisées sur le lieu même
du dépôt, dans cet espace si particulier contre le rempart.
4.4. L’esPace du déPôt
La totalité des différents types de vestiges que nous venons de décrire a été retrouvée au
sein d’un même espace où ils ont été accumulés durant un siècle, mêlés les uns aux autres
ainsi qu’à un nombre important de cailloux de divers modules. La surface dévolue à ces pratiques rituelles dépassait à l’origine les 150 m2, mais nous en avons aujourd’hui une vision
tronquée car plusieurs grandes fosses tardo-antiques ou médiévales ont fortement perturbé
cet espace (fig. 2). Ces bouleversements postérieurs au dépôt d’armes et de têtes coupées ont
plusieurs conséquences très lourdes pour notre compréhension de cet ensemble. Tout d’abord,
seuls 70 m2 environ sont conservés de la surface initiale, ce qui fait qu’une quantité importante de mobilier a disparu lors du creusement des fosses, et ce manque va forcément avoir
des implications lors des tentatives de recollage des fragments dispersés: même si ce travail
sera effectué une fois que la totalité du dépôt conservé aura été fouillée, il sera en grande
partie vain puisqu’un nombre important de vestiges a disparu. Ensuite, notre connaissance de
l’organisation du dépôt souffre évidemment des destructions postérieures qui ont pu entraîner
la disparition de plusieurs structures.
Les vestiges sont en effet dispersés sur cette vaste surface sans aucune organisation apparente : aucun bâtiment de quelque type que ce soit n’a été dégagé. Quelques trous de poteau ont
été repérés, mais ils ne forment jamais une structure: ils semblent plutôt devoir être interprétés
comme des supports d’exposition, soit des armes, soit des têtes coupées (ou des deux). Les
seuls éléments éventuellement liés à une structuration du dépôt se trouvent contre le rempart: il
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s’agit d’une série de grandes fosses oblongues (fig. 2) dont l’interprétation est encore difficile;
elles sont contemporaines du dépôt, mais renfermaient très peu de mobilier et aucun élément
spécifique. L’unique élément de structuration évident de cet espace est en fait le rempart qui
le borde: il s’agit de la seule limite réelle du dépôt, du côté est, puisque sur les autres côtés, au
sud, à l’ouest et au nord, s’ouvrent les fosses tardo-antiques et médiévales. Le rempart, vraisemblablement élevé en pierres liées à la terre à cette époque, apparaît comme un élément structurant fort sur lequel un certain nombre d’éléments ont pu être exposés, avant d’être dispersés
sur le vaste espace réservé au pied de celui-ci, à l’intérieur de la ville. La topographie du site
ne laisse pas place au doute: l’espace consacré aux pratiques rituelles conduisant à l’épandage
des armes et des têtes coupées est bien situé intra muros (fig. 1b). Ce type de localisation est
connu en Gaule méridionale où plusieurs sites abritent des bâtiments ou des espaces à vocation
rituelle à l’intérieur de leur rempart: Pech Maho dans l’Aude, Entremont et Roquepertuse en
Provence (Arcelin et alii, 1992).
Nous avons indiqué au début de cet article que le site du Cailar n’était exploré que depuis
quelques années et qu’une très faible surface en était étudiée; nous devons préciser ici que pour
le IIIe siècle a.C., seul le dépôt d’armes et de têtes coupées est connu : aucun habitat domestique contemporain n’a encore été fouillé. On pourrait donc évoquer la possibilité que le site ait
pu être entièrement consacré à des pratiques rituelles à cette époque. Cependant, l’analyse et
l’interprétation des assemblages faunique et céramique orientent plutôt vers l’existence d’un
habitat, au sein duquel est réservé un espace consacré aux pratiques rituelles.
Le devenir de cet espace, comme de l’habitat du Cailar, à la fin du IIIe siècle a.C. est
problématique. Les remaniements de l’époque médiévale se sont accompagnés de forts décaissements qui ont détruit les niveaux supérieurs du dépôt dans une grande partie de la zone
étudiée. Un petit secteur épargné par ces bouleversements a permis de mettre en évidence un
remblai de plus de 30 cm d’épaisseur, avec du mobilier céramique qui donne une datation vers
200 a.C., venant sceller les niveaux du dépôt. Le mobilier céramique résiduel dans les fosses
tardo-antiques et médiévales semble par ailleurs indiquer une rétraction de l’habitat aux IIe et
Ier siècles a.C. (faible taux d’amphores italiques notamment). Il est donc possible que le site
du Cailar ait été abandonné aux alentours de 200 a.C. ou se soit en tout cas considérablement
réduit, l’espace occupé par le dépôt d’armes et de têtes coupées étant dans tous les cas fermé.
5. CONCLUSION : UN TÉMOIGNAGE SUR DES PRATIQUES RITUELLES LIÉES À LA
GUERRE
L’ensemble découvert au Cailar présente, mêlé à des fragments de faune et de céramique,
un assemblage inédit de mobiliers en Gaule méridionale: des armes —une quinzaine de panoplies guerrières—, associées à d’autres types de vestiges métalliques en quantité moindre (parures, outillage, quincaillerie); des restes humains liés à la pratique gauloise des têtes coupées ;
des monnaies —exclusivement des oboles massaliètes en argent. L’achèvement de la fouille de
ce dépôt et l’approfondissement des analyses sur chaque catégorie de mobilier permettront à
terme de mieux restituer les différentes pratiques en jeu ici, mais un certain nombre de points
ont pu déjà être établis.
Les vestiges gisent éparpillés sur un vaste espace accolé au rempart qui ceinturait l’habitat.
Tous les éléments mobiliers donnent une chronologie concordante: le IIIe siècle a.C., avec
un développement sur toute la durée de ce siècle. Nous sommes en présence d’un lieu qui a
fonctionné durant une centaine d’année: quatre générations ont donc pu s’y succéder pour
exposer des crânes, déposer des armes qui avaient été rendues inutilisables à la suite de diverGladius, XXX (2010), pp. 43-60. ISSN: 0436-029X. doi: 10.3989/gladius.2010.0002
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ses manipulations destructives, faire des offrandes monétaires, et peut-être consommer des
boissons et des aliments carnés. Le déroulement précis de ces diverses pratiques rituelles nous
échappe mais elles ont laissé un certain nombre de vestiges matériels susceptibles d’en donner
un mince éclairage. Ces pratiques sont manifestement liées au monde de la guerre, à un degré
difficile à estimer pour ces populations protohistoriques dont les croyances et les mentalités ne
peuvent être qu’entr’aperçues, mais de manière néanmoins indéniable. Le caractère guerrier
apparaît dans la prépondérance des armes sur le reste du mobilier et dans la présence des têtes
coupées qui renvoient, si l’on suit le témoignage littéraire rapporté par Strabon, aux champs
de bataille. L’une des particularités de ce dépôt est sa durée puisque nous sommes en présence
d’un espace qui a été voué aux pratiques rituelles pendant environ un siècle. C’est pourquoi il
faut peut-être imaginer plutôt une périodicité de ces pratiques rituelles d’exposition de crânes
et de destruction puis de dévolution des armes (à moins que la dévolution rituelle précède
la destruction). Régulièrement, de nouveaux crânes et divers objets métalliques —essentiellement des panoplies guerrières— étaient exposés tandis que les éléments précédemment
accrochés étaient dispersés sur l’espace réservé au pied du rempart, en étant peut-être volontairement brisés, dans un processus de destruction rituelle systématique, ce qui pourrait expliquer
l’importante fragmentation de tous les vestiges retrouvés. Cette dispersion serait suivie d’un
petit apport de remblai pris dans l’habitat voisin dont témoigneraient les assemblages de faune
et de céramique. Des offrandes monétaires pourraient avoir lieu à un moment ou à un autre de
ces diverses pratiques rituelles.
Ainsi l’ensemble découvert au Cailar apporte un certain nombre d’éclairages nouveaux sur
un pan assez méconnu de la protohistoire méridionale. Cette découverte s’inscrit par contre
dans l’important renouvellement qu’ont connu les recherches sur les sanctuaires et les pratiques rituelles en Europe celtique continentale au cours de ces trente dernières années.
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