Revue archéologique d’Île-de-France
Numéro 5 - 2012
Éditeur
Mise en page, maquette et charte graphique
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la Revue archéologique d’Île-de-France
F. TESSIER
Président
Traduction des résumés (anglais et allemand)
F. GIROT, prospecteur bénévole Île-de-France
R. PEAKE, Inrap
D. COXALL, Ville de Paris, DHAAP
C. HAUKE, MA, MBA
Secrétaire
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Trésorier
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D. COXALL, Ville de Paris, DHAAP
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La RAIF publie des travaux en langue française, sur le champ
chronologique allant de la Préhistoire à l’époque contemporaine et portant sur la région Île-de-France.
Les manuscrits sont soumis au comité de rédaction puis, s’ils sont
acceptés, transmis à un ou plusieurs lecteurs. Des corrections
peuvent être demandées aux auteurs.
Toute correspondance est à adresser à :
revueidf@hotmail.fr
Illustrations en 1re de couverture
Saint-Nom-la-Bretèche (Yvelines).
Comité de lecture (pour ce numéro)
Jatte en céramique granuleuse.
V. ARVEILLER, chargée de recherche, Musée du Louvre
O. BLIN, Inrap / UMR 7041 - ArScAN
C. BRUT, Ville de Paris, DHAAP
L. BRUXELLES, Inrap / UMR 5608 - TRACES
A. DELORS-AHÜ, Inrap / UMR 7041 - ArScAN
V. LEGROS, DRAC Picardie / SRA
S. MAURY, conservateur honoraire du Patrimoine,
service départemental d’archéologie de Dordogne
P.-Y. MILCENT, Université Toulouse II / UMR 5608 - TRACES
F. RENEL, Inrap / UMR 7041 - ArScAN
N. VANPEENE, AVAF
[© V. Pissot, Inrap]
Secrétariat de rédaction (pour ce numéro)
C. BUQUET-MARCON, Inrap / UMR 5199 - PACEA
D. CHAOUI-DERIEUX, DRAC Île-de-France / SRA / UMR 7041
R. COTTIAUX, UMR 8215 - Trajectoires
S. HURARD, Inrap / UMR 7041 - ArScAN
S. MORAWSKI-BEUGNON, DRAC Île-de-France / SRA
R. NALLIER, Conseil général 93 / Université Paris I, Archéologie
protohistorique européenne
C. PIOZZOLI, DRAC Île-de-France / SRA
O. PUAUX, DRAC Île-de-France / SRA
Neuilly-sur-Marne (Seine-Saint-Denis).
Archéosite de la Haute-Île.
Espace d’immersion sur la période mésolithique.
[© Conseil général de la Seine-Saint-Denis]
Châteaubleau (Seine-et-Marne).
Statuette de bœuf en bronze issue du comblement du puits F147.
[© La Riobé]
Publié avec le concours financier de la DRAC Île-de-France, de
l’Institut national de recherches archéologiques préventives et
des Conseils généraux des Hauts-de-Seine, de Seine-Saint-Denis
et du Val-de-Marne.
Bon de commande disponible sur www.raif.fr
Ce numéro a été édité à 500 exemplaires.
Numéro ISSN : 2101 - 3608
Nicolas Girault
Silvia Païn
Aurore Doridot
Jean-Yves Hunot
UNE COLLECTION ATYPIQUE
DE FERS DE TRAIT AU CHÂTEAU
DE CHEVREUSE (YVELINES) :
approche archéologique interdisciplinaire
Résumé
Le mobilier métallique provenant des fouilles menées au château de la Madeleine à Chevreuse (Yvelines) comprend un lot atypique de 71 fers de trait,
daté de la fin du Moyen Âge. Les études archéologiques et archéométriques
(radiographie, analyses physico-chimiques MEB, xylologie), s’appuyant
sur une restauration systématique, ont révélé de nouvelles informations. Les
vestiges de bois (conservés sur 19 individus) ont pu être étudiés, des formes
inédites identifiées, ainsi qu’un surprenant placage d’alliage à base de cuivre,
présent sur 78 % des objets. Les observations effectuées ont permis de bâtir
des interprétations sur les modes d’élaboration des fers de trait plaqués,
ainsi que des fûts. Ce travail invite à réfléchir aux protocoles d’investigation
à mettre en place pour le mobilier métallique, même très altéré : un dialogue
constant entre spécialiste de ce mobilier, restaurateur et archéomètre peut
permettre d’apporter des informations dissimulées dans les produits de
corrosion.
Mots-clés
Yvelines, Chevreuse, Moyen Âge, guerre de Cent Ans, château,
armement, fer de trait, archéométallurgie, bois, restauration.
167
Abstract
Iron objects found during excavations on the site of the Madeleine Castle in
Chevreuse (Yvelines) include an atypical group of 71 iron harness-fittings
dating from the end of the medieval period. Archaeological and archaeometrical studies (x-ray, physical and chemical analysis, SEM, wood analysis),
combined with systematic conservation, have revealed new data. The study
included examination of wood remains on 19 objets and the identification of
several unknown forms, as well as revealing a surprising copper-based
plating on 78 % of the items. Information obtained has enabled us to submit
hypotheses concerning the fabrication of plated iron projectile heads and
shafts. The research carried out has lead to consideration of the investigatory
protocols necessary for iron objects, even when badly corroded: constant
exchange between the finds specialist, conservator and archeometrist
may allow retrieval of information hidden in corrosion products.
Keywords
Yvelines, Chevreuse, Middle Ages, Hundred-years war, castle,
weaponry, iron projectile heads, archaeometallurgy, wood,
conservation.
Zusammenfassung
Die Metallwaren, die aus den Ausgrabungen im Château de la Madeleine in
Chevreuse (Yvelines) kommen, enthalten eine Menge von 71 ungewöhnlichen
Pfeilspitzen, die aus dem späten Mittelalter datieren. Archäologische- und
archäometrische Studien (Röntgenaufnahmen, physisch-chemische Analysen
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
Nicolas Girault, Silvia Païn, Aurore Doridot, Jean-Yves Hunot
Scanning Electron Microscopy, Xylologie), auf einer systematischen Restaurierung basierend, haben neue Informationen enthüllt. Holzüberreste (auf
19 Pfeilspitzen erhalten) konnten untersucht, neue Formen identifiziert werden,
und eine überraschende Legierung auf Kupfer-Basis, die auf 78 % der Objekte
vorkam, untersucht werden. Die entstandenen Beobachtungen halfen
Erkenntnisse über die Art der Erstellung der beschichteten Pfeilspitzen,
sowie der Tonnen zu erhalten. Diese Arbeit lädt zu Überlegungen der zu
erstellenden Untersuchungsprotokolle für Metallwaren ein, selbst wenn sie
sehr angegriffen sind: Ein ständiger Dialog zwischen dem Spezialisten dieser
Metallware, dem Restaurator und dem Archäometre kann helfen selbst
Informationen zu erhalten, die in den Korrosionsprodukten versteckt sind.
Stichwörter Yvelines, Chevreuse, Mittelalter, hundertjähriger Krieg,
Schloss, Bewaffnung, Pfeilspitzen, Archäometallurgie,
Holz, Restaurierung.
Introduction
168
L’étude historique et archéologique du château de la Madeleine s’est déroulée en plusieurs
étapes. Des découvertes mobilières importantes y ont été faites, dont certains objets ou
ensembles ont été étudiés et parfois publiés. Mais l’étude globale de l’ensemble du mobilier,
qui restait à faire, est en cours depuis 2006. Au sein de ces collections, celle des fers de
trait – carreaux d’arbalète et pointes de flèche – présentait un intérêt particulier.
Ce type d’objet, couramment découvert en contexte castral, a fait l’objet d’un travail
de thèse extrêmement approfondi par Valérie Serdon (SERDON 2005). La collection de
Chevreuse est toutefois singulière, et a nécessité l’apport de plusieurs disciplines, alliant
à la fois restauration (Silvia Païn), étude typologique (Nicolas Girault), analyse des restes
ligneux (Jean-Yves Hunot) et analyse des métaux (Aurore Doridot). Cette collaboration
constante entre chercheurs et restauratrice a été engagée dès le départ de l’étude, suscitant
des échanges d’hypothèses en fonction des observations réalisées. Ce dialogue a permis
également d’effectuer des choix raisonnés sur les objets à traiter, qui nous ont amenés à
la restauration de 80 % de la collection.
Après un bref historique localisant la collection dans le temps et dans l’espace, nous
présenterons d’abord la typologie, puis l’étude des vestiges ligneux. Enfin, nous développerons plus en détail la question de la présence, surprenante, d’un placage en alliage
cuivreux sur 78 % des individus. Cette observation est à l’origine d’une étude archéométrique à laquelle nous consacrerons une section spécifique, qui a permis de proposer
une hypothèse de chaîne opératoire.
Étude archéologique des fers de trait
Contexte archéologique des découvertes
L’étude historique du château de la Madeleine a été initiée au milieu du xixe siècle par
Auguste Moutié, chargé par le duc de Luynes, son mécène – et propriétaire de l’époque –,
de compulser les archives disponibles (MOUTIÉ 1876). Trois campagnes de fouilles ont
émaillé l’histoire de la haute-cour du château (figure 1). De 1979 à 1980, Pierre-Jean
Trombetta y a réalisé des sondages concentrés autour du donjon, dans la partie sud et dans
le châtelet d’entrée (TROMBETTA 1981). En 1989 et de 1992 à 1994, Bruno Dufaÿ a pris le
relais en explorant toute la partie nord (DUFAŸ 1989 ; LANGLOIS, NISSEN-JAUBERT 1989 ;
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
Une collection atypique de fers de trait au château de Chevreuse (Yvelines) : approche archéologique interdisciplinaire
DUFAŸ, MORIN, MARCILLE 1993 ; DUFAŸ et alii 1994). Dans le même temps, en 1993,
Marie-Pierre Baudry et Christian Corvisier ont élaboré une synthèse historique et architecturale en prenant en compte les résultats archéologiques (BAUDRY, CORviSIER 1993).
Enfin, en 2010, Yvan Barat, Grégory Debout et Marc Langlois ont ouvert de nouveaux
sondages à l’intérieur du donjon, démontrant, par l’importance de leurs découvertes,
l’intérêt de poursuivre les investigations dans le château (BARAT, DEBOUT, LANGLOIS 2010).
Le château de la Madeleine, bref historique
Le château de la Madeleine joue un rôle stratégique important dans l’histoire militaire
du sud-ouest de l’Île-de-France depuis sa fondation et jusqu’à la seconde moitié du
xvie siècle. Dominant le bourg de Chevreuse et la vallée de l’Yvette, il participe, à l’origine,
au réseau défensif mis en place par les seigneurs de Montlhéry, opposés au pouvoir royal
BASSE COUR
19
4
7
54/1
6
72
53
HAUTE
COUR
51
50
9
16
55
52
54/2
169
71
60
58
70
16
58/2
12
8
57
56
82
17
5
75
14
83
84
85
1
14
5
m
3
2
3
11
13
52
18
10
Maison du PNR
20
15
140 m
81
sondages réalisés en 2010
zones fouillées de 1989 à 1994
N
135 m
zones fouillées de 1979 à 1980
0
zones détruites (Parc naturel régional)
50 m
équidistance des courbes : 1 m
Figure 1 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines).
Plan de localisation des sondages archéologiques des différentes campagnes de fouille. [© SADY]
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
Nicolas Girault, Silvia Païn, Aurore Doridot, Jean-Yves Hunot
170
et contrôlant toute la région sud-ouest de Paris. La première mention du château de la
Madeleine date de 1104, lors de son attaque sans succès par le futur Louis vi. La place
forte serait alors constituée d’un édifice de bois, défendu par une enceinte en terre,
dispositif qui perdurerait au moins jusque dans les années 1160-1180, durant lesquelles
seraient érigés le donjon et une première muraille en pierre.
Par la suite, les seigneurs de Chevreuse deviennent des personnages puissants, proches
des souverains de France. Le château occupe une situation stratégique majeure pour
la protection du domaine royal, contrôlant l’axe Paris-Chartres. L’enceinte est renforcée
au xiiie siècle et le châtelet d’entrée est construit. Puis, durant la guerre de Cent Ans,
Pierre de Chevreuse, capitaine royal et gouverneur du château, conforte l’ouvrage et
relie la muraille à l’enceinte du bourg vers 1380. Malgré ces nouvelles constructions,
les luttes intestines opposant armagnacs et bourguignons ont raison de la place forte.
L’armée de Jean-sans-Peur prend la ville et le château en 1417. Les bourguignons tiennent
ce dernier jusqu’en 1438. Dans les années 1440-1450, Nicolas de Chevreuse, très endetté,
reçoit l’aide de Charles vii, peut-être pour remettre le lieu en état de défense. Néanmoins, en
1465, ce baron participe à la ligue du Bien public et, comme sanction, se voit confisquer
sa seigneurie par le roi jusqu’en 1484. À court d’argent, il vend le château qu’il désigne en
1489 à l’amiral de Graville comme « en grant ruyne et désolation ». Le châtelet d’entrée a
pourtant été reconstruit et des tours de plan carré ont été adjointes au rempart au cours
du dernier quart du xve siècle, sans qu’il soit possible de déterminer plus précisément
l’identité du commanditaire.
Le lieu change ensuite souvent de propriétaire. En 1543, les héritiers de la famille de
Chevreuse vendent la baronnie à Anne de Pisseleu, duchesse d’Étampes et, surtout, favorite du roi François Ier. En 1551, Chevreuse devient propriété du cardinal de Lorraine qui
s’installe à Dampierre dès l’année suivante. À sa mort, en 1574, son neveu, le duc de Guise,
Henri le Balafré, en hérite. Il met la place forte en garnison pendant les affrontements de
la Ligue en 1589. À notre connaissance, c’est la dernière occupation du château par
une troupe militaire. Par la suite, la seigneurie de Chevreuse devient successivement la
propriété du duc de Luynes puis de Louis xiv. Ce dernier la cède rapidement à la maison
royale de Saint-Louis, les Demoiselles de Saint-Cyr. Transformant le lieu en ferme, elles y
effectuent de nombreux travaux de 1694 à 1734. Vendu comme bien national à la Révolution,
le château sert aux activités agricoles au xixe siècle, puis est acheté par le département
des Yvelines en 1981.
Provenance archéologique des fers de trait
Les fers de trait dont il sera question ici proviennent surtout de fosses, latrines ou
dépotoirs situés en plusieurs endroits de la haute-cour et, plus exceptionnellement,
dans des remblais (figures 1-2).
L’ensemble le plus étoffé, avec 43 individus identifiés, a été découvert en zone 8, dans
un dépotoir comblant une maçonnerie circulaire localisée sous la tour sud du châtelet
d’entrée. Son décalage par rapport à l’axe de la tourelle suggère que cet aménagement
est antérieur à la dernière phase de remaniement du châtelet (deuxième moitié du
xve siècle), fait confirmé par l’analyse stratigraphique. En effet, les couches les plus
profondes, sous-jacentes à celles du dépotoir, correspondent à des niveaux de chantier
de construction scellant un mobilier céramique de la fin du xive siècle et du premier quart du
xve siècle (RAVOIRE en cours). Elles sont contemporaines d’une phase de reconstruction
de la tour-porte lors de la campagne de travaux dirigée par Pierre de Chevreuse. Cette
première séquence stratigraphique est recouverte par celle du dépotoir, lui-même formé
par une alternance de couches organiques et de lits de matériaux (sable, mortier, pierres).
Leur pendage montre que les rejets ont été effectués à partir de la porte de la tourelle
(TROMBETTA 1981, p. 45). Ces niveaux ont livré, outre les artefacts qui nous intéressent,
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Une collection atypique de fers de trait au château de Chevreuse (Yvelines) : approche archéologique interdisciplinaire
55
50
5
8
3
2
3
15
20
55
> 20
10 - 20
5 - 10
<5
no de zone
N
0
10
20 m
Figure 2 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines).
Carte de répartition des effectifs de fers de trait dans les sondages,
en nombre d’individus. [© N. Girault, SADY]
du mobilier métallique d’une certaine richesse (pommeau de selle, éperons, …), une quantité
importante d’ossements animaux, ainsi que de la céramique permettant de dater l’ensemble
du dernier quart du xve siècle (TROMBETTA 1980 ; LABROT 1997 ; RAVOIRE en cours).
D’autres concentrations de fers de trait, quantitativement plus modestes, ont été
observées :
- onze individus ont été retrouvés dans la zone 15 (US 15002) située dans la tour carrée
au sud-est. Sous une épaisse couche de déblais, se trouvaient plusieurs niveaux de
cendres et de charbon de bois, constituant le remplissage d’une salle basse de la tour.
Cette dernière aurait servi de logement durant le xve siècle. Le mobilier associé est
essentiellement métallique. Il s’agit d’une centaine d’objets en fer et d’une trentaine
de monnaies datées de la fin du xvie siècle, ainsi que des balles en plomb témoignant
probablement de la présence de la garnison de la Ligue (TROMBETTA 1980). Le contexte a
été interprété comme étant celui d’un incendie consécutif à un acte militaire. Parmi
les exemplaires découverts en zone 15, le lot CHE.15002.52 se compose de quatre
projectiles agrégés par la corrosion, orientés différemment. Cette disposition exclut
l’hypothèse d’un conditionnement et évoque plutôt un dépôt désorganisé.
- neuf individus sont issus de la zone 55, en particulier les US 55073 (remplissage d’une
latrine) et 55119 (comblement d’une fosse dépotoir), toutes deux au pied de la tour
Charles V, et datées du dernier quart du xve siècle par le mobilier céramique.
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
171
Nicolas Girault, Silvia Païn, Aurore Doridot, Jean-Yves Hunot
Les autres exemplaires se retrouvent en plus faible quantité en plusieurs endroits du
site, dans des contextes très majoritairement datés des xve et xvie siècle par le mobilier
céramique. Trois individus proviennent de contextes antérieurs datés de la fin du
xiie siècle au début du xiiie siècle d’après l’étude céramologique. Enfin, des fers de trait dont
la typologie ne diffère pas fondamentalement des exemplaires plus anciens constituent
un lot résiduel exhumé en contexte moderne.
La formation des dépotoirs des zones 8 et 55, dont les comblements contiennent à eux
seuls 73 % des objets, est apparemment issue d’une même dynamique, engagée durant la
fin du xve siècle. L’essentiel de la collection est donc à mettre en rapport avec l’histoire
du château à la fin du Moyen Âge. Par ailleurs, rien ne permet d’affirmer que les objets
exhumés en association avec l’occupation de la garnison de la Ligue étaient en usage à
cette époque. Ainsi, les fers de trait de la zone 15 sont identiques à ceux datés du xve siècle,
et ont pourtant été découverts dans des niveaux datés de la deuxième moitié du xvie siècle.
Toutefois, ceci n’est pas un indice satisfaisant pour conclure à un usage continu de ces
projectiles pendant une centaine d’années. De façon générale, nous constatons que ces
contextes ne constituent pas des dépôts primaires pour ce mobilier. C’est également l’hypothèse de P.-J. Trombetta à propos du dépotoir de la zone 8 : « on a profité de la présence
de ce trou pour se débarrasser d’un certain nombre d’objets devenus obsolètes ou passés
de mode qui devaient ‘ encombrer les coffres ’ du châtelain » (TROMBETTA 1981, p. 45).
Typologie des fers de trait
172
Le protocole élaboré par V. Serdon dans sa thèse sur le sujet – largement citée dans
ce chapitre (SERDON 2005) – a été appliqué à notre collection. Les projectiles ont d’abord
été triés en fonction de l’arme pour laquelle ils étaient destinés. Les carreaux d’arbalète
se différencient en effet facilement des fers de flèche par leur aspect plus massif et leur
pointe plus trapue. Puis le type d’emmanchement et la morphologie de la pointe ont été
décrits (section, profil et aspect de l’inflexion vers l’emmanchement). Enfin, une série de
mesures ont été réalisées (longueur de la pointe et totale, largeur de la pointe, diamètre
de la douille).
Tous les fers découverts étaient emmanchés à l’aide d’une douille. Par ailleurs, les
formes rencontrées étant suffisamment variées, les données métrologiques, bien que
nécessaires, n’étaient pas déterminantes. En définitive, les sections et les profils des
pointes se sont avérés être les principaux critères de distinction. Le corpus en présente
huit formes dont cinq de sections différentes : carrée, triangulaire (la plus fréquente),
losangique, plate et circulaire.
Les carreaux d’arbalète correspondent à 70 % du nombre de fers de trait (soit 50 individus) et sont classés en cinq types dont les caractéristiques sont données dans un
tableau (figure 3) et illustrées par deux planches (figures 4-5). La typologie ainsi établie
suggère plusieurs commentaires. Tout d’abord, le type 2 de Chevreuse présente une
morphologie intermédiaire entre les types H et I de V. Serdon. Son profil, plutôt élancé,
le rapproche du type H. Cependant, les longueurs mesurées, inférieures à celle du type H,
sont plus proches de celles du type I. Si on considère que la longueur totale et la largeur
de la pointe sont des critères de moindre importance pour la détermination typologique,
le type 2 pourrait être une sous-catégorie du type H non observée jusque là. Ce type de
carreau aurait servi à percer les armures. La variante 2a, qui présente une pointe
beaucoup plus courte et un rapport longueur de pointe / longueur de douille inférieur
quasiment de moitié par rapport au type 2, ne trouve pas d’éléments de comparaison
dans la typologie de V. Serdon. D’autre part, pour certains individus du type 3, la section
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
Une collection atypique de fers de trait au château de Chevreuse (Yvelines) : approche archéologique interdisciplinaire
Type
NMI
Fréquence
Section
de la pointe
Profil
de la pointe
Longueur
totale
moyenne
(en mm)
1
2
3%
carrée
lancéolé / conique
91
37
8,5
2
10
14 %
losangique
pyramidal /
lancéolé / conique
74
29,5
10
Longueur
Largeur
Zone(s)
moyenne de moyenne de
la pointe
la pointe
(en mm)
(en mm)
Datation
des contextes
Typologie Serdon
et datation
8 et 15
fin xve - fin xvie siècle
type B
2e moitié
xive siècle
8 et 15
fin xve - fin xvie siècle
H?
xive-xve siècles
2a
1
1%
losangique
pyramidal
76,5
20,5
8
8
fin xve siècle
aucune
3
30
42 %
triangulaire
lancéolé / foliacé
68,5
20
8
8, 15
et 55
dernier quart
fin xvie siècle
aucune
4
6
8%
triangulaire
pyramidal
14,5
9
3, 8, 50
et 55
fin du xve siècle
8
dernier quart xve siècle
8
1
1%
ronde
conique ?
63
48
ind.
ind.
xve
M
xive siècle
K
xiiie-xive siècles
Figure 3 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines).
Tableau typologique des carreaux d’arbalète. [© N. Girault, SADY]
de la pointe prend systématiquement la forme d’un triangle isocèle, donnant une arête
plus prononcée que les deux autres. Enfin, le seul exemplaire du type 8 semble constitué
d’une feuille de métal enroulée sur elle-même.
Les pointes de flèche sont beaucoup moins représentées que les carreaux, avec seulement 8 % de la collection (six individus) répartis en trois types (types 5 à 7) (figures 6-7).
Rapporté au classement de V. Serdon, le type 5 se rapproche du type A, mais présente une
longueur plus faible et une section légèrement plus épaisse. En revanche, cette typologie
ne présente pas de forme ayant une description correspondant au type 7 de Chevreuse.
Les douilles trouvées cassées avant la pointe, mais dont la morphologie permet de les
identifier comme des fragments de fers de trait ont été classées comme indéterminées :
on en compte quatorze.
La répartition typologique en fonction des contextes archéologiques est assez homogène. En effet, si on exclut les exemplaires isolés ou datés des xiie-xiiie siècles, on peut
constater une certaine similitude entre les lots de projectiles découverts. En particulier,
on retrouve systématiquement des exemplaires de type 3 dans les assemblages des trois
zones les plus fournies (8, 15 et 55). Ce type présente une relative standardisation, caractérisée par une section isocèle spécifique et de très faibles variations dimensionnelles
(les mesures des longueurs ont un écart-type inférieur à 2 mm). Ce constat autorise
l’hypothèse d’une origine commune de ces lots, renforcée par la pratique du placage
d’alliage cuivreux, qu’on retrouve dans ces trois principaux contextes.
L’intérêt principal de cette analyse typologique est donc la mise en évidence des
types 2 et 3 (figures 3-4), les plus fréquents dans un corpus conséquent, alors même
qu’ils ne sont pas directement superposables, voire absents de la typologie de V. Serdon.
Les fûts : identification des bois utilisés
La présence de bois, mise en évidence dans des exemplaires issus des zones 8, 15 et 55,
suggère qu’au moins certains projectiles étaient assemblés à un fût. Ces derniers étaient
ainsi rendus opérationnels pour le tir. La rareté de ce type de découverte sur le territoire
français donne une dimension toute particulière à l’étude de ces vestiges ligneux.
L’importante quantité de bois perminéralisé contenu dans les douilles de la plupart
de ces traits indique une dégradation relativement lente des bois, laissant le temps
aux oxydes métalliques de migrer, ce qui suggère qu’ils ne sont pas restés à l’air libre
longtemps entre leur abandon et leur enfouissement.
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
173
Nicolas Girault, Silvia Païn, Aurore Doridot, Jean-Yves Hunot
TYPE 2
CHE.8050.200
CHE.15002.62
CHE.8050.66
variante 2a
5 cm
métal à base de cuivre
produits de corrosion verts
174
0
CHE.8050.17
TYPE 3
CHE.8050.19
CHE.8050.60
Figure 4 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines).
Carreaux d’arbalète : types 2 et 3. [© N. Girault, SADY]
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
CHE.8054.27
Une collection atypique de fers de trait au château de Chevreuse (Yvelines) : approche archéologique interdisciplinaire
5 cm
TYPE 1
TYPE 4
TYPE 8
0
CHE.55119.1
CHE.8050.18
CHE.8050.63
Figure 5 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines).
Carreaux d’arbalète : types 1, 4 et 8. [© N. Girault, SADY]
Dix-neuf carreaux présentaient des restes de bois, dont dix-sept suffisants pour une
détermination. Le hêtre (Fagus sylvatica L.) est majoritairement employé et seuls trois
comportent du chêne à feuillage caduc (Quercus sp.). Dans le cas du dépotoir de la zone 8,
sur les treize identifiables, deux exemplaires emploient le chêne.
Comparativement, ces deux essences de bois offrent des caractéristiques mécaniques
différentes. Le hêtre, présent naturellement en grande quantité dans les forêts d’Île-deFrance, est facile à mettre en forme, en particulier par tournage. Ce bois subit peu les
variations hygrométriques et les déformations. Il est par contre de plus faible densité que
le chêne. Ce dernier offre une meilleure résistance mécanique ; toutefois c’est un bois
hétérogène, plus nerveux, dont la stabilité et la déformation sont liées aux facteurs
de croissance de l’arbre. Pour obtenir une assez bonne stabilité dimensionnelle, il est
nécessaire de choisir des chênes à croissance lente, similaires à ceux sélectionnés
pour la réalisation des panneaux de meubles ou les lambris. C’est effectivement ce type
de chêne qui a été pris pour le trait CHE.15002.62, avec un arbre ayant une croissance
radiale annuelle inférieure au millimètre.
Ces fûts ont été obtenus à partir d’éléments de forte section débités en petites bûchettes
avant façonnage par tournage. Pour les deux fers découverts en zone 15 (CHE.15002.62 et
CHE.15002.91), la section conservée dans la douille présente un contour facetté (figure 8).
Respectivement en chêne et en hêtre, il n’est pas possible de confirmer si cet aspect résulte
d’une simple mise à la bonne section de l’extrémité du fût par de petits enlèvements ou
d’un mode de façonnage par rabotage.
Les vestiges conservés sur le fer de trait CHE.8050.145 suggèrent un aspect fuselé pour
la partie avant de ce trait. Cette augmentation de section peut répondre à deux soucis :
augmenter le poids du trait, et donc sa force d’impact, et également augmenter la rigidité
du fût afin de limiter sa flexion au moment où il est éjecté.
Le fer CHE.8050.69 présente une particularité : l’extrémité des restes du fût en bois
déborde de la douille et forme un plan perpendiculaire à l’axe du trait. Ceci indique que
le fût a été tronçonné avant d’être mis au rebut, car cette disposition ne résulte pas d’une
simple altération du bois (figure 8, à gauche). Doit-on y voir le vestige d’un carreau dont
le fût a été coupé avant son retrait d’une blessure ?
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
175
Nicolas Girault, Silvia Païn, Aurore Doridot, Jean-Yves Hunot
Type
NMI
Fréquence
Section
de la pointe
Profil
de la pointe
Longueur
totale
moyenne
(en mm)
5
1
1%
losangique
foliacé
44
6
3
6%
plate / ovale
triangulaire
/ foliacé
48
triangulaire
bipenne
48
Longueur
Largeur
moyenne de moyenne de
la pointe
la pointe
(en mm)
(en mm)
27
34
11,5
19,5
Zone(s)
Datation
des contextes
Typologie
Serdon et
datation
2
xve - xvie siècles
aucune
5 et 50
e
2 moitié du
milieu du xiiie siècle
A
xiie
xie - milieu du
xiiie siècle
7
1
1%
ovale
à pédoncule
indet.
4,5
20
moderne
aucune
Figure 6 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines). Tableau typologique des pointes de flèche.
[© N. Girault, SADY]
TYPE 5
TYPE 6
CHE.2088.2
CHE.50346.2
176
TYPE 7
5 cm
métal à base de cuivre
produits de corrosion verts
Figure 7 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines).
Fers de flèche : types 5, 6 et 7. [© N. Girault, SADY]
: alliage cuivreux
CHE.20014.4
0
1 cm
(2:1)
Figure 8 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines). Carreaux présentant des restes du fût en bois.
À gauche, vues de face et oblique des traces de découpe du fût du carreau CHE.8050.69 ; à droite, vue de face
de la douille du carreau CHE.15002.91, dont le fût a un contour facetté. [© P. Laforest, S. Païn, SADY]
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
Une collection atypique de fers de trait au château de Chevreuse (Yvelines) : approche archéologique interdisciplinaire
Le choix des deux essences citées n’est pas exceptionnel pour fabriquer des projectiles
et elles ont, semble-il, été identifiées en d’autres lieux (SERDON 2005, p. 148). Pour expliquer
l’emploi de deux bois différents, il faudrait aussi avoir connaissance de la forme complète
des projectiles, car aucune conclusion d’ordre balistique ne peut être déduite uniquement
à partir de la nature du matériau. Les considérations strictement mécaniques à propos de
ces essences (variation de poids, résistance) ne suffisent effectivement pas à déterminer
le fonctionnement ni l’usage de ces projectiles. De surcroît, pour une production impliquant
de grandes quantités de fûts, le choix du matériau répondrait d’abord à la nécessité du
rendement. Il faut sans doute voir dans l’emploi dominant de hêtre et de chêne à croissance
lente une volonté d’obtenir un produit standard, facile à mettre en forme, à moindre coût
et conservant une bonne stabilité dimensionnelle, nécessaire au stockage des munitions.
Le placage en alliage cuivreux : l’apport de la restauration
La présence d’un placage en alliage cuivreux sur certains de ces carreaux avait été
mise en évidence dès 1998, lors de la restauration de quatre individus à l’occasion d’une
exposition. La ténuité des vestiges, leur localisation peu compréhensible sur les objets,
l’absence de références pour du mobilier de comparaison et leur faible nombre n’avaient
pas permis d’en tirer des conclusions. L’étude globale du mobilier métallique (GIRAULT
2008) a, en revanche, été précédée par une campagne de radiographies qui a permis de
déterminer l’importance du corpus, sans pour autant apporter d’éléments d’information
sur la présence de l’alliage cuivreux. Ce moyen d’observation, classique pour le matériel
ferreux, permet en particulier de révéler les décors sur les objets damasquinés. Plus
récemment, Manuel Leroux signale la présence de traces d’étamage, totalement invisibles
lors de la restauration mais accessibles à l’analyse après repérage radiographique
(LEROUX, LEMOINE 2003 ; LEROUX 2006). On pouvait donc raisonnablement imaginer
que la radiographie montrerait la présence du placage. Cependant, la « signature » radiographique est étroitement liée aux différences de densité entre les métaux (ou, dans le
cas qui nous occupe, entre leurs produits de corrosion). Malheureusement, les éléments
de placage d’alliage cuivreux sur les fers de trait, visibles à l’œil nu, ou parfois sous binoculaire, n’ont pu être repérés sur les radiographies. Même après restauration, lorsque
nous connaissions l’emplacement exact des vestiges de placage, nous n’avons pu les détecter
sur l’image radiographique, qu’il s’agisse de produits de corrosion ou de plages à l’état
métallique, … Il a donc été décidé de procéder à une campagne de restauration sur la
quasi totalité des fers de trait identifiés (60 individus), seule façon de mettre en évidence
la présence du placage et d’en évaluer l’importance. Le nettoyage, limité volontairement à
ce qui était nécessaire à l’étude, a également permis de préciser la typologie des carreaux.
Quel que soit le contexte spécifique de provenance archéologique, l’état de conservation
des parties ferreuses des fers de traits présente des caractéristiques communes :
- absence de noyau métallique et transformation en produits de corrosion feuilletés
(seuls quelques exemplaires ont une réponse à l’aimant, la plupart du temps très
faible, localisée logiquement sur la pointe, qui est la partie la plus massive) ;
- les couches de corrosion extérieures sont assez encroûtées et très dures (jusqu’à 1 cm
d’épaisseur), englobant des grains de sable et cailloux en nombre important (figure 9) ;
- sur la douille, la surface d’origine est rarement repérable à des caractères intrinsèques.
Sa situation est souvent déduite, par élimination, à une localisation dans la strate
intermédiaire entre une couche qui, présentant des éléments allogènes, se situe
nécessairement au-dessus, et une couche pulvérulente, voire un vide, qui indique que
l’on se trouve à l’intérieur de l’objet ;
- sur la pointe, la présence d’une surface originelle est plus souvent observée, mais
reste rare.
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
177
Nicolas Girault, Silvia Païn, Aurore Doridot, Jean-Yves Hunot
3 cm
(1:1)
Figure 9 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines). Carreau CHE.55073.16 avant restauration :
les produits de corrosion, très épais, englobent des éléments du sédiment, parfois de grande taille.
[© P. Laforest, S. Païn, SADY]
Les traces d’alliage cuivreux observées sur les fers de trait, soit en coupe sur des cassures
fraîches, soit lors du dégagement, se présentent sous différentes formes :
- des plages de produits de corrosion verts, souvent pulvérulents, parfois sur des très
faibles surfaces. Sur certains objets, il est difficile de savoir s’il s’agit de l’extérieur ou
de l’intérieur de la douille ;
- un cerne de produits de corrosion verts, souvent pulvérulents, à l’extérieur et/ou
à l’intérieur de la douille (figure 10), observé parfois en coupe, sur des objets cassés
lors de la fouille ;
- plus rarement (dix exemplaires), des plages d’alliages cuivreux à l’état métallique,
brillant, de couleur jaune ou rouge, ont pu être observées, sur de faibles surfaces
(figure 11) ;
- dans un cas, l’alliage cuivreux a pu être mis en évidence sous forme de produits de corrosion non pulvérulents (cuprite ?), à l’intérieur de la douille. Ce carreau (CHE.8043.55)
a été choisi et préparé pour l’étude métallographique présentée plus loin.
178
1 cm
(2:1)
Figure 10 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines). État de
conservation des objets : une cassure fraîche sur le carreau CHE.8050.55
montre la minéralisation complète du fer et des traces de produits de
corrosion du cuivre verts. [© P. Laforest, S. Païn, SADY]
3 cm
1 cm
(1:1)
(3:1)
Figure 11 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines). Placages d’alliages cuivreux les mieux conservés :
en haut, le carreau CHE.15002.62 ; en bas, le carreau CHE.8050.30 et sa douille vue de face.
[© P. Laforest, S. Païn, SADY]
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
Une collection atypique de fers de trait au château de Chevreuse (Yvelines) : approche archéologique interdisciplinaire
Ces traces d’alliage cuivreux, parfois très ténues, se présentent sous de si faibles
surfaces que l’usage de la loupe binoculaire est indispensable. Aussi, c’est le dégagement
mécanique, majoritairement effectué au microtour sous binoculaire (×10 et ×20), qui
a permis d’observer leur présence : au moins 78 % des objets restaurés sont concernés,
soit 47 objets. La présence d’alliage cuivreux a été mise en évidence sur six des huit types
de fer de trait : pour ce qui est des types les plus représentés, 2 et 3, le taux d’individus
plaqués dépasse les 87 % (figure 12). Tous les contextes où ils ont été trouvés en quantités
significatives en contiennent. Ces pourcentages sont un minimum, car ils ne peuvent pas
rendre compte de cas de disparition totale de l’alliage cuivreux.
Ce phénomène, largement représenté sur le corpus de Chevreuse, semble en revanche
mal connu ailleurs et dans la littérature. La thèse de V. Serdon n’en fait pas mention, bien
qu’elle ait pu avoir accès à des corpus très étendus, et les seuls éléments de comparaison
que nos recherches ont permis de trouver sont trois lots dont la nature du polymétallisme n’a pas été analysée. Le premier est constitué d’une vingtaine de fers de trait mis au
jour dans un dépotoir du château de Clisson (Loire-Atlantique) (MARTINEAU 2008, p. 60).
D’après les observations réalisées par Loretta Rosetti lors de la restauration, il s’agirait
dans ce cas plutôt de tôles insérées à l’intérieur de la douille que d’un placage (ROSETTI
2007). Le second provient du château du Guildo (Côtes-d’Armor), où seuls trois individus
seraient, là aussi, chemisés par des tôles à base de cuivre qui auraient servi à adapter les
diamètres des fûts à ceux des douilles (LE DON 2009, p. 66). Un dernier lot de trois exemplaires est issu de la fouille d’un bâtiment dans le château de Caen (Calvados) (ZAOUR à
paraître). Les traces d’alliages cuivreux y sont particulièrement ténues. Ces collections
sont toutes datées du xve siècle.
Type
indéterminés
Nombre d'individus avec indice de placage
10
Fréquence
63 %
1
2
3
0
10
27
0%
91 %
87 %
4
5
2
1
33 % 100 %
6
0
0%
7
8
1
1
100 % 100 %
Figure 12 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines). Tableau des fréquences
des individus polymétalliques au sein de chaque type. [© N. Girault, SADY]
Dans la littérature, les découvertes d’autres objets en fer présentant un placage en
alliage cuivreux sont peu nombreuses et dans un spectre chronologique plutôt éloigné
du nôtre : s’agit-il d’un problème de conservation ou bien d’identification ? On pourrait
envisager l’existence d’un micro-climat favorable à la conservation du placage, mais cette
hypothèse paraît peu probable : compte tenu de la diversité des contextes de découverte
à Chevreuse et de leur répartition aux quatre coins du château, celle-ci ne peut, à elle
seule, justifier la conservation préférentielle des alliages cuivreux. La restauration peut
en être le facteur déterminant, car il est très difficile de détecter le placage sur les objets
non restaurés, la corrosion du fer masquant les revêtements, sauf en cas de cassure fraîche.
Dans l’état actuel des connaissances, quelques articles font mention d’objets en fer
présentant un revêtement en alliage cuivreux. Par exemple, des chercheurs espagnols
(LOPEZ, LOPEZ SEBASTIAN, ORTIZ de ERRAZTI 1998) présentent l’étude de plusieurs
objets du ive siècle av. J.-C. Bien que les auteurs pensent se trouver en présence d’un
double placage en alliage cuivreux / magnétite, il semblerait qu’il s’agisse d’un simple placage
en alliage cuivreux et que la couche de magnétite soit le résidu des couches de corrosion
du fer. Autre exemple de placage plus assuré, et bien connu au moins pour les périodes
romaine et altomédiévale : il s’agit des clochettes en tôle de fer présentant soit un revêtement en alliage cuivreux soit une brasure réalisée à l’aide d’une tôle en alliage cuivreux
(CUISENIER, GUADAGNIN 1988, p. 239 ; FEUGÈRE, THAURÉ, viENNE 1992, p. 176, no 148 ;
CHARDRON-PICAULT, PERNOT 1999 ; LEGROS 2008, p. 191 ; 2012, p. 139, figure 59).
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
179
Nicolas Girault, Silvia Païn, Aurore Doridot, Jean-Yves Hunot
Pour ce qui est des études pratiquées sur des fers de trait, nous en connaissons plusieurs
par la littérature : il s’agit de coupes métallographiques effectuées sur des exemplaires
comportant un noyau métallique en très bon état (debord, dieudonnÉ-glad 1993 ;
FORRIÈRES, MERLUZZO, PLOQUIN 1993 ; SERDON, FLUZIN 2002). En revanche, aucun des
auteurs n’a, semble-t-il, pratiqué des analyses élémentaires de surface sur ces objets
ou sur les coupes, ce qui aurait pu apporter des éléments d’information sur la présence
d’alliages cuivreux ou d’étamage, même en l’absence d’indices macroscopiques.
Étude archÉomÉtrique des placages en alliage cuivreux
Composition des alliages cuivreux utilisés
Méthode d’analyse
180
L’objectif des analyses était de caractériser au mieux ce placage d’alliage cuivreux, de
façon à apporter des éléments pour formuler une hypothèse sur le mode de fabrication
de ces fers de trait.
Pour l’étude, deux protocoles analytiques ont été mis en place : le premier, non
destructif, a permis une analyse des surfaces métalliques conservées de cinq carreaux
restaurés ; le deuxième a demandé de sectionner deux fers de trait (CHE.8043.55 et
CHE.55073.20, choisis en raison de leur état fragmentaire, brisé pour le premier, incomplet
et non restauré pour le second) afin d’y observer les produits de corrosion et le mode de
fabrication.
Selon les deux approches mentionnées précédemment, deux protocoles de préparation
des objets pour l’analyse ont été mis en œuvre. Le premier n’a demandé aucune action
directe sur l’objet. Les individus CHE.2088.2, CHE.8050.30, CHE.8054.6, CHE.15002.62 et
CHE.15002.42 ont été fixés par un ruban adhésif en carbone sur un support adapté afin
de les placer dans la chambre du microscope électronique à balayage (MEB). Toutefois,
il a fallu s’assurer que les carreaux contenaient suffisamment de parties métalliques pour
conduire le courant et que la résine de restauration permettait sa conduction. L’étude
analytique a été faite directement sur la surface de l’objet. Pour chaque plage métallique,
trois à quatre points de mesure ont été réalisés (DORIDOT, GIRAULT 2008).
Pour les deux autres fers de trait, CHE.8043.55 et CHE.55073.20, l’observation a été
réalisée sur des coupes transversales et longitudinales, nécessitant une préparation
métallographique. Chacun de ces échantillons a été inclus dans une résine pour faciliter
les manipulations. Ils ont été d’abord coupés selon les axes à observer. Les surfaces obtenues
ont ensuite été polies avec du papier abrasif de différentes granulométries jusqu’à
environ 1 µm. Pour finir la préparation, les échantillons ont été recouverts d’une couche
de carbone d’environ 20 nanomètres afin de rendre la surface conductrice, et permettre
l’observation de parties non-métalliques (les zones corrodées par exemple). Le microscope électronique à balayage utilisé (MEB Hitachi S2500) est un outil très performant
pour visualiser les endroits qui présentent encore du métal. De plus, le système d’analyse
en spectrométrie en dispersion d’énergie (système EDS, IMIX-PGT), couplé au microscope,
permet d’effectuer des analyses élémentaires des zones observées.
Résultats
Les analyses des cinq premiers échantillons ont montré qu’il s’agissait de restes
d’alliages cuivreux comprenant cuivre, étain, zinc et plomb à des teneurs variées. Nous
pouvons distinguer trois catégories selon la composition des alliages (figure 13). La première
(CHE.2088.2 et CHE.15002.42) présente des traces de bronze binaire ayant une concentration
moyenne en étain de 5,5 ± 1 % massique. La présence de zinc est faible, voire non détectée.
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
une collection atypique de fers de trait au château de Chevreuse (Yvelines) : approche archéologique interdisciplinaire
Pour la deuxième (CHE.15002.62), il s’agit de traces de bronze ternaire avec des concentrations en étain de 5 ± 1 % massique et des concentrations en zinc autour de 2 % massique,
le plomb étant présent sous forme de traces. La troisième et dernière tendance,
(CHE.8054.6 et CHE.8050.30), présente des traces de bronze ternaire constitué de zinc et
d’étain. Les concentrations en zinc (4,5 ± 0,2 % massique) sont supérieures à celles en
étain (3,5 ± 0,2 % massique).
Catégorie 1
Échantillon
Cu
Sn
CHE.2088.2
83,96
6,56
CHE.15002.42
91,03
5,65
Zn
Pb
Ag
Fe
Cl
0,73
6,15
2,1
1,88
traces
0,33
0,53
traces
3,01
traces
traces
0,51
0,61
0,38
Catégorie 2
CHE.15002.62
88,40
4,57
1,87
0,79
Catégorie 3
CHE.8054.6
85,35
3,67
4,32
0,63
CHE.8050.30
87,10
3,39
4,62
traces
Ni
As
S
0,50
6,04
4,92
Figure 13 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines). tableau des moyennes des résultats analytiques
des alliages cuivreux conservés à l’état métallique pour cinq objets, en pourcentage massique normalisé.
[© a. Doridot, N. Girault, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, SaDY]
Pour déterminer si ces métaux sont associés dans un alliage ou bien superposés, nous
nous sommes intéressés à la cartographie représentant l’étain, car c’est le seul élément
qui, grâce à la stabilité de ses produits de corrosion, permet de visualiser la présence
d’un dépôt et de connaître son emplacement exact. Il s’agit d’une fine couche homogène
répartie de part et d’autre du fantôme de l’âme en fer. Cette fine épaisseur d’étain est
très clairement associée au cuivre et au zinc (quand celui-ci est présent) (figures 14-16).
Ce phénomène se retrouve aussi bien pour le carreau CHE.8043.55 que pour le carreau
CHE.55073.20 (figure 17). La présence concomitante de ces éléments aux mêmes emplacements permet d’affirmer que nous sommes en présence d’un alliage cuivre-étain-zinc et
non de plusieurs métaux apposés en couches successives, comme ce serait le cas pour
un étamage sur du cuivre ou du laiton.
Figure 14 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines).
Dessin du fer de trait CHE.8043.55 et localisation des coupes
réalisées sur cet échantillon. [© N. Girault, SaDY]
coupe 1ab
5 cm
0
CHE.8043.55
produits de corrosion verts
coupe 2cd
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
181
Nicolas Girault, Silvia Païn, Aurore Doridot, Jean-Yves Hunot
182
produits de corrosion du fer
produits de corrosion d’alliage cuivreux
vestiges ligneux
zone dégagée lors de la restauration
localisation de la pointe
1 cm
0
Figure 15 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines). Cartographies MEB-EDS des éléments fer, oxygène,
cuivre, étain et zinc localisées sur le schéma de coupe 1ab de la douille du carreau CHE.8043.55 et photographie
de cette dernière. [© A. Doridot, N. Girault, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, SADY]
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
Une collection atypique de fers de trait au château de Chevreuse (Yvelines) : approche archéologique interdisciplinaire
0
5 mm
produits de corrosion du fer
produits de corrosion d’alliage cuivreux
vestiges ligneux
vacuoles
Microscopie en micrographie électronique (MEB)
en électrons rétrodiffusés de la coupe 2cd
183
Figure 16 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines). En haut, photographie et schéma de la coupe
2cd du carreau CHE.8043.55. En bas, cartographies MEB-EDS des éléments fer, oxygène, cuivre, étain et zinc
de cette même coupe. [© A. Doridot, N. Girault, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, SADY]
Compte tenu des différences de composition des alliages, qui dépassent largement
celles qui seraient dues à l’imprécision statistique, l’hypothèse du traitement du lot en un
même bain ne peut être retenue : les résultats suggèrent plutôt que les différents individus
ont reçu des placages de compositions diverses, probablement à des moments, voire
des lieux de fabrication différents.
Les faciès de corrosion
La corrosion du fer est influencée par de nombreux paramètres. Dans la plupart des
cas, le mécanisme de corrosion du fer est un processus de type électrochimique qui fait
intervenir l’humidité environnante comme un électrolyte. Ce système comporte un
substrat métallique qui correspond au métal sain, puis une couche dite de produits
denses, qui se compose de produits de corrosion du fer et, enfin, une couche contenant
des composés du sol mélangés à des produits de corrosion (NEFF 2003, p. 360).
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
Nicolas Girault, Silvia Païn, Aurore Doridot, Jean-Yves Hunot
5 cm
axe de coupe
0
0
1 cm
184
milieu transformé
produits de corrosion (produits denses)
Microscopie en micrographie électronique (MEB)
en électrons rétrodiffusés d'un quart de la coupe
vacuoles
vestiges ligneux
Figure 17 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines). En haut, photographie du fer de trait CHE.55073.20
et de la coupe transversale réalisée pour l’étude. En bas, cartographies MEB-EDS des éléments fer, silice,
cuivre, étain et zinc localisées sur le schéma de coupe de la douille. [© A. Doridot, N. Girault, Université
Paris 1 Panthéon-Sorbonne, SADY]
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
Une collection atypique de fers de trait au château de Chevreuse (Yvelines) : approche archéologique interdisciplinaire
Les cartographies montrent que le substrat métallique est absent : ceci est dû à des
phénomènes de dissolution et de migration des composés ioniques formés Fe2+ et Fe3+
(figures 10, 15-17). Ce phénomène a pour conséquence de laisser un vide à l’emplacement de la tôle en fer, (substrat métallique d’origine totalement transformé). Pour les
objets restaurés, bien entendu, la couche externe a été enlevée lors du nettoyage et seule
reste visible la couche de produits denses.
Dans le cas des fers de trait polymétalliques, d’autres mécanismes de corrosion vont
interagir avec ceux-ci et avec le milieu. Ainsi, la présence de plusieurs métaux, en
formant une pile électrique, engendrera la dissolution du métal le moins noble, tandis que
l’autre sera protégé, et ceci aussi longtemps qu’il restera de ce premier métal accessible
à l’électrolyte. Selon le classement du potentiel de dissolution (BARD, FAULKNER 1983,
p. 791), le zinc est le métal qui se sacrifie en premier ; viennent ensuite le fer, puis l’étain et,
enfin, le cuivre. Toutefois, les produits de corrosion formés vont modifier le mécanisme
de corrosion : par exemple, l’étain va s’oxyder avant le cuivre, mais les oxydes formés
vont être plus stables que les composés du cuivre.
Les études de ce type de faciès sur des objets polymétalliques étant très rares, on
mesure l’intérêt des observations microscopiques et des analyses réalisées pour une
meilleure compréhension du développement des faciès de corrosion dans ce contexte.
À cet égard, les coupes des deux carreaux CHE.8043.55 et CHE.55073.20 se sont révélées
capitales quant à la détermination du profil de corrosion (figures 15-17). De l’intérieur
vers l’extérieur, la stratigraphie du fer de trait CHE.55073.20 montre tout d’abord une
couche de produits denses correspondant aux composés altérés du fer, puis un substrat
d’alliage cuivreux qui se caractérise par une couche plus ou moins continue. Elle mesure
de 10 à 50 micromètres d’épaisseur. Enfin apparaît une nouvelle couche de corrosion du
fer mêlée d’éléments provenant du sol comme des grains de silice et parfois des résidus
cuivreux oxydés : il s’agit du milieu transformé. L’étain, par ses produits de corrosion
stables, apparaît très nettement en fines couches parallèles, situées de part et d’autre des
parois de la douille des deux échantillons. Ce composant de l’alliage cuivreux, déposé sur
les fers de trait, permet d’en déterminer la surface d’origine. Il donne aussi une meilleure
idée de l’épaisseur des parois initiales des douilles, qui varie entre 0,3 et 1 mm.
L’étude métallographique et les observations effectuées lors de la restauration ont
permis d’affiner la compréhension des processus de corrosion ainsi que la connaissance
des alliages ternaires (Cu-Zn-Sn) utilisés. Un mode opératoire pour la réalisation du
placage par immersion dans le métal en fusion peut être proposé.
Hypothèses de chaîne opératoire de la production des fers de trait
La chaîne opératoire classique de la production de fers de trait est décrite dans la
littérature (SERDON 2005 ; SAINTY, MARCHE 2006), mais les procédés de fabrication
impliquant un placage d’alliages à base de cuivre sur des objets en fer restent mal connus.
La forme de départ utilisée par le forgeron est sans doute une barre de fer de section
carrée ou rectangulaire, de surface légèrement supérieure à celle de la plus grande section
du projectile à produire. La technique de déformation est thermomécanique. Le forgeron
commence par aplanir à chaud sur l’enclume un segment afin de lui donner une
forme en queue d’aronde de l’épaisseur d’une fine tôle. C’est ce segment qui est enroulé
sur lui-même pour constituer la douille du fer de trait. L’examen des cartographies du fer
CHE.8043.55 révèle que les deux bords de ce segment se superposent. Par contre, il n’est
pas possible de dire si la pointe est forgée avant ou après la fermeture de la douille.
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Comme nous l’avons vu, le corpus de Chevreuse présente huit formes de pointes, dont
cinq de sections différentes : carrée, triangulaire, losangique, plate et circulaire. La forme
la plus fréquente est triangulaire (types 3 et 4). Or, il est impossible de forger une section
de ce type sur une table d’enclume plane. Pour façonner une pointe triangulaire, il faudrait
une matrice présentant un creux en V, dans laquelle serait placée l’ébauche. La pointe
serait ensuite estampée par martelage dans la matrice. L’examen des carreaux d’arbalète
de type 3 montre qu’après restauration la plupart d’entre eux présente une dissymétrie
similaire, laquelle donne un aspect plus prononcé à une des trois arêtes de la pointe.
Ceci suggère la répétition d’un même geste par un seul forgeron. En ce qui concerne les
carreaux de section losangique, le travail est probablement plus simple. La barre initiale,
de section rectangulaire ou carrée, est affinée en pointe. Cette dernière est finalisée par
le martelage des faces de biais, de façon à former un losange. L’utilisation d’une matrice
peut également être envisagée, mais n’est pas indispensable.
186
L’observation de nodules de métal de base cuivre sur la pointe des échantillons
CHE.8054.6 et CHE.8050.30 montre que l’apport de l’alliage a été réalisé après la fermeture de la douille et la mise en forme de la pointe. Il est fort probable que, à l’issue du
forgeage, des produits de corrosion (en particulier des oxydes), dus aux actions thermomécaniques répétées, restent en surface. On peut donc imaginer un rapide traitement de décapage destiné à mettre le métal sain à nu, mais il n’a pas été observé. Reste à
comprendre comment le placage a été appliqué sur les fers de trait, alors que l’examen
des échantillons indique clairement que le métal cuivreux recouvre à la fois l’intérieur et
l’extérieur du fer de trait. Pour arriver à cet aspect, on a supposé que le fer devait être
plongé totalement ou presque dans un creuset contenant le métal en fusion (figure 18).
L’interprétation des indices observés sur les échantillons et les cartographies renforce
cette hypothèse. En effet, comme le démontre J. Peter Northover dans une étude réalisée
sur des anneaux en fer plaqués de bronze, la disposition des éléments cuivreux par
rapport aux restes ferreux semble indiquer que les objets en fer ont été mis au contact
d’alliages cuivreux en fusion, et ce pendant un temps assez long pour y appliquer une
couche suffisante (quelques minutes) (NORTHOVER, SALTER 1990). De plus, les couches
d’étain restées en place semblent suivre précisément la forme des parois, en particulier
à l’intérieur de la douille du fer CHE.8043.55. Pour obtenir ce résultat, on imagine plus
facilement un traitement par immersion du fer dans un alliage en fusion, permettant un
dépôt plus ou moins régulier sur l’ensemble de la surface des parois de la douille (externes
comme internes) et épousant parfaitement le relief. Il n’est pas exclu qu’un excédent de
dépôt se fasse dans les aspérités et zones de recouvrement des parois de la douille, comme
le révèle la cartographie du fer CHE.8043.55. Ceci pourrait expliquer que parfois, lors
du dégagement mécanique, on ne sache pas de façon certaine si les plages de produits
de corrosion cuivreux se situent à l’intérieur ou à l’extérieur de la douille.
Une autre hypothèse pourrait être celle d’un placage obtenu avec un procédé similaire
à celui des sonnailles déjà évoquées (CHARDRON-PICAULT, PERNOT 1999, p. 187). Ce
dernier consiste à recouvrir partiellement l’objet avec des morceaux de fil, des copeaux
ou de la limaille d’un métal à base de cuivre dans une enceinte en argile. Le dépôt de
l’ensemble dans un feu à température adéquate permet la fusion de l’alliage, qui se
répand et adhère à la surface du fer. À titre de comparaison, une chauffe d’une durée de
trois heures est évoquée pour les sonnailles afin d’obtenir un revêtement total faisant
aussi office de brasure.
Ce procédé a l’inconvénient de nécessiter beaucoup de manipulations et d’être beaucoup
plus long à réaliser qu’un simple trempage dans un bain en fusion. Or, les fers de trait, par
nature, sont des objets « consommables » destinés à être produits en grandes quantités
puis perdus. Les analyses archéologiques pratiquées sur des objets encore métalliques
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Une collection atypique de fers de trait au château de Chevreuse (Yvelines) : approche archéologique interdisciplinaire
barre de métal ferreux
forge de la douille
forge de la pointe
enroulement de la douille
éventuel décapage
des produits de corrosion du fer
montage du fer sur le fût
Cu + Sn + (Zn)
bain dans un creuset d’alliage à base de cuivre en fusion
Figure 18 – Chevreuse « château de la Madeleine » (Yvelines).
Hypothèse de chaîne opératoire pour la réalisation d’un fer de trait polymétallique.
[© N. Girault, SADY]
démontrent que l’alliage ferreux est souvent d’assez mauvaise qualité, peu carburé,
autrement dit que ces projectiles sont réalisés à moindre coût. Bien que notre collection
s’avère exceptionnelle, sa production en série n’est pas exclue. L’hypothèse d’un placage
obtenu de la même manière que les clochettes paraît donc moins vraisemblable que
celle d’un bain, plus économique. Des analyses métallographiques complémentaires sur
un corpus expérimental pourraient être effectuées pour comparer les deux techniques et
valider cette hypothèse.
Intérêt du placage en alliage cuivreux
La présence du polymétallisme sur une variété notable de types, les différences
d’alliages et les variations de bois pour les fûts suggèrent fortement que ces projectiles
ne sont pas issus du stock d’une unique production isolée. La fabrication de ces fers de
trait plaqués n’est probablement pas un essai sans lendemain ou une série exécutée pour
une occasion unique, mais serait plutôt un phénomène récurrent. Cette hypothèse est
de surcroît appuyée par des trouvailles équivalentes dans d’autres contextes castraux de
datation similaire. Il faut ajouter à cela que tous ces sites ont connu des faits de guerre.
Ces projectiles seraient effectivement contemporains des guerres de Cent Ans et de Bretagne,
période durant laquelle les comptes d’achats d’armes présentent des fournitures en traits
par centaines ou milliers d’unités (SERDON 2005 ; HERBAUT 2009).
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L’intérêt d’un tel traitement de surface pourrait répondre à l’usage de ces projectiles.
Les contextes militaires évoqués, ainsi que le type 2 de Chevreuse, suggèrent un emploi
vraisemblable pour le combat. Certes, des restes de sangliers et de cervidés sont associés
à des fers de trait dans certains contextes de Chevreuse, mais l’hypothèse d’un usage
cynégétique n’est appuyée par aucun indice. La coexistence de ces fers de traits plaqués
avec une production de projectiles sans traitement apparent, bien plus nombreux
dans les fouilles archéologiques, suggère que ce revêtement n’est pas nécessaire au bon
fonctionnement des projectiles, même s’il pourrait ralentir la formation de la rouille. La
plupart des armes et objets en fer ne sont pourtant pas plaqués. L’usage des traits ne
semble donc pas être la bonne piste à suivre pour expliquer la fonction de ce traitement.
En dehors de cette utilité pratique, le polymétallisme pourrait être liée à une particularité culturelle, dont l’origine est, dans l’état actuel de nos connaissances, difficile à
établir. Il pourrait, certes, s’agir d’une volonté de différenciation sociale, comme c’est le cas
de certaines armes décorées datant du xve siècle. Cependant, si l’on s’en tient au mobilier
connu, pour ce qui est des fers de trait, les deux seuls exemples mentionnés en bibliographie
(SERDON 2005, p. 24, 104) comportent des décors en creux, et ne sont pas plaqués.
Compte tenu des très faibles surfaces de placage conservées à Chevreuse, il est impossible
de déterminer si nos exemplaires ne portaient pas à l’origine un décor en creux ou des
marques. Toutefois, les projectiles décorés sont réservés à des usages limités, cérémonie
et épreuve d’armure, et on expliquerait mal comment ces objets si spécifiques pourraient
être dispersés dans les contextes évoqués.
188
L’approche technique pourrait par contre offrir à cette problématique la réponse la
plus recevable. En effet, les données en présence évoquent des munitions fabriquées en
série. Leur production nécessite donc d’être rapide et efficace et, dans cette hypothèse,
ce placage pourrait être destiné à améliorer le procédé de fabrication de ces objets.
L’analyse démontre que l’immersion des fers dans le bain d’alliage cuivreux en fusion
intervient juste avant le montage de ces derniers sur le fût (figure 18). De par sa nature,
le placage obtenu provoque un brasage de la douille. Ainsi scellée, la tenue mécanique de
cette dernière est renforcée. On peut y voir un avantage pour assembler le fer de trait
avec le fût. En effet, une fois le bois ajusté par enlèvement de matière, il peut être enfoncé
en force dans la douille, sans que le métal de cette dernière s’écarte et prenne du jeu. En
cas d’écartement lors du montage, le réajustement de la douille et / ou du fût est un geste
supplémentaire qui fait perdre du temps à l’artisan. La brasure de la douille s’avérerait
donc être une solution à ce problème. En apparence, cela relève d’un détail technique
insignifiant. Mais étant donné les quantités de projectiles considérés, ce détail prendrait
toute son importance. De surcroît, cet assemblage pourrait être pratiqué à la sortie du
creuset, lorsque le métal est encore chaud. Une fois monté, le fer serait alors trempé dans
l’eau afin d’éviter la combustion du bois, provoquant par là même une contraction rapide
du métal, améliorant encore la tenue de l’ensemble.
Conclusion
La restauration et l’étude de ce mobilier ont fait émerger un corpus atypique, aussi
bien du fait de l’abondance d’un type méconnu de pointes à section triangulaire que par
l’usage fréquent du polymétallisme, qui semble à tous égards exceptionnel. Ce constat
pourrait s’expliquer par un choix technique permettant d’améliorer la tenue du fer sur
le fût en bois. Cette hypothèse fonctionnelle reste à confirmer, ainsi que la diffusion de
ce procédé tant au niveau géographique que chronologique. La réponse à ces questions
ne peut venir que de l’étude d’autres corpus de fers de trait, ou bien de la découverte de
nouvelles sources documentaires.
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Une collection atypique de fers de trait au château de Chevreuse (Yvelines) : approche archéologique interdisciplinaire
Les auteurs seraient heureux si la lecture de cet article, au-delà des résultats exposés,
pouvait susciter, dans la communauté scientifique, une particulière vigilance vis-à-vis de
la préservation de vestiges des placages en alliages cuivreux sur ce type de mobilier, ainsi
qu’une prise de conscience de l’apport de la restauration pour son étude. En effet, le reste
du mobilier, métallique ou céramique, du château de Chevreuse ne montre pas une
particulière spécificité et comporte le cortège habituel des sites franciliens de même
période : on voit mal pourquoi les fers de trait se distingueraient seuls dans ce contexte.
On peut donc légitimement se demander pourquoi des objets polymétalliques n’ont pas
été découverts en de plus grandes quantités sur d’autres sites.
La première hypothèse interroge les pratiques d’étude du mobilier métallique :
sachant que le phénomène est invisible à la radiographie et que seule la restauration par
nettoyage mécanique sous binoculaire a permis de le mettre en évidence, il est possible
que ce cas soit plus répandu qu’attesté, et qu’il soit passé inaperçu lors d’études portant
sur du mobilier non restauré, ou bien sur du mobilier ayant fait l’objet d’un décapage
chimique préalable. Au cours de notre recherche, on a pu remarquer, du reste, que la
bibliographie consultée décrit rarement l’état de conservation des objets et ne précise
pas assez si l’étude est faite à partir d’objets « bruts de fouille », encore recouverts de leur
gangue de corrosion, ou bien restaurés, voire anciennement (trop) décapés, … ; ni si
les dessins sont faits d’après l’objet ou d’après la radiographie.
D’autre part, il semble bien que, dans leur approche de ces objets, les chercheurs
privilégient les éléments très métalliques. La meilleure preuve en est que les études
portant sur des fers de trait que nous avons pu trouver en bibliographie sont exclusivement des analyses structurales sur coupes métallographiques. L’intérêt et le potentiel
informatif du mobilier minéralisé pourrait avoir été largement sous-estimé : c’est la raison
pour laquelle nous tenons à souligner que l’étude présentée ici a porté sur un mobilier
profondément transformé par la corrosion et ne contenant quasiment plus de noyau
métallique. Un choix des techniques d’observation et d’analyse adaptées à l’état de
conservation du mobilier et une restauration vigilante peuvent donc permettre, même
sur des objets minéralisés, de recueillir des résultats intéressants pour la recherche.
Il nous faut donc insister, pour conclure, sur la place que les choix de restauration
tiennent dans l’étude du mobilier métallique, et sur l’intérêt de considérer celle-ci non
pas comme un geste technique utile, détachable de l’étude elle-même, mais plutôt comme
un élément à part entière de la recherche interdisciplinaire sur le mobilier métallique.
La restauration ne sert pas uniquement la valorisation ou la présentation au public, par
le traitement de deux ou trois objets exceptionnels ; elle ne vient pas après-coup. Elle doit
être appréhendée dès le départ, du point de vue de l’organisation comme du financement. Les résultats les plus fructueux peuvent être obtenus lorsque la restauration fait
partie intégrante de l’étude dès son origine, que les choix des objets à traiter sont faits
lorsque la problématique scientifique s’élabore et que le travail de restauration et d’étude
se nourrissent du dialogue mutuel.
Remerciements
Les auteurs ont bénéficié de l’aide de Luc Robbiola, ingénieur d’études au CNRS, dans
la phase d’analyses, de Fabienne Ravoire, pour les datations des céramiques des contextes
étudiés, de Loretta Rosetti, restauratrice au laboratoire Arc’Antique, pour la recherche
de comparaisons, ainsi que de Pascal Laforest, photographe du SADY, qui a effectué les
prises de vues des objets.
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Nicolas Girault, Silvia Païn, Aurore Doridot, Jean-Yves Hunot
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Nicolas GIRAULT
Service archéologique départemental des Yvelines (SADY)
ngirault@yvelines.fr
Silvia PAÏN
Service archéologique départemental des Yvelines (SADY)
spain@yvelines.fr
Aurore DORIDOT
Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
UMR 8589 - LAMOP
doridotaurore@yahoo.fr
Jean-Yves HUNOT
Service archéologique départemental du Maine-et-Loire
jy.hunot@cg49.fr
192
Pour citer cet article
Girault N., Païn S., Doridot A., Hunot J.-Y., 2012 - Une collection atypique de fers de trait au
château de Chevreuse (Yvelines) : approche archéologique interdisciplinaire, RAIF, 5, p. 167-192.
RAIF, 5, 2012, p. 167-192
Revue archéologique d’Île-de-France, numéro 5 – 2012
Table des matières
5
Patrice Wuscher, Romana Blaser, Cécilia Cammas, Juliette Durand,
Steve Glisoni, Emmanuelle Saron, Jean-François Pastre
DES PLATEAUX, DES LIMONS ET DES HOMMES :
état des connaissances et questions sur les sols et l’érosion tardiglaciaires et holocènes en Île-de-France
29
Régis ISSENMANN, Ginette AUXIETTE, David BARDEL, Françoise TOULEMONDE
LES ÉTABLISSEMENTS RURAUX DU HALLSTATT D2 ET D3 DE viLLE-SAINT-JACQUES :
« Le Bois d’Échalas » (Seine-et-Marne)
85
Nicole JOBELOT avec la collaboration de Pascal MÉTROT et Monique WABONT
LA CÉRAMIQUE NOIRE À PÂTE ROUGEÂTRE (NPR) DU BASSIN PARISIEN
À LA PÉRIODE AUGUSTÉENNE ET AU Ier siècle apr. J.-C.
99
Fabien Pilon
L’OCCUPATION AUX ABORDS NORD ET SUD
DE L’ENSEMBLE CULTUEL CENTRAL GALLO-ROMAIN DE CHÂTEAUBLEAU (SEINE-ET-MARNE) :
structuration de l’espace et périodisation
125
Laure Sornin-Petit
LA CÉRAMIQUE GRANULEUSE DE L’ANTIQUITÉ TARDIVE D’ÎLE-DE-FRANCE :
analyse comparative de huit sites franciliens
151
Laure Simon
LE VERRE DE LIEUSAINT (SEINE-ET-MARNE) AUX PÉRIODES GALLO-ROMAINE ET MÉROviNGIENNE :
les sites de la Zac de la Pyramide (fouilles 2004-2007)
167
Nicolas Girault, Silvia Païn, Aurore Doridot, Jean-Yves Hunot
UNE COLLECTION ATYPIQUE DE FERS DE TRAIT AU CHÂTEAU DE CHEVREUSE (YVELINES) :
approche archéologique interdisciplinaire
193
Emmanuelle du Bouëtiez, Benoît CLAVEL, Fabienne Ravoire
VESTIGES MÉDIÉVAUX ET MODERNES DÉCOUVERTS
SUR LE SITE DE L’HÔTEL DE BEAUVAIS À PARIS (4e arrondissement)
255
Isabelle De Miranda, Jean-Luc Rieu
État des lieux de la médiation archéologique en Île-de-France
Numéro ISSN : 2101 - 3608
Prix : 20 €