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ROMANIA GOTHICA IV Barbares dans la ville de l’Antiquité tardive Présences et absences dans les espaces publics et privés Actes du Congrès International, Museu d’Història de Catalunya (Barcelone, 12-13 novembre 2010) Paolo de Vingo – Joan Pinar Gil (dir.) Romania Gothica IV Barbares dans la ville de l’Antiquité tardive Présences et absences dans les espaces publics et privés The Romania Gothica Conference Comité d’organisation : Isabella Baldini, Michelle Beghelli, Salvatore Cosentino, Christine Delaplace, Toni Juárez Villena, Joan Pinar Gil, Tivadar Vida ROMANIA GOTHICA IV Barbares dans la ville de l’Antiquité tardive Présences et absences dans les espaces publics et privés Actes du Congrès International, Museu d’Història de Catalunya (Barcelone, 12-13 novembre 2010) Paolo de Vingo – Joan Pinar Gil (dir.) All’Insegna del Giglio Ouvrage publié avec le soutien de : Università degli Studi di Torino, Dipartimento di Studi Storici Univerzita Hradec Králové, Filozofická Fakulta Associació per la Recerca, Estudi i Difusió en Antiguitat Tardana La conférence « Romania Gothica IV » a été organisée par l’Associació per la Recerca, Estudi i Difusió en Antiguitat Tardana avec le soutien et la collaboration de : Museu d’Història de Catalunya, Ministerio de Educación del Reino de España, Consolat General de la República d’Hongria a Barcelona, Associació Professional de Venedors de Premsa de Barcelona i Província, Club Natació Atlètic Barceloneta. La révision des textes en français a été effectuée par Pascale Champeyrol. Image de couverture : Vergilius Vaticanus, folio 27r. Design de couverture : Erika Vecchietti ISBN 978-88-7814-956-4 e-ISBN 978-88-7814-957-1 © 2020 All’Insegna del Giglio s.a.s. via Arrigo Boito, 50-52 50019 Sesto Fiorentino (FI) tel. +39 055 6142 675 e-mail redazione@insegnadelgiglio.it sito web www.insegnadelgiglio.it Stampato a Sesto Fiorentino, febbraio 2020 BDprint SOMMAIRE Paolo de Vingo – Joan Pinar Gil : Présentation. La fin de l’Antiquité et les tout premiers siècles du haut Moyen Âge : une nouvelle histoire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9 Michel Kazanski : Introduction. Les Barbares, les Romains, les Grandes Migrations et leurs traces archéologiques (phase initiale) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11 Simon Esmonde Cleary : Barbarians in the cities of late Roman Britain . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23 Paolo de Vingo : Pour une archéologie de la frontière romaine tardive dans la Gaule du Nord : une relecture et une révision des « Föderatengräber » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33 Michel Kazanski : Les objets archéologiques du type Černjahov en Occident romain à l’époque des Grandes Migrations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 Marc Heijmans : Arles au V e siècle. Dernier bastion de la Romanité en Provence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73 Giovanni Assorati : Quasi adunatam Gothis rem publicam. Il matrimonio tra Ataulfo e Galla Placidia nel rapporto tra ‘barbari’ e Impero . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 Jean Brodeur : Des tombes de germains orientaux à Angers (Maine-et-Loire, France) . . . . . . . . . . . . . . . . . 107 Salvatore Cosentino : I barbari e Ravenna nel V secolo. Organizzazione sociale, pratica economica, identità di gruppo. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 Juan Antonio Jiménez Sánchez : Los visigodos en las ciudades de la Tarraconense : del establecimiento de Ataúlfo a la usurpación de Pedro . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 133 Jordina Sales Carbonell : El skyline cristiano de Barcino en el siglo V . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 143 Luís Fontes : Bracara Augusta: de capital da Gallaecia a capital do Reino Suevo. Um cenário urbano em transformação (sécs. IV-VI) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 159 Jorge López Quiroga : Bárbaros en el Occidente hispano en el siglo V. Límites y posibilidades del registro arqueológico en contextos urbanos de la Lusitania y la Gallaecia . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 171 Joan Pinar Gil : Vándalos y Alanos en el Suroeste: cuatro apuntes arqueológicos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191 Anna Leone : Vandal Cities: Changing Urban Forms in 5th Century North Africa . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 209 BÀRBARS A LA CIUTAT TARDOANTIGA PRESÈNCIES I ABSÈNCIES ALS ESPAIS PÚBLICS I PRIVATS Barcelona, 12-13 de Novembre de 2010 PROGRAMA Divendres 12, tarda: 15.00. A. Alcoberro–B. Nagy–J. Pinar (Barcelona). Benvinguda 15.15. M. Kazanski (París). Introducció general Bàrbars a la ciutat: impacte, activitats, presències, absències 15.30. J. Arce (Lille). “Bárbaros” ocupando las ciudades de Hispania en el siglo V: documentación literaria versus documentación arqueológica 16.00. A. Alemany (Barcelona). Problemas de la evidencia documental sobre la presencia de grupos alanos en las Galias e Hispania en la primera mitad del siglo V 16.30. R. Bockmann (Halle). Levels of power. Office and leadership between romanitas and barbaritas in the cities of the late Roman West 17.00. Pausa cafè 17.30. J. Vilella (Barcelona). La coexistència de romans i bàrbars a Hispània durant l’Antiguitat Tardana: aspectes religioso-polítics 18.00. S. Cosentino (Ràvena). Ravenna e i barbari nel V secolo: aspetti sociali ed economici 18.30. G. Assorati (Bolònia). Quasi adunatam Gothis rem publicam: il matrimonio tra Ataulfo e Galla Placidia nel rapporto tra “barbari” e Impero Dissabte 13, matí: Ciutats i ciutadans bàrbars a Occident: història i arqueologia 9.00. G.M. Berndt (Erlangen). Gothic vandalism? Destructions caused by Gothic invaders in Gaul and Spain. The literary evidence 9.30. J.A. Jiménez (Barcelona). Visigots a les ciutats de la Tarraconense: de l’establiment d’Ataülf a la usurpació de Pere 10.00. J. López Quiroga (Madrid). ¿Bárbaros en el Occidente hispano? Límites y posibilidades del registro arqueológico en contextos urbanos de Lusitania y Gallaecia 10.30. J. Brodeur (Angers). Des tombes de germains orientaux dans le contexte de la ville d’Angers au Bas-Empire 11.00. Pausa cafè 11.30. S. Esmonde Cleary (Birmingham). Barbarians and the fate of the towns of Roman Britain 12.00. A. Leone (Durham). Vandali in città: trasformazioni urbane nel Nord Africa post-romano 12.30. J. Ódor (Szekszárd). The first billow of the Migration Period in Pannonia 13.00. Pausa dinar Dissabte 13, tarda: Paisatges urbans a la Romania Gothica 15.00. M. Heijmans (París). Arles, dernier bastion de la Romanité en Provence 15.30. J.M. Macias (Tarragona). Tarraco al segle V: la darrera capital hispànica 16.00. J. Sales (Barcelona). Barcino al segle V: configuració topogràfica de la nova ciutat cristiana 16.30. J.-L. Boudartchouk (Toulouse). Les Goths de Toulouse : pouvoirs et identités 17.00. Pausa cafè 17.30. I. Cartron (Burdeus) – M. Uberti (París). Bordeaux pendant l’Antiquité tardive : élites et topographie urbaine 18.00. L. Fontes (Braga). Bracara Augusta, de capital da Galecia a capital do reino Suevo 18.30. P.C. Díaz (Salamanca). Conclusions 19.00. I. Baldini (Bolònia)–S. Cosentino (Ràvena)–Ch. Delaplace (Toulouse)–J. Pinar (Barcelona)–T. Vida (Budapest). Cloenda Barcelone, Museu d’Història de Catalunya, 13 novembre 2010. Participants et organisateurs : Oriol Achón, Agustí Alemany, Isabella Baldini, Guido M. Berndt, Ralf Bockmann, Jean-Luc Boudartchouk, Jean Brodeur, Salvatore Cosentino, Simon Esmonde Cleary, Christine Delaplace, Pablo C. Diaz, Luis Fontes, Marc Heijmans, Juan Antonio Jiménez, Toni Juárez, Anna Leone, Jorge López Quiroga, Josep Maria Macias, Júlia Miquel, János Ódor, Joan Pinar, Jordina Sales, Morgane Uberti, Tivadar Vida, Josep Vilella. Cliché de Michelle Beghelli. LES OBJETS ARCHÉOLOGIQUES DU TYPE ČERNJAHOV EN OCCIDENT ROMAIN À L’ÉPOQUE DES GRANDES MIGRATIONS Michel Kazanski* Nous allons examiner les découvertes archéologiques provenant de la civilisation de Černjahov (Černjahov/Sîntana-de-Mureş) en Occident romain (Gaule, Germanie, Espagne, Italie, Retie, île britannique) et appartenant à l’époque des Grandes Migrations. Il faut préciser que la datation de certains types d’objets présentés ici, tels les peignes Thomas III ou encore les fibules en arbalète à pied retourné, dépasse les limites chronologiques de la période qui nous intéresse. Ainsi, leur attribution à l’époque des Grandes Migrations est établie avant tout grâce au contexte archéologique. Malheureusement, une grande partie des objets du type Černjahov provient soit de découvertes fortuites, soit des niveaux d’habitats, ce qui rend leur datation très difficile. Ce sont avant tout les peignes et les fibules « černjahoviens », depuis longtemps identifiés comme traces de la présence gothique en Occident au Ve s. (voir par ex. Koenig 1980 ; Kazanski 1984 ; Kazanski 1985). Aujourd’hui, il est clair que ces objets peuvent appartenir à des groupes hétérogènes de Barbares venus de l’Est (Goths, Alains, Sarmates1, Taifales, etc.), qui sont arrivés en occident en tant que migrants-envahisseurs, mercenaires, prisonniers de guerre, otages, etc. (Kazanski 1993 ; Kazanski Mastykova, Périn 2008 ; Kazanski 2010 ; Kazanski 2012 ; Kazanski, Périn 2008). Il est facile de remarquer que la plupart de ces objets répertoriés en Occident font partie du costume féminin. Ce phénomène s’explique par le fait que, dans les sociétés traditionnelles, le costume des femmes garde plus longtemps des traits « ethnographiques », tandis que les hommes imitent souvent la mode « militaire » prestigieuse, souvent d’origine étrangère2. GAULE DU NORD ET DE L’EST, GERMANIE ROMAINE Cette région est parmi les mieux étudiées archéologiquement du point de vue de la présence des Barbares « orientaux », attestés par des objets isolés dans des niveaux d’habitats ainsi que par quelques tombes isolées (Fig. 1) (voir Kazanski 1993 ; Kazanski 1998 ; Kazanski, Périn 2008). Les peignes en os du type Thomas III, à une seule rangée de dents et à un saillant semi-circulaire sur le dos, typiques de la civilisation de Černjahov, représentent la catégorie la plus nombreuse (Fig. 2). Leur datation est plus large que l’époque des Grandes Migrations et englobe aussi l’époque romaine tardive, plus précisément la période C3 de la chronologie du Barbaricum (300/320-350/370 environ), ou au moins sa phase finale. La plupart des peignes proviennent de découvertes fortuites ou bien de niveaux des villes et des forteresses de l’Empire, surtout du bassin du Rhin (Fig. 1) (Kazanski 1993, p. 175). Récemment, un peigne en os a été mis au jour dans une autre partie de la Gaule, sur la Loire inférieure, à l’est d’Angers, à Andard (Fig. 1.3)3. * 1 2 3 Centre National de la Recherche Scientifique. À propos des traces archéologiques des Alains et des Sarmates en Occident voir notamment : Kazanski 2013. Les sépultures du IVe-première moitié du Ve siècle en Gaule du Nord, attribuées aux Germains occidentaux ou septentrionaux, montrent la même tendance vestimentaire. Les tombes féminines contiennent des parures typiques de la partie nord de la Germania libera, tandis que les tombes masculines contiennent des ceinturons « militaires » d’origine romaine (Böhme 1974). Les mariages entre les Romains et les Barbares étant interdits dans l’Empire, les soldats d’origine barbare au service de Rome amenaient donc leurs épouses du Barbaricum, ce qui explique sûrement en partie la présence des tombes féminines avec des parures étrangères dans les nécropoles romaines. Je remercie Monsieur Jean Brodeur pour cette information précieuse. 57 MICHEL KAZANSKI Je ne connais qu’une seule découverte de peigne Thomas III dans un contexte funéraire en Gaule. Il s’agit de la tombe 1 de la nécropole du Bas-Empire à Oberwinterhur, sur le territoire de la Suisse d’aujourd’hui (Windler 1995, pp. 181-182, fig. 5). C’est une inhumation d’un individu adulte (30-35 ans), déposé sur le dos, la tête au SudOuest. Seules la partie supérieure du squelette ainsi que la partie inFig. 1. Les objets du type Černjahov en Gaule du Nord et de l’Est. 1. Baudemont ; 2. An- férieure de la jambe gers ; 3. Andord ; 4. Oberwinterhur ; 5. Herten ; 6. Nouvion-en-Pinthieu ; 7. Reims ; droite sont conservées. 8. Troyes ; 9. Ebersberg ; 10. Kaiseraugst ; 11. Basel ; 12. Strasbourg ; 13. Mundolsheim ; A part le peigne, la 14. Ruppertsberg ; 15. Eisenberg ; 16. Bad Kreuznach ; 17. Alzey ; 18. Wiesbaden ; tombe contenait un os 19. Polch-Ruitsch ; 20. Köln ; 21. Trèves ; 22. Rhamberg ; 23. Dalheim. de ruminant travaillé (Fig. 2.19, 20). Un autre peigne du même type provient de la nécropole d’Herten, sur le Rhin supérieur (Garscha 1970, pl. 14.5). Cependant, on ne sait pas de quelle tombe provient ce peigne (Fig. 2.17), d’autres objets provenant de ce site appartiennent plutôt au début de l’époque mérovingienne. Une petite série de fibules en arbalète à pied retourné, du type Ambroz 16/2, série 1, variantes 2-3 (Ambroz 1966, pp. 60-66) est connue en Gaule (Fig. 3.13-17). Ces agrafes sont typiques de la civilisation de Černjahov du IIIe-début Ve siècle, mais elles existent dans d’autres civilisations barbares d’Europe centrale et orientale. En Gaule, des fibules de ce type ont été mises au jour dans des niveaux des villes, des forteresses et des habitats ruraux, essentiellement sur la frontière rhénane de l’Empire et dans le bassin de Mosel (Kazanski 1993, pp. 175, 176 ; Kazanski 1998, pp. 375-376). D’autre part, deux fibules à pied retourné et à pied losangique, du type Ambroz 16/4, série 3 (Ambroz 1966, p. 69), ont été mises au jour en Gaule. Dans le contexte de la civilisation de Černjahov, ces agrafes ont une datation assez large. Cependant, en dehors de la zone de Černjahov, les fibules de ce type sont bien attestées dans des ensembles clos de l’époque des Grandes Migrations, ces derniers appartenant même à l’époque « post-černjahovienne ». Citons la tombe 300 de la nécropole de Djurso, sur la côte Est de la mer Noire, près de la ville actuelle de Novorossisk ou encore la tombe 79 de la nécropole hispano-wisigothique de Duraton en Vieille-Castille (voir infra) (Kazanski 1984, pp. 12-13 ; Kazanski 1993, p. 175 ; Kazanski 1998, p. 376 ; Kazanski 2000, pp. 193-194). Une de ces fibules (argent, 4 cm de longueur) provient de la Gaule de l’Est (Fig. 3.10). Elle a été mise au jour en 1894 dans la nécropole de Baudemont (Saône-et-Loire). Le site est daté de la fin du IVe-Ve siècle, le contexte exact de la découverte reste inconnu. Dans cette nécropole, on a fouillé en tout à peu près 30 inhumations, déposées la tête à l’Ouest, à part un individu, enterré la tête au Nord (Kasprzyk 2011, pp. 342, 345, Fig. 3.5). Cette nécropole a également livré deux grandes fibules en tôle métallique, dérivées du type danubien de Smolin ; ce dernier est caractéristique du milieu du Ve s., ainsi que, nous allons le voir, deux petites fibules en tôle métallique, dérivées du type Ambroz 1BA. M. Kasprzyk a interprété, à juste titre, ces objets comme un témoignage de la présence d’un élément germanique oriental. 58 LES OBJETS ARCHÉOLOGIQUES DU TYPE ČERNJAHOV EN OCCIDENT ROMAIN À L’ÉPOQUE DES GRANDES MIGRATIONS Fig. 2. Les peignes du type Černjahov en Gaule du Nord et de l’Est. 1-6. Trèves ; 7. PolchRuitsch ; 8. Cologne ; 9, 10. Wiesbaden ; 11. Kaiseraugst ; 12, 13. Alzey ; 14. Eisenberg ; 15, 16. Bad Kreuznach ; 17. Herten ; 18. Mungolsheim ; 19, 20. Oberwinterhur (1-16, 18. Kazanski 1993 ; 17. Garscha 1970 ; 19, 20. Windler 1995). Une deu xième fibule du type Ambroz 16/4, série 3, provient de la tombe 54 de la nécropole romaine tardive-mérovingienne de Nouv i o n - e n - Po n t h i e u (Somme) (Fig. 4.2). La sépulture a été dérangée, le mobilier déplacé se situait dans le remblai de la fosse funéraire. Il s’agit d’une inhumation, déposée sur le dos, la tête au Nord. La tombe contenait une fibule en arbalète (argent, 2,8 cm de longueur), une petite plaque-boucle à plaque rectangulaire et à ardillon recourbé vers le bas, un couteau et une perle en verre vert translucide portant un décor jaune appliqué (Piton 1985, p. 39, pl. 10.54). La plaque-boucle (Fig. 4.3) est typique de l’époque des Grandes Migrations et appartient très probablement au milieu du Ve s. (K azanski 1984, p. 13). Les fibules en arbalète à pied losangique, du type Ambroz 17/3, variante V (Ambroz 1966, p. 72) sont issues elles aussi de la tradition de Černjahov et caractérisent sur le Rhin (Fig. 3.8, 9) la phase finale de cette civilisation. On peut citer deux découvertes de ces fibules (Kazanski 1993, p. 176 ; Kazanski 1998, p. 376). Les petites fibules (moins de 8 cm, sans compter le bouton décoratif) à tête semi-circulaire et pied losangique, des types Ambroz I AA et I AB (le pied est élargi vers l’extrémité), plus rarement I BA (le pied est élargi dans la partie médiane) (Ambroz 1966, pp. 76-86), ainsi que leurs dérivées locales plus grandes (de 8 à 10 cm, 59 MICHEL KAZANSKI toujours sans compter le bouton décoratif) représentent la série « černjahovienne » la plus répandue en Gaule, du Rhin à la Loire inférieure4 (Fig. 3.1-7, 11, 12 ; 4.5, 6 8 ; 6). Une partie de ces fibules provient d’un contexte funéraire (Kazanski 1993, p. 175 ; Kazanski 1998, p. 376). Ainsi, une paire de fibules en argent du type Ambroz I AA (d’une longueur de 8,8 cm), accompagnée d’un miroir métallique sarmate, a été mise au jour dans une tombe d’enfant de la nécropole gallo-romaine de Fosse-Jean-Fat à Reims (Champagne) (Fig. 4.8, 9). On sait, d’après la Notitia Dignitatum, qu’autour de 400, la route stratégique entre Reims et Amiens était Fig. 3. Les fibules du type Černjahov en Gaule du Nord et de l’Est. 1. Strasbourg ; 2, 3. vallée gardée par des gendu Saône ; 4. Marne ; 5. Bâle ; 6, 7. probablement Gaule de l’Est ; 8. Wiesbaden ; 9. Ebersberg ; 10. 12. Baudemont ; 13. Ramberg ; 14. Dalheim ; 15, 17. Trèves ; 16. Rup- darmes sarmates, commandés par le Praefecpertsberg (1, 4, 5, 8, 9, 13-17. Kazanski 1993 ; 2, 3, 6, 7, 10-12. Kasprzyk 2011). tus Sarmatarum gentilium (Kazanski 1986). Une autre tombe avec des fibules de ce type a été découverte dans la nécropole gallo-romaine de SaintJacques, à Troyes (Champagne), où 26 tombes ont été fouillées en 1928. La sépulture 2 contenait trois fibules en argent du type Ambroz I AB, dont deux d’une longueur de 5 cm et une un peu plus grande, de 7 cm (Fig. 4.5, 6), ainsi qu’une jatte sigillée du type Chenet 320, qui est caractéristique du IVe-début du Ve s. (Riffaud-Longuespé 2003, p. 34, pl. 1.d, e). Il faut souligner que la tombe 4 de la même nécropole contenait un miroir métallique sarmate (Fig. 4.7). De plus, deux fibules en argent, assez grandes, dérivées du type Ambroz I BA (Fig. 3.11, 12) ont été découvertes dans la nécropole déjà citée de Baudemont (Kasprzyk 2011, pp. 341-342, Fig. 3.1-4). Cependant, les découvertes les plus importantes proviennent de la nécropole gallo-romaine de Gare SaintLaud à Angers, sur la Loire. C’est une nécropole typique du Bas-Empire. Or, plusieurs tombes se distinguent 4 60 Il est difficile de dire si les fibules de Cholet en Gaule de l’Ouest et de Nijmegen sur le Bas-Rhin appartiennent au même type (Fig. 5.3, 4). D’une part, elles rappellent celles du type Ambroz I AA (Koenig 1980, pp. 229-230, fig. 2, pl. 60.a, b), mais d’autre part ces agrafes sont proches de celles du type de Burck et de Kuchbier (Fig. 5.1, 2), caractéristiques des Germains de la région d’Oder-Elbe (Kazanski 1990-91, p. 116, fig. 7.1, 2). LES OBJETS ARCHÉOLOGIQUES DU TYPE ČERNJAHOV EN OCCIDENT ROMAIN À L’ÉPOQUE DES GRANDES MIGRATIONS Fig. 4. Les objets provenant des tombes en Gaule du Nord. 1-4. Nouvion-en-Ponthieu, tombe 54 ; 5, 6. Troyes, nécropole Saint-Jacques, tombe 2 ; 7. Troyes, nécropole Saint-Jacques, tombe 4 ; 8, 9. Reims, nécropole Fosse-Jean-Fat (1-4. Piton 1985 ; 5-7. Riffaud-Longuespé 2003 ; 8, 9. Kazanski 1986). Fig. 5. Les fibules de Cholet et de Nijmegen et leurs prototypes possibles. 1. Burck ; 2. Kuchbier ; 3. Nijmegen ; 4. Cholet (Kazanski 1992). 5 par le dépôt des inhumés la tête vers le Nord – pratique funéraire largement présente dans les nécropoles de la civilisation de Černjahov. Quatre de ces sépultures, identifiées par les anthropologues comme féminines, ont livré des fibules en argent du type Ambroz I AA (Fig. 6). Ces tombes se distinguent également du reste de la population par des indices anthropologiques secondaires. Il s’agit très vraisemblablement d’un groupe d’individus originaire d’Europe de l’Est (Brodeur et alii 2001 ; Briceno et alii 2013)5. Ainsi, on peut conclure que pour la Gaule du Nord et de l’Est, les objets originaires de la civilisation de Černjahov sont surtout nombreux dans la zone du limes rhénan. Des concentrations particulières de ces objets sont attestées dans la région des villes de Strasbourg et de Mayence, où, selon la Notitia Dignitatum, deux commandements ont été créés vers 400. Dans le secteur Nord de la frontière rhénane, où la défense était assurée par les fédérés francs, les objets originaires de la civilisation de Černjahov sont pratiquement absents (Kazanski 1993, p. 178). Ces objets se rencontrent parfois dans les régions intérieures de la Gaule, où on peut les mettre parfois en liaison avec les colons militaires au service de Rome. Voir aussi Brodeur dans ce volume. 61 MICHEL KAZANSKI GAULE DU SUD ET ESPAGNE Fig. 6. Les fibules du type Černjahov provenant d’Angers. 1. tombe 134 ; 2. tombe 155 ; 3. tombe 156 ; 4. tombe 159 (Brodeur– Morteau–Yvinec 2001). Fig. 7. Les objets du type Černjahov en Gaule du Sud et en Espagne. 1. Beaucaire-sur-Baïse ; 2. Séviac ; 3. Bapteste ; 4. Sainte-Baselle ; 5. Canet ; 6. Duraton ; 7. El Hinojal ; 8. Casa de la Zúa ; 9. Badajoz ; 10. Cacabelos, Castro Ventosa. 6 62 Selon les sources écrites, la Gaule du Sud et l’Espagne étaient la zone d’installation des Wisigoths au Ve s. Des objets, peu nombreux, originaires de la civilisation de Černjahov (Fig. 7) y ont été identifiés, d’abord en Aquitaine (Fig. 8) (Kazanski 1985 ; Kazanski–Lapart 1995), puis en Espagne (Fig. 9) (Pérez Rodriguez-Aragón 1996 ; Pérez Rodriguez-Aragón 1997 ; López Quiroga 2010, p. 126)6. Tout comme en Gaule du Nord et de l’Est, les peignes du type Thomas III y sont bien présents (Fig. 8.3-6, 9.3). Plusieurs découvertes proviennent des villae romaines tardives (voir supra), plus rarement des forteresses (Bergidum, aujourd’hui Cacabelos, Castro Ventosa, au Nord-Ouest de l’Espagne : Pérez Rodriguez-Aragón 1996, 173, fig. 1 ; Pérez Rodriguez-Aragón 1997, p. 629, fig. 1.1 ; López Quiroga 2010, p. 126, fig. 92). Les fibules en arbalète à pied retourné du type Ambroz 16/2, série 1, variantes 2, 4 (Fig. 8.1, 2 ; Fig. 9.1, 2) représentent une autre catégorie notable. Elles sont attestées aussi bien en Aquitaine qu’en Espagne, notamment lors des fouilles des villae du Bas-Empire (voir infra) (Kazanski–Lapart 1995, p. 198 ; Pérez Rodriguez-Aragón 1996, pp176-177, fig. 3.1, 2 ; Pérez Rodriguez-Aragón 1997, p. 629, fig. 1.5, 6 ; Kazanski 1998, pp. 375-376 ; Kazanski 1999, p. 15 ; Kazanski 2000, pp. 192-193). Une fibule en arbalète à pied losangique retournée, du type déjà examiné d’Ambroz 16/4.III, a été mise au jour en Espagne (Pérez Rodriguez-Aragón 1996, p. 177, fig. 3.4 ; Pérez Rodriguez-Aragón 1997, p. 629, fig. 1.2 ; Kazanski 2000, pp. 193-194). Elle provient de la sépulture déjà citée n. 79 de la nécropole hispano-wisigothique de Duraton, en Vieille Castille (Fig. 10). A part les objets présentés ici, plusieurs fibules en arbalète, dérivées de types connus en Europe centrale et orientale, y sont attestées. Ces agrafes ont des prototypes soit dans la zone de civilisation de Černjahov, soit dans celle de la civilisation germanique orientale de Wielbark, qui occupe le bassin de la Vistule et qui est apparentée à celle de Černjahov (voir à propos de ces fibules : Kazanski 1998, pp. 376, 381-382 ; Kazanski 1999, p. 17). Nous ne les examinons pas dans cet article. LES OBJETS ARCHÉOLOGIQUES DU TYPE ČERNJAHOV EN OCCIDENT ROMAIN À L’ÉPOQUE DES GRANDES MIGRATIONS C’est une inhumation d’une personne adulte, déposée sur le dos, la tête à l’Ouest. Elle contenait des éléments du costume féminin de tradition germanique orientale, avec deux grandes fibules en tôle d’argent sur la poitrine et une grande plaque-boucle sur le bassin (Molinero Perez 1948, p. 34, pl. 27.1, 37)7. La fibule en arbalète se situait sous le menton, près des vertèbres du cou (Molinero Perez 1948, p. 34, pl. 14.3). La durée d’utilisation de cette fibule est très longue, car le reste du mobilier, notamment les grandes fibules et la plaque-boucle, typiques de l’Espagne wisigothique, sont incontestablement postérieurs au milieu du Ve s. Cependant, nous l’avons dit, d’après les exemples de Djurso et de Nouvion-en-Ponthieu, les fibules du type Ambroz 16/4.III ont continué d’exister Fig. 8. Les objets du type Černjahov en Aquitaine. 1. Sainte-Baselle ; 2. Canet ; 3. Séviac ; 4. Beaucaire-sur-Baïse ; 5, 6. Bapteste (1, 2, 4. Kazanski 1999 ; 3, 5, 6. Kazanski– après la disparition de la civilisation de ČernLapart 1995). jahov (voir supra). Il faut mentionner deux petites fibules (de 7 et 7,73 cm, sans compter le bouton décoratif) en argent du type Ambroz I BA (Fig. 9.4, 5), appartenant également à la tradition vestimentaire de la civilisation de Černjahov. Ces fibules proviennent de l’Espagne du Sud-Ouest, probablement de la région de Badajoz (Koenig 1980, 231, Taf. 60.c, d ; Pérez Rodriguez-Aragón 1997, p. 631, fig. 6.3). Comme nous l’avons dit, une partie de ces objets provient des villae romaines tardives (Fig. 7.1-5, 7, 8). Ce sont les fibules en bronze du type Ambroz 16/2, série 1, variantes 2, 4, à Canet (Dordogne) en Aquitaine 7 Ce costume d’origine danubienne est diffusé en Gaule du Sud et en Espagne, selon toute vraisemblance, par un groupe de migrants ostrogothiques, tels que l’entourage et l’armée du prince Vidimer Amal, qui est arrivé à la cour de Toulouse dans les années 470 (Périn 1993). 63 MICHEL KAZANSKI Fig. 9 64 Les objets du type Černjahov en Espagne. 1. El Hinojal ; 2. Casa de la Zúa ; 3. Cacabelos, Castro Ventosa ; 4, 5. Badajoz (1-3. Pérez Rodriguez-Aragón 1997 ; 1a. Kazanski 2000 ; 4, 5. Koenig 1980). (Kazanski–Lapart 1995, p. 198, fig. 10.1 ; Kazanski 1998, p. 375, fig. 1.18), à El Hinojal/Las Tiendas, en Espagne du Sud-Ouest, provenant d’un niveau avec des monnaies de Théodose (Pérez Rodriguez-Aragón 1996, pp. 176-177, fig. 3.1 ; Pérez Rodriguez-A r agón 1997, p. 629, fig. 1, 2 ; Kazanski 2000 pp. 192, 194, fig. 1.8, 4) et à Casa de la Zúa, en Espagne du Sud-Est (Pérez Rodriguez-A r agón 1996, pp. 176-177, Fig. 3.2 ; Pérez Rodriguez-A r agón 1997, p. 629, fig. 1.3). D’autre par t, des peignes du type Thomas III ont été mis au jour lors des fouilles des villae aquitaines à Beaucaires u r- B a ï s e ( G e rs ) (K a zanski 1985 ; K a zanski–Lapart 1995, p. 197, fig. 7-9 ; Kazanski 1999, p. 15, Fig. 1.2), SéviacMontréal-du-Gers (Gers) (Kazanski– Lapart 1995, p. 197, Fig. 3.3, Fig. 6 ; Kazanski 1999, p. 15, fig. 1.2) et Bapteste (Lot-et- Garonne) (Kazanski–Lapart 1995, p. 197, fig. 3 ; K a zanski–Lapart 1995, p. 197, fig. 3.1, 2 ; Kazanski 1999, p. 15). LES OBJETS ARCHÉOLOGIQUES DU TYPE ČERNJAHOV EN OCCIDENT ROMAIN À L’ÉPOQUE DES GRANDES MIGRATIONS Ces découvertes peuvent témoigner de l’installation des Wisigoths dans de grandes propriétés agricoles, selon la loi de l’hospitalité, quand les Barbares, en échange de leur service pour Rome, recevaient une partie des biens immobilier de la population romaine (pour l’Aquitaine particulièrement, voir Rouche 1979, pp. 23, 161-169). W. Goffart pense qu’il s’agit dans ce cas du paiement aux Barbares d’un équivalent monétaire du prix de ces biens (Goffart 1980). On peut supposer que la situation n’était pas partout pareille et la rémunération des Barbares pouvait avoir des formes différentes. En ce qui concerne la Gaule du Sud et de l’Espagne, les Wisigoths se sont retrouvés maîtres du pays et ont pu facilement s’emparer des terres romaines (Kazanski 1993, p. 178). Cependant, une telle explication peut s’avérer trop simpliste. En effet, en Espagne, les objets du t ype Černjahov proviennent sur tout de la partie méridionale de la péninsule, tandis que Fig. 10 Duraton, tombe 79 (Molinero Pérez 1948). les Goths, à en croire les sources écrites, se sont installés avant tout dans la partie septentrionale du pays. Ainsi, il paraît plus prudent d’éviter pour le moment des interprétations trop rapides. ITALIE En Italie, la présence gothique, avant l’arrivée des Ostrogoths de Théodoric le Grand, était plutôt épisodique. Les objets originaires de la civilisation de Černjahov y sont peu nombreux. En fait, il s’agit essentiellement de la nécropole de Sacca di Goito, en Italie du Nord, dans le bassin du Pô, rive gauche, au Nord de la ville de Mantoue (publication préliminaire : Sannazaro 2006). C’est une nécropole contenant des inhumations du Bas-Empire, 65 MICHEL KAZANSKI dont au moins trois contenaient des fibules de la tradition de Černjahov. Ainsi, la tombe 206 (Fig. 11.3) contenait deux fibules en argent du type Ambroz I AA, d’une longueur de 6,3 cm, ainsi que deu x appliques semi-sphériques en tôle d’or (Sannazaro 2006, p. 63, fig. 2). La tombe 210 (Fig. 11.2) a livré une fibule en bronze du type Ambroz I AA, d’une longueur de 4,5 cm, une fibule en bronze en arbalète, d’une longueur de 3,9 cm, originaire du Barbaricum centre- ou est-européen (voir par ex. Ambroz 1966, pp. 70-71 ; Schulze 1977, pp. 14-16) et un bracelet en bronze (Sannazaro 2006, pp. 61-63, fig. 1)8. Enfin, dans la tombe 214 (Fig. 11.1), on a mis au jour deux fibules en argent du type Ambroz I AA, d’une longueur de 4,5 cm, une fibule en arbalète en argent, du type Ambroz 16/4.III, un bracelet en bronze de tradition romaine et un miroir métallique Fig. 11 Les objets provenant de la nécropole de Sacca di Goito. 1. tombe 214 ; 2. tombe sarmate (Sannazaro 210 ; 3. tombe 206 (Sannazaro 2006). 2006, pp. 64-67, fig. 4, 5). Il est difficile de donner, avant une publication complète, une interprétation de ces découvertes. Il n’est pas exclu qu’il s’agisse de colons d’origine barbare, comme le pensent les chercheurs italiens. Il est néanmoins clair que l’assimilation/acculturation de ces Barbares, à en juger d’après le mobilier et le type des sépultures, était très poussée. 8 66 Dans la publication de 2006, les numéros des figures 1 et 4 sont erronés. Cette erreur est reproduite dans mes articles antérieurs (par ex. Kazanski 2012). LES OBJETS ARCHÉOLOGIQUES DU TYPE ČERNJAHOV EN OCCIDENT ROMAIN À L’ÉPOQUE DES GRANDES MIGRATIONS RHÉTIE Le territoire de l’Allemagne du Sud, où on connaît quelques objets provenant de la civilisation de Černjahov, faisait partie de la province romaine de la Rhetie. Les Goths, à l’époque des Grandes Migrations, n’y sont pas attestés par les sources écrites, ce qui n’exclut pas la présence de petits groupes ou même des personnes isolées originaire de l’Est. Il s’agit de peignes en os du type Thomas III (Fig. 12), dont certains ont été mis au jour dans des forteresses romaines, ce qui peut attester la présence de ressortissants est-européens dans les garnisons de ces lieuxforts (Schwarz 1972-73, fig. 23.1 ; Keller 1979, pl. 12.5 ; Fischer–Spindler 1984, fig. 71.1, 2 ; Kühn 1974, fig. 93). La tombe de Götting (Ldk r. Bad-Aibling), en Haute-Bavière, témoigne de Fig. 12 Les peignes du type Černjahov en Rhetie. 1, 2 Abusina-Eining ; 3, 4. Regensburg- la persistance des traditions Niedermünster ; 5. Stadberg ; 6. Gross-Umstadt (1, 2. Fischer, Spindler 1984 ; « post-černjahoviennes » 3, 4. Schwarz 1972-73 ; 5. Keller 1979 ; 6. Kühn 1974). dans cette région (Keller 1971). La tombe a livré une fibule dérivée du type Ambroz I BA, un peigne en os à dos triangulaire, du type Thomas II, de tradition romaine, ainsi qu’un récipient tourné gris, rappelant la poterie de Černjahov (Fig. 13). Cependant, ce récipient, comme d’ailleurs toute la céramique du type Černjahov, peut remonter à la tradition artisanale romaine. Le signe « solaire » gravé sur le pied de la fibule rappelle certains décors de ceinturons « militaires » romains (par ex. Böhme 1974, pl. 94.13, 108.3, 120.11). GRANDE-BRETAGNE Pour la Grande-Bretagne, archéologiquement bien étudiée, on connaît en fait deux découvertes de fibules de la tradition de Černjahov. Premièrement, c’est une fibule en arbalète à pied triangulaire attaché, provenant de Saint Albans, Hertfortshire, au Nord de Londres (Fig. 14.1), du type Ambroz 16/4.III (Böhme 1986, p. 490, 67 MICHEL KAZANSKI fig. 15.3). L’appartenance de cette pièce à la civilisation de Černjahov est évidente, mais son cadre chronologique est plus large que le début de l’époque des Grandes Migrations et englobe aussi l’époque romaine tardive. La deuxième fibule provient du fameux trésor de Traprain Law, en Écosse du Sud, découvert à l’Est d’Edinbourg. La monnaie la plus tardive du trésor appartient à Honorius (384-423) (Curle 1923). Le trésor est considéré comme appartenant à un chef local, lié à l’Empire. Ce trésor contenait une petite fibule (Fig. 1.3) imitant celles du type Ambroz I AB (Curle 1923, pl. 32.145 ; Böhme 1986, p. 491, fig. 15.2)9. * * * Ainsi, les objets du type Černjahov mis au jour en Occident romain se concentrent en premier lieu en Gaule et en Espagne. Il est difficile de dire si ce tableau est fidèle à la réalité ou bien s’il montre seulement le niveau et l’intensité des recherches dans les différentes régions d’Europe occidentale. En ce qui concerne les pièces vestimentaires, celles des femmes sont mieux identifiables, Fig. 13. Les objets provenant de la tombe de Götting (Keller 1971). parce que le costume féminin est plus « ethnographique » dans les sociétés traditionnelles. Il est important de souligner que, dans les rares cas où la recherche anthropologique a été faite (Angers), les personnes enterrées avec des objets du type Černjahov présentaient des 9 68 Il est à noter que le décor en boutons semi-sphériques sur la fibule de Traprain Law possède des parallèles très lointains. Il est notamment attesté sur la fibule de la tradition de Černjahov provenant de la nécropole de Bajtal-Čapkan dans le Caucase du Nord (Mastykova 2009, pp. 50, 51). LES OBJETS ARCHÉOLOGIQUES DU TYPE ČERNJAHOV EN OCCIDENT ROMAIN À L’ÉPOQUE DES GRANDES MIGRATIONS indices secondaires qui les distinguaient de la population romaine. Les objets en question sont très éparpillés géographiquement et, à part le bassin du Rhin et de l’Aquitaine, ne forment pas de groupes territoriaux notables. On peut supposer que l’apparition de ces deux groupes est liée à des événements historiques réels – la participation des Barbares dans la défense du limes rhénan du Bas-Empire d’une part, et l’installation des Goths sur les terres occupées en Gaule du Sud d’autre part. D’habitude, les objets du type Černjahov se retrouvent dans le contexte culturel romain, ce qui montre à mon avis une intégration profonde des Goths dans la société Fig. 14. Les objets provenant de la tombe de Götting. (Keller 1971). Рис. 14. Les fibules du type Černjahov et quelques objets accompagnants provenant de l’île britannique. romaine. Il faut noter que dans certains cas 1. Saint-Albains ; 2-8. Traprain Law (1. Böhme 1986 ; 2-8. Curle 1923). les objets « gothiques » sont accompagnés de ceux d’origine sarmate (Reims, Troyes, Sacca di Goito), ce qui indique un mélange possible des Barbares germaniques et iranophones. Il est possible que ces Barbares hétérogènes formaient une seule entité avant leur arrivée sur le territoire de l’Empire, notamment dans le cadre des grandes armées barbares d’invasion, comme par ex. l’armée de Radagaise (voir Kazanski 2012). BIBLIOGRAPHIE Ambroz 1966 Briceno et alii 2013 Böhme 1974 Ambroz, A.K.: Fibuly iuga evropeiskoi tchasti SSSR. (Moskva 1966). Briceno, L.–Souquet–Leroy, I.–Guillon, M. : Les sépultures d’Angers – Gare SaintLaud, Bulletin de liaison de l’Association française d’archéologie mérovingienne 37. (2013) pp. 77-78. Böhme, H.W. : Germanische Grabfunde des 4. bis 5. Jahrhunderts zwischen Unterer Elbe und Loire. 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(1995) pp. 181-185. 71 Les contributions incluses dans ce volume analysent la coexistence des « Barbares » et des « Romains » dans un contexte topographique et culturel spécifique : les villes occidentales du Ve siècle. Véritable point nodal de la civilisation gréco-romaine, la ville de l ’Antiquité tardive devient un scénario marquant des processus de transformation politique et idéologique de l ’ époque. Cependant, les activités d ’un des principaux acteurs, les populations d’origine barbare, sont souvent difficiles à encadrer : dans ce contexte spécifique, leurs absences dans certains domaines peuvent être aussi impor tantes que les présences at testées , voire plus . € 55,00 MONOATTI-63 ISBN 978-88-7814-956-4 e-ISBN 978-88-7814-957-1 Paolo de Vingo Joan Pinar Gil (dir.) 2 010 , l e 16 0 0 e a n n i v e r s a i r e d e l ’ é l e c t i o n d ’At h a u l f c o m m e r o i d e s W i s ig o t h s a é t é célébré. Les vicissitudes de ce personnage historique et de son règne éphémère (410-415 ap. J.-C.) sont un exemple éloquent d ’une période caractérisée par un changement rapide de la géographie du pouvoir et par une mobilité extraordinaire des personnes, des objets et des idées dans un contexte de multicult uralisme croissant. Cette éphéméride constitue donc une invitation aux historiens, philologues, archéologues et anthropologues à explorer les multiples matérialisations des échanges et interactions culturels entre « Romains » et « barbares », ainsi que de nombreux autres aspects sociaux, politiques, économiques et culturels au début du Ve siècle en Pannonie, Italie, Gaule et Espagne . ROMANIA GOTHICA IV Barbares dans la ville de l’Antiquité tardive Présences et absences dans les espaces publics et privés En