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Une rocca des Xe-XIIe siècles en moyenne montagne. Premier bilan de cinq années d’enquête sur le château du Mézenc (Haute-Loire) Pierre-Yves LAFFONT Maître de conférences en Histoire et Archéologie médiévales, Université Rennes 2 In memoriam Michel Carlat A nticipant sur une publication générale et exhaustive à venir des travaux menés sur le site du château du Mézenc de 1994 à 2000, nous souhaitons livrer ici un premier ensemble de résultats, obtenus tant à la suite de travaux archéologiques que d’une étude archivistique approfondie. L’enquête sur le château du Mézenc s’intègre à une enquête plus vaste d’archéologie extensive menée sur les plus anciens châteaux du Vivarais depuis 19921. Site caractéristique par sa topographie et de plus bien documenté dès la fin du Xe siècle, le castrum du Mézenc paraissait tout indiqué pour bénéficier d’une étude approfondie, notamment sous forme de sondages archéologiques. Ces derniers ainsi que la documentation écrite nous ont permis, d’une part, de cerner assez finement la chronologie du site, de la seconde moitié du Xe siècle au XVIe siècle, et, d’autre part, d’avoir une idée assez précise de son plan et de son architecture, le tout faisant du château du Mézenc un site particulièrement significatif du premier âge castral dans les montagnes du Massif central et plus largement du Languedoc. imposant dyke de rhyolite - dénommé "Le Chastelas" - dont le sommet culmine à 1511 m d’altitude. Dans ce secteur du plateau vivaro-vellave, où l’altitude moyenne oscille autour de 1200-1300 m, l’occupation humaine ne se développe pas réellement avant le IXe siècle, malgré quelques traces ponctuelles d’occupations antérieures (Laffont 2002). C’est toutefois dans un contexte de peuplement bien avéré que prend place la première mention du site à la fin du Xe siècle dans le cartulaire de l’abbaye bénédictine voisine de Saint-Chaffre du Monastier (Laffont 1998b). Les relations étroites, bien que parfois houleuses, entretenues par les seigneurs du Mézenc avec cet établissement, ainsi que la fondation de la chartreuse de Bonnefoy à quelques kilomètres du château du Mézenc par le seigneur de celui-ci au milieu du XIIe siècle, nous permettent de disposer de données écrites relativement anciennes sur le site et ses occupants. À environ 30 km à vol d’oiseau du Puy-en-Velay, à la frontière des départements de la Haute-Loire et de l’Ardèche, le château du Mézenc appartient aujourd’hui à la commune de Chaudeyrolles (canton de Faysur-Lignon). Pratiquement à mi-chemin entre le chef-lieu de celle-ci et le chef-lieu de la commune voisine des Estables2, au pied du mont Mézenc (1754 m), dont il a tiré son nom, le site s’est développé autour d’un Le château et le lignage du Mézenc : les origines, Xe-XIIe siècle (fig. 1) L’apport des sources écrites _________________________________________________________ Le château et les seigneurs du Mézenc sont attestés dès le dernier quart du Xe siècle. À cette date, entre 975 et 982 plus précisément, Étienne, qualifié de « vir nobilis de castro Mezengo », et sa femme Ermengarde 1- Cette enquête a fourni à ce jour, entre autres, la matière d'une thèse (Laffont 1998) et d'un livre (Laffont 2004). 2- Au Moyen Âge, Chaudeyrolles était du diocèse de Viviers et Les Estables du diocèse du Puy. 1 Pierre-Yves LAFFONT Itier circa 909-927 Arsinde Nizier Gautier Béraud 939-circa 980 Ermengarde Itier vir nobilis de castro Mezengo circa 950-circa 980 ?lignage de Mercœur (?) Étienne, miles du Béage circa 990-circa 1010 Teutburgis ?lignage du Béage ?lignage du Mézenc domini de Mezengo 1062 Etienne Jarenton Bertrand Pierre fratres in castro quod dicitur Misengum 1087-1095 Pierre le Bâtard Guigue Pons Guillaume milites castri de Misenco 1096 Guillaume Pons et Bertrand, frères, seigneurs de Châteauneuf-de-Boutières ? 2 Saura, femme de Raymond III de Mévouillon 1214 Géraud Guigue Pierre de Fay Pierre le Bâtard et ses frères Géraud Pilans ? Guillaume Jourdain, seigneur du Mézenc 1156-† circa 1179 Jarentone, femme de Pons de Chapteuil 1205-1218 Pierre Jarenton du Mézenc 1144 Philippa 1197-† apr. 1151 Jocerande, femme de Pierre Bermond d'Anduze Aymard II de Poitiers, comte de Valentinois † circa 1250 Seignoressa, femme du dauphin André Guillaume de Poitiers, comte de Valentinois † 1226 Flote de Royans Aymard III de Poitiers, comte de Valentinois Mise au net : Laurent Fiocchi Matheline de Clérieux (remariée à Guillaume de Poitiers, père d'Aymard II) Pierre Bertrand Hugues Fig. 1 - Généalogie des seigneurs du Mézenc donnent à l’abbaye de Saint-Chaffre un manse situé dans le diocèse du Puy (Cartulaire de Saint-Chaffre n° CVI). Les seigneurs du Mézenc semblent avoir pour origine une branche cadette d’une puissante famille, largement possessionnée au début du Xe siècle en Auvergne, en Velay et en Vivarais et dont une des branches est à l’origine du célèbre lignage des Mercœur d’Auvergne dont est issu Odilon, cinquième abbé de Cluny (994-1049). Nous ne reviendrons que succinctement sur cette famille déjà étudiée par ailleurs (Lauranson-Rosaz 1987 p. 108-109, 133-135 ; Framond 2002). Le personnage le plus anciennement mentionné de cette famille est Itier, puissant propriétaire foncier, qui, dans son testament établi en 926, remet à la collégiale auvergnate Saint-Julien de Brioude deux groupes de biens : un premier ensemble de manses en Brivadois et un second ensemble sur le plateau vivarois autour du lac d’Issarlès et dans le secteur de La Chapelle-Graillouse (Cartulaire de Brioude n° CCCLXXVIII). Itier laisse de sa femme Arsinde, quatre fils : Béraud, père de saint Odilon et ancêtre des seigneurs de Mercœur, Nizier, Gautier Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc et Étienne. Il semble que ce soit ce dernier qui ait recueilli pour l’essentiel la part vivaroise de l’héritage familial. En 955, il cède à l’abbaye vellave de Saint-Chaffre sept manses tous situés dans le diocèse de Viviers et la viguerie d’Issarlès (Cartulaire de Saint-Chaffre n° CCLXXVI). Cet Étienne, fils d’Itier, paraît ne faire qu’un avec le bienfaiteur de SaintChaffre des années 970-980, évoqué ci-dessus. Les seigneurs du Mézenc ne réapparaissent ensuite dans la documentation que dans la seconde moitié du XIe siècle. Mais la situation est alors un peu particulière et le reste durant toute la fin du XIe siècle, puisque nous avons à faire alors à un véritable groupe aristocratique lié au château du Mézenc, qualifié tantôt de seigneurs du Mézenc, tantôt de chevaliers du Mézenc3. En 1062, les seigneurs du château du Mézenc - Étienne, Jarenton, Bertrand, Pierre, un autre Pierre, Hugues et Géraud, avec leur femme et leurs fils - remettent, pour le salut de leur âme, aux bénédictins de SaintChaffre le lieu des Eygaux (Cartulaire de Saint-Chaffre n° CCXXXII.). Il est impossible d’établir un lien précis entre ceux-ci et Étienne et Ermengarde qui semblent pourtant être leurs aïeux. Cependant, deux actes du cartulaire de Saint-Chaffre, passés dans les années 990-1010, par deux personnages appelés Étienne, liés l’un au château de Chambarlhac et le second au château du Béage (Cartulaire de Saint-Chaffre nos CCLXXVI, CLXXXII, CCV), et qui ne sont vraisemblablement qu’un seul et même individu, permettent peut-être d’établir un degré supplémentaire dans la généalogie des Mézenc. L’usage du prénom Étienne et le contrôle, au moins dès le XIIe siècle, des châteaux du Béage et de Chambarlhac par la famille du Mézenc nous incitent à voir dans Étienne de l’extrême fin du Xe siècle le fils d’Étienne et d’Ermengarde et le père - ou tout au moins le parent - de tout ou partie des seigneurs du Mézenc mentionnés dans la notice de 1062. La seconde moitié du XIe siècle est marquée par les restitutions faites par ces derniers aux moines de Saint-Chaffre d’un certain nombre d’églises du haut plateau vivarois et vellave : église de Sainte-Eulalie en 1079 et de Saint-Front en 1096 (Cartulaire de Saint-Chaffre nos CCCLXXXIV, CCXLI). Cette même année 1096, moyennant de nombreuses contreparties et parce qu’ils partent pour la Terre Sainte rejoindre la première croisade, les chevaliers du Mézenc parviennent par l’intermédiaire des évêques du Puy, de Mende et de Viviers à un accord avec l’abbaye de Saint-Chaffre par lequel ils reconnaissent les droits et biens des moines dans le mandement du Mézenc4 qu’ils contestaient vraisemblablement régulièrement (Cartulaire de Saint-Chaffre n° CCCXCVIII). À la différence du XIe siècle, où l’on mentionne dans chaque acte un grand nombre de seigneurs du Mézenc, au milieu du XIIe siècle, l’un d’entre eux - Guillaume Jourdain5 - se distingue et paraît porter seul le titre de seigneur du Mézenc, même si d’autres personnages ont pour patronyme « du Mézenc ». En effet, parallèlement à la branche principale de la famille du Mézenc, dont les filles de Guillaume Jourdain sont les dernières représentantes, plusieurs branches cadettes, portant comme patronyme « du Mézenc » et possédant des biens et des droits dans le château et la seigneurie du Mézenc, sont mentionnées de la fin du XIIe siècle jusque dans les années 1230, où elles disparaissent à leur tour (Laffont 1998a, vol. II p. 202 sq). Guillaume Jourdain est indéniablement le membre du lignage du Mézenc qui nous est le mieux connu grâce aux textes et notamment grâce au chartrier de la chartreuse de Bonnefoy dont Guillaume du Mézenc est le fondateur entre les années 1150 et les années 1170 (Carlat 1993a). On sait encore de Guillaume Jourdain qu’il est un des vassaux immédiats des évêques du Puy. Il est attesté comme tel en 1171 (Baluze 1708, t. II preuves p. 66-68), mais il est possible que cette entrée en vassalité soit récente6. Comme le laisse supposer le texte de l’hommage 3- Il faut noter que tous les personnages mentionnés dans le cartulaire de Saint-Chaffre au XIe siècle comme seigneurs ou chevaliers du château du Mézenc vont progressivement se fixer sur un des châteaux mouvant de la seigneurie du Mézenc et donner naissance aux XIIe-XIIIe siècles, aux côtés du lignage du Mézenc, à d'autres lignages aristocratiques de la région : les Châteauneuf-de-Boutières, les Contagnet... (Laffont 2004). La question des relations précises de ces personnages entre eux et de leurs relations avec le château du Mézenc mériterait un développement complexe hors de propos ici : s'agit-il d'une coseigneurie, sont-ils des milites castri au service des seigneurs du Mézenc ? 4- Le mandement est l'équivalent au Moyen Âge en Vivarais, comme pour tout le quart sud-est de la France d'ailleurs, de la châtellenie d'autres régions. 5- Contrairement à ce qu'a pu affirmer l'historiographie locale ancienne ou plus récente, Guillaume Jourdain, seigneur du Mézenc, n'a rien à voir avec un autre Guillaume Jourdain, comte de Cerdagne et neveu de Raymond IV, comte de Toulouse. Il s'agit d'une simple homonymie. 6- Cf. l'article de Martin de Framond dans ce même volume. 3 Pierre-Yves LAFFONT Un certain nombre de ces châteaux sont eux-mêmes tenus en fief de Guillaume par des lignages châtelains de rang subalterne. On notera bien évidemment que le château du Mézenc est exclu de cet hommage, il est alors dans la seconde moitié du XIIe siècle soit un alleux, soit un fief de l’Église de Viviers (cf. infra), mais il restera de toute façon exclu aux XIIIe et XIVe Beaudiner (?) siècles de la liste des châteaux hommagés par les successeurs et héritiers de Guillaume Jourdain aux évêques du Puy. Cette absence n’est sans doute pas anodine... rendu en 1229 par sa fille et héritière Philippa à l’Église du Puy, Guillaume Jourdain est vassal de celle-ci pour les châteaux et seigneuries de Fay, Montréal, Queyrières, Chanéac, Géorand, Contagnet, Fourchades, SaintAgrève et pour partie Chambarlhac, et Châteauneuf-de-Boutières7 (fig. 2). DIOCÈSE DU PUY Queyrières LE PUY Mt Meygal (1436 m) Le Lign on Montréal La Loire Saint-Agrève Fay Lac de St-Front Châteauneuf-de-Boutières Mt Signon (1454 m) Abbaye de Saint-Chaffre La Saliouse La Gaz MÉZENC eille Mt d’Alambre (1691 m) Mt Mézenc (1753 m) Contagnet Chanéac L‘E ysse 4 eux yri L‘E Chambarlhac Suc de Sara (1520 m) La Mt Gerbier de Jonc (1551 m) Fourchades Le Béage Lo ire Lac d’Issarlès Géorand DIOCÈSE DE VIVIERS Suc de Bauzon 1474 m Abbaye de Mazan L‘A rdèch e Siège épiscopal N Château Établissement monastique 0 5 20 km Relief majeur Limite de diocèse Fig. 2 - Carte des châteaux relevant des seigneurs du Mézenc aux XIe-XIIe siècles Mise au net : Laurent Fiocchi ; Pierre-Yves Laffont Chartreuse de Bonnefoy La femme de Guillaume Jourdain, Météline, appartient à la puissante famille dauphinoise de Clérieux ; son prénom, rare alors en Vivarais et Velay, renvoie à la famille des vicomtes Trencavel, de Béziers, dont son père Roger de Clérieux descend par les femmes (Chevalier 1897, t. I p. 177 note n° 1). De sa femme, Météline de Clérieux, Guillaume Jourdain ne va laisser que deux ou peut-être trois héritières, dont Philippa qui épouse le comte de Valentinois Aymar II de Poitiers et lui apporte par sa dot la seigneurie du Mézenc et les nombreux châteaux en mouvant ainsi que La Voulte (Ardèche) et une partie de Clérieux (Drôme) du chef de sa mère. La branche principale du lignage du Mézenc s’éteint donc précocement à la fin du XIIe siècle dans celui des comtes de Valentinois. Son ascendance dans l’aristocratie carolingienne auvergnate, l’étendue de ses domaines - treize châteaux sur les confins vivaro-vellaves plus leurs biens de la vallée du Rhône - ainsi que les Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc alliances établies avec plusieurs des plus prestigieux lignages de l’aristocratie rhodanienne et méridionale, les Poitiers, les Clérieux, les Mévouillon8, attestent de son importance au sein de l’aristocratie vivaroise et vellave et plus largement du Languedoc septentrional des XIe et XIIe siècles, et montrent aussi la vivacité des liens qui unissent ces hauts plateaux du Massif central à la moyenne et basse vallée du Rhône et au Midi. Le château du Mézenc et les comtes de Valentinois, XIIIe-XIVe siècle La mort de Guillaume Jourdain et le mariage de sa fille Philippa avec le comte de Valentinois, Aymar II de Poitiers, lie désormais l’histoire du château du Mézenc, et plus largement des confins du Velay et du Vivarais, à celle des comtes de Valentinois. À la suite de ce mariage, ce sont donc la plupart des châteaux du nord de la Montagne vivaroise qui basculent dans le patrimoine des comtes de Valentinois (fig. 3). Ceux-ci accroissent ainsi de façon considérable leurs domaines du Massif central et contrôlent dès lors sur tout son tracé l’importante route reliant la vallée du Rhône au Puy par Le Pouzin et Mézilhac9. Héritiers des Mézenc, les comtes de Valentinois deviennent à leur tour vassaux des évêques du Puy. On conserve à partir de 1229 les hommages rendus aux évêques du Puy par les comtes de Valentinois successifs pour les châteaux et seigneuries de Fay, Montréal, Queyrières, Chanéac, Géorand, Contagnet, Fourchades, Le Béage, Chambarlhac, Châteauneuf-de-Boutières, Saint-Agrève (Lascombe 1882 p. 180, 198). Seul le château du Mézenc reste hors de cet hommage. En revanche, en 1206, par un acte resté jusqu’à ce jour inconnu des historiens du Vivarais, c’est l’évêque de Viviers, Brunon, qui en réclame l’hommage au comte Aymar II de Poitiers au nom de son église (Arch. dép. Savoie SA 3841). Toutefois, cet hommage paraît sans suite et, curieusement, le château du Mézenc semble être resté toujours allodial10. Aymar II, au nom de sa femme Philippa, puis leurs successeurs, conservent donc la seigneurie directe du château du Mézenc. En revanche, pour les autres châteaux mouvant originellement de la seigneurie du Mézenc (Fay, Montréal, Queyrières, Chanéac, Géorand, Contagnet, Fourchades, Le Béage, Chambarlhac, Châteauneuf-de-Boutières, Saint-Agrève), soit ils en conservent la seigneurie directe (à Fay par exemple), soit ils les maintiennent (totalement ou partiellement) inféodés à des lignages locaux. C’est le cas de Fourchades ou de Contagnet par exemple (Laffont 2004). Après le mariage en 1293 de Guillaume de Poitiers, fils cadet du comte Aymar III, avec Luce de Beaudiner, dernière héritière de ce lignage (Inventaire de Cornillon, Arch. Dép. Loire, Fonds Chaleyer, ms 1555, n° CXXII), les Valentinois ajoutent encore à leur patrimoine des montagnes du Vivarais la seigneurie de Beaudiner (Laffont 2004). Mais à cette date, les Poitiers ne résident plus depuis longtemps dans leur château du Mézenc. Seule la comtesse Philippa y séjourne encore ponctuellement au début du XIIIe siècle : ainsi au mois d’octobre 1219, un acte est passé en sa présence au château du Mézenc et dans sa camera (Cartulaire de Bonnefoy n° 70). Les résidences privilégiées des comtes de Valentinois en Vivarais sont alors beaucoup plus à l’est, près de la vallée du Rhône à Privas ou à Baix (Laffont 2004), et avec la disparition de la dernière représentante directe du lignage du Mézenc, ce château cesse d’être une résidence seigneuriale. Et même lorsqu’ils séjournent sur les hauts plateaux du Vivarais, les comtes de Valentinois ou la branche cadette de la famille de Poitiers, qui tient la seigneurie du château du Mézenc de la fin du XIIIe siècle à la fin du XIVe siècle, préfèrent résider dans le castrum de Fay, mieux situé du point de vue routier et bénéficiant de conditions climatiques un peu meilleures. Ce château donnera d’ailleurs naissance à un habitat - l’actuel village de Fay-sur-Lignon - alors que le château du Mézenc ne donnera naissance à aucun habitat pérenne dans le temps. Cette impression de délaissement progressif du château du Mézenc est encore confortée par le fait que lorsque à la fin du XIIIe siècle, la famille de Poitiers rassemble au sein de deux baronnies tous ses châteaux des confins vivaro-vellaves, dont le château du Mézenc, ces baronnies sont 7- Sur ceux de ces sites, c'est-à-dire dire la plupart, situés en Vivarais, cf. Laffont 2004. 8- La seconde fille de Guillaume Jourdain, Saura, a épousé Raymond de Mévouillon qui appartient à une des plus puissantes familles provençales du temps (Chevalier 1897, t. I note 1 p. 65-66). 9- Il s'agit d'une route sans doute d'origine antique qui passe notamment par Privas, Mézilhac et Les Estables (Brechon 2000, t. 1 p. 80 sq et t. 2, p. 379 sq). À la fin du Moyen Âge, si la route traverse le mandement du Mézenc, elle reste toutefois assez loin du château lui-même qui ne peut donc en contrôler directement le trafic. 10- Un temps tenu par une branche cadette de la famille comtale de Valentinois, le château du Mézenc sera certes hommagé par cette dernière, mais à la branche principale de la famille de Valentinois. 5 Pierre-Yves LAFFONT appelées de « Fay et de Beaudiner » (Arch. dép. Isère B 3542 ; Titres de la maison ducale de Bourbon n° 1037). Cœur de la seigneurie du lignage du Mézenc jusqu’à la fin du XIIe siècle, le château du Mézenc voit après la disparition, en la personne de Guillaume Jourdain puis de la comtesse Philippa, de la branche principale de la famille du Mézenc, son prestige décliner rapidement durant le XIIIe siècle. Il ne sera ensuite plus appelé qu’à jouer un rôle tout à fait secondaire pour ses seigneurs, exception faite d’une brève “résurrection” au début du XVe siècle. L’apogée du château du Mézenc correspond donc en fait à ses deux premiers siècles et demi d’existence, du milieu du Xe à la fin du XIIe siècle, et ce que nous laissent entrevoir les textes, nous verrons plus loin que l’archéologie le confirme. Le château du Mézenc et ses seigneurs du XVe au XVIIe siècle : un déclin irrémédiable 6 À l’extrême fin du XIVe siècle, les comtes de Valentinois finissent par se défaire du château et de la seigneurie du Mézenc qui étaient dans leur patrimoine depuis plus de deux siècles. Le 3 avril 1399, Louis de Poitiers, comte de Valentinois et de Diois, vend à Guillaume de Montravel, dit l’Ermite (alias l’Hermite)11, seigneur de La Faye en Auvergne, le château et la seigneurie du Mézenc sous réserve de l’hommage (Arch. dép. Isère B 3904). Cette famille, qui gravite dans l’entourage des ducs de Bourbon, comtes de Forez (Titres de la maison ducale de Bourbon nos 3988, 3993, 4095, 4885, etc.), mais cherche aussi à s’implanter sur les contreforts orientaux du Massif central, paraît alors en pleine ascension. Elle reste toutefois mal connue et nécessiterait une étude spécifique, les armoriaux régionaux étant à son propos bien lapidaires, voire contradictoires (Bouillet 1846-1853, t. III p. 25 sq et t. IV p. 301 sq ; Jourda de Vaux 1924-1933, t. II p. 190). À Guillaume de Montravel succède son fils Jean (Truchard du Molin 1874 p. 28-32) qui semble avoir remis partiellement en état, au début du XVe siècle, certains bâtiments du château du Mézenc - ce qu’atteste par ailleurs l’archéologie. En effet, le 28 juillet 1408, les hommes de la chartreuse de Bonnefoy font appel d’une ordonnance rendue par le juge et châtelain du Mézenc, les obligeant à contribuer à une somme de 400 livres qui avait été imposée sur tout le mandement du Mézenc pour la réparation du château. Les hommes de la chartreuse arguent du fait que ce château leur est inutile et qu’il est situé sur une montagne inaccessible et extrêmement froide, et qu’en outre ils sont les hommes liges de la chartreuse de Bonnefoy. Mais l’année suivante, les hommes des Estables, paroisse du mandement du Mézenc, consentent quand même à payer à Jean de Montravel, dit l’Ermite, seigneur du Mézenc, une somme de 120 livres pour l’aider à rebâtir son château (Poncer 1873, t. III p. 84-85). Et c’est sans doute en 1415 et 1417 qu’il faut placer la concession aux chartreux de Bonnefoy, faite par un seigneur du Mézenc, non nommé, de la faculté de se réfugier en temps de guerre au quatrième étage de la tour du château du Mézenc (Poncer 1873, t. III p. 86). Ces divers actes montrent que, dès qu’il a pris possession au tournant des XIVe et XVe siècles du château du Mézenc, le lignage de Montravel, alias l’Ermite de La Faye, a entrepris des travaux de remise en état et sans doute de fortification du site. N’oublions pas que nous sommes alors dans le contexte des vastes travaux de mise en défense du royaume initiés sous Charles V et qui se prolongent sous Charles VI alors que les montagnes du Massif central sont parcourues de bandes armées diverses. D’autres places fortes voisines (le château de Géorand par exemple) font aussi l’objet au même moment de travaux de fortification (Besson, Michaux 2001 p. 249-250). Jean de Montravel et son frère Louis étant morts tous les deux sans héritier, leurs biens, dont le château du Mézenc, passent finalement en mars 1417 à une de leurs sœurs : Béatrice de Montrevel (Truchard du Molin 1874 p. 55). Le 21 septembre 1421, celle-ci, qualifiée de dame du Mézenc, confirme un accord passé en 1284 entre l’abbaye cistercienne de Mazan et le seigneur du Mézenc à propos de la justice dans divers manses situés dans les mandements de Fay et du Mézenc. Il est convenu, entre autres choses, que les hommes de l’abbaye de Mazan ne seront tenus à aucune réparation au château du Mézenc (Poncer 1873, t. III p. 119). Toutefois, en 1431, les habitants de divers manses de la paroisse des Estables réclament l’intervention du bailli royal du Velay, Béatrice de Montravel voulant les contraindre, ce qu’ils jugent non fondé, à faire le guet au château du 11- La toponymie conservera encore au XIXe siècle le souvenir de cette famille puisque quatre parcelles de la section C du cadastre de Chaudeyrolles de 1827 ont pour toponyme « Las Armites » (Les Ermites) (État des sections des propriétés bâties et non bâties. Commune de Chaudeyrolles, 1827, Arch. dép. Haute-Loire 3 P 592). Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc Mézenc. Celui-ci est d’ailleurs alors présenté comme étant en ruine et ayant entraîné la mort de plus de trente personnes à la suite de la chute de matériaux (Poncer 1873, t. III p. 87)12. Le château et la seigneurie du Mézenc restent dans le patrimoine de cette famille jusqu’au milieu du XVIe siècle et les seigneurs successifs du Mézenc rendent régulièrement hommage pour celui-ci au titulaire du comté de Valentinois13. À la fin du XVIe siècle, puis au début du XVIIe siècle la seigneurie des Estables et du Mézenc passe entre les mains de diverses familles pour finir entre celles des Ginestoux, marquis de La Tourette et barons de Chalencon. Et le 23 mars 1620, Just-Henri II de Ginestoux, marquis de La Tourette, inféode à son tour cette seigneurie aux chartreux de Bonnefoy (Truchard du Molin 1874 p. 28-32 ; Poncer 1873, t. III p. 96). Ainsi par un curieux hasard de l’histoire, les chartreux de Bonnefoy deviennent alors seigneurs du Mézenc, alors que le plus prestigieux d’entre eux, Guillaume Jourdain, était à l’initiative au XIIe siècle de la fondation de leur maison ! Mais alors, comme le montrent divers documents, le château du Mézenc est, sans doute depuis longtemps, abandonné et en ruine. En effet, déjà au milieu du XVIe siècle, le château du Mézenc semble ne plus être qu’un lieu-dit : le 1er octobre 1560, Jean de Catel, conseiller au Parlement de Toulouse, commissaire député par le Parlement pour mettre à exécution un arrêt de celui-ci dans un conflit opposant Antoine l’Ermite, seigneur du Mézenc, à divers habitants des paroisses de Saint-Front et de Chaudeyrolles, est conduit par les syndics des habitants dans divers lieux de la paroisse de Chaudeyrolles dont « Les Imberts », « Titaud » et « Le Chastel » (Poncer 1873, t. III p. 128-30). La localisation des lieux visités laisse supposer qu’il s’agit bien du château du Mézenc, mais il ne s’agit alors plus que d’un lieu-dit. Les données de l’archéologie confortent l’impression donnée par ce dernier texte en mettant en évidence l’abandon du site après le XVe siècle ou le début du XVIe siècle. Les apports de l’archéologie _______________________________________________________ Un point de méthodologie Parallèlement à l’étude de la documentation médiévale et moderne, le site du château du Mézenc a fait l’objet de quatre campagnes de sondages archéologiques (1995, 1996, 1998, 2000), précédées d’une campagne de prospection au sol en 1994. L’objectif était, dès l’origine, non pas de fouiller l’intégralité du site mais de répondre par un ensemble de sondages archéologiques (manuels, en raison de problème d’accessibilité) à un ensemble de problématiques définies au préalable : morphologie du site, chronologie de son occupation, densité et nature de celle-ci. C’est pourquoi chaque campagne de travaux a été réalisée en vue de répondre à un questionnement précis. La campagne de prospection au sol menée en 1994 avait tout d’abord pour objectif d'assurer la présence d’un site médiéval au lieu-dit « Le Chastelas », relief caractéristique situé au pied du Mont Mézenc, susceptible à notre sens d’avoir porté le château du Mézenc, alors que depuis le XIXe siècle les historiens locaux débattait sur l’emplacement de ce site, pourtant bien documenté par ailleurs14. Cette prospection a permis, par la découverte à la fois de maçonnerie affleurant sous des éboulements, d’éléments géologiques exogènes en quantité importante mais aussi de céramique et de fragments métalliques, d’assurer l’existence d’une occupation humaine ancienne sur le site. Elle a permis aussi de commencer à cerner la structuration d’ensemble du site, formé d’un énorme pointement volcanique dominant d’environ 40 m une vaste basse-cour protégée à la fois par des abrupts naturels et par un fossé creusé dans le substrat. La première campagne de sondages menée l’année suivante, en 1995, avait pour but d’explorer archéologiquement le sommet du dyke volcanique au centre du site ainsi qu’un probable bâtiment de pierre situé 12- Cet acte connu seulement par une analyse du XVIIe siècle est peu clair, il fait allusion au château des Estables, qui me paraît être en fait le château du Mézenc. Mais la question mériterait sans doute débat. 13- Le Dauphin en 1490 ou Diane de Poitiers en 1551 (Poncer 1873, t. III p. 89 ; Arch. dép. Hérault, registre ex B 8 f° 57 v° sq). 14- Si le château du Mézenc est bien connu de l'historiographie locale au travers de la documentation médiévale et moderne où il est abondamment cité, son emplacement précis est, depuis le XIXe siècle, source de débats entre les historiens locaux. Cette controverse sur l'emplacement du château du Mézenc a connu des prolongements importants jusqu'à nos jours (Carlat 1993b et 1997). Le dossier historiographique relatif au château du Mézenc est considérable et mériterait en soi une étude. 7 Pierre-Yves LAFFONT en contrebas de celui-ci dans la basse-cour. La seconde campagne, en 1996, a eu pour objectif de poursuivre l’exploration de la plate-forme sommitale du dyke, d’explorer le secteur oriental de la basse-cour ainsi que la périphérie immédiate du site au-delà du fossé. La campagne menée en 1998 a permis d’établir une coupe du fossé barrant le site à l’est et de mettre en évidence la présence d’un rempart maçonné doublant le fossé à l’intérieur de la basse-cour et d’une construction (une tour ?) dominant le fossé probablement à un des points d’accès anciens au site. La campagne 2000 avait pour objectif de déterminer les limites occidentales de la bassecour, peu claires, et d’approfondir notre connaissance de la stratigraphie et de la chronologie de ce même secteur occidental de la basse-cour. Enfin, en parallèle à ces campagnes a été mis en œuvre un relevé topographique systématique du site. 143 0 14 50 14 40 14 1511 Bâtiment IV 70 Bâtiments VI-VII Bâtiment I 0 14 145 (aula) Bâtiment II Vue d’ensemble (fig. 4 à 7) 14 60 Le tertre de rhyolite domine donc de plus de 40 m une basse-cour qui se développe à l’est. Celle-ci, de forme très approximativement ovalaire, mesure environ 60 m dans sa plus grande extension est-ouest et environ 15- L'appellation locale de ce type de relief volcanique est “suc”. 14 14 1496 fos sé 80 Structure extérieure “C” Bâtiment V Rempart fossé N 1490 90 14 L’élément central du château du Mézenc est donc un imposant dyke volcanique, de rhyolite plus précisément15, culminant à plus de 1500 m d’altitude. À l’ouest et au nord, il est directement prolongé par de très vives pentes, couvertes d’importants éboulis, sans doute pour partie naturels et pour partie anthropiques. Le sommet du pointement est loin d’être entièrement plat. En effet, celui-ci présente, depuis sa partie sommitale et jusque dans sa partie médiane, un ensemble d’au moins trois terrasses successives de plus en plus étroites au fur et à mesure que l’on descend sur la pente, la plate-forme sommitale du suc, la plus grande, présentant une surface d’environ 350 m2. Ces terrasses se développent sur la face occidentale du dyke ; la partie postérieure de celui-ci présente, en revanche, une falaise droite de près de 40 m de hauteur. 80 70 Bâtiment III 14 8 Emprise du donjon 60 fossé Associés à la lecture des sources médiévales, les résultats de ces campagnes de travaux permettent déjà, même si finalement n’a été ouverte qu’une toute petite surface du site (quelques %), d’appréhender déjà nettement sa morphologie et sa chronologie. Trace d’enceinte 0 10 50 m Fig. 5 - Plan d'ensemble du site 55 m dans sa plus grande extension nord-sud. Elle est protégée, à l’est et au sud, par un fossé taillé dans le substrat. Ce fossé, étroit et profond au nord, devient de plus en plus large et de moins en moins profond en descendant vers le sud. On passe ainsi d’un profil en V à un profil en U. Au sud-ouest, le fossé a pour l’essentiel disparu à la suite des boisements effectués depuis le début du XXe siècle. Au nord, la basse-cour est protégée par une falaise abrupte que surplombe une étroite arête rocheuse. Celle-ci offre l’avantage de barrer le vent du nord, particulièrement violent et glacial dans cette région de hauts plateaux. L’arête rocheuse se referme à l’ouest sur Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc le dyke, laissant toutefois ouvert un léger espace partiellement élargi de main d’homme. À proximité de celui-ci, une large encoche creusée dans le rocher a été découverte. Les quelques traces d’aménagement du rocher d’ores et déjà mises en évidence dans ce secteur du château posent le problème de l’accès ancien à la plate-forme sommitale du dyke, difficilement accessible aujourd’hui. En effet, en raison de l’aspect très escarpé de ce relief, l’accès à son sommet n’était possible qu’à ce niveau et il faut très vraisemblablement imaginer des structures de bois (rampe ?) permettant de passer de la partie la plus haute de la basse-cour au sommet du dyke. D’autres encoches de poutraison, témoins en négatif d’un chemin d’accès aménagé, sont certainement encore à découvrir sous la végétation qui recouvre les parois rocheuses. Fig. 4 - Vue d'ensemble du site (vue vers le nord). À gauche, le Chastelas ; à droite la Roche pointue logiquement et parfois plus ancien que celui des premières unités stratigraphiques en place. Pour résumer, le château du Mézenc présente donc le plan classique d’un vaste château à motte avec tertre, basse-cour et fossé, mais adapté aux conditions de montagne : les apports de matériaux meubles sont nuls, le site est entièrement aménagé à partir du relief, bénéficiant du remarquable potentiel défensif qu’offre celui-ci mais devant aussi s’adapter aux problèmes de fortes déclivités et de difficile circulation entre point Fig. 6 - À l'arrière-plan le dyke, en contre-bas de celui-ci la basse-cour protégée par un fossé que matérialise une ligne de genêts Enfin, la basse-cour, dont l’altitude moyenne oscille entre 1470 m et 1490 m, montre une très forte déclivité nord-sud ; il existe, en effet, un dénivelé de près de 25 m entre le point culminant au nord de la bassecour et son point le plus bas au sud. Les bâtiments de la basse-cour se sont donc étagés selon un système de terrasses approximativement est-ouest, peu visible aujourd’hui. Ce fort dénivelé n’est pas sans conséquence archéologique puisqu’il a entraîné le glissement progressif vers le bas de la basse-cour d’une partie des vestiges de la partie haute, ce qui provoque des inversions chronologiques assez caractéristiques : le mobilier provenant de ces unités stratigraphiques de colluvionnement est hétérogène chrono- Fig. 7 - Vue de la basse-cour depuis le sommet du dyke. À gauche, l'aula en ruine 9 Pierre-Yves LAFFONT haut et point bas du site. Nous avons ici un exemple tout à fait significatif de ce qui me paraît pouvoir être désigné sous le nom de rocca/roca : c’està-dire un site semblable aux mottes castrales classiques par sa chronologie et sa fonction ainsi que par sa topographie d’ensemble, mais différent par l’escarpement et l’omniprésence du substrat rocher. Cette dernière a d’ailleurs, comme nous le verrons plus loin, un impact sur les matériaux de construction des bâtiments du château, nous interdisant, me semble-til, à la différence des mottes, de parler selon la formule classique d’une « fortification de terre et de bois ». Loin d’être un exemple isolé le château du Mézenc s’inscrit localement voire régionalement dans une typologie que l’on perçoit désormais mieux16. La topographie générale du site cernée, voyons désormais plus en détail ce qu’il en est de son occupation, tout au moins de ce que les résultats des sondages réalisés de 1995 à 2000 et des analyses menées en parallèle (céramologie, archéozoologie, datations 14C) interprétés à la lumière des sources médiévales nous permettent d’esquisser. 10 Sur la plate-forme sommitale du dyke Les sondages réalisés en 1995 et 1996 sur la partie la plus élevée de la plate-forme sommitale du dyke, ainsi que sur une des petites terrasses qui se développent en contrebas de celle-ci, ont montré à la fois la très grande érosion des vestiges avec une stratigraphie sur le rocher parfois quasiment nulle mais aussi la présence d’un certain nombre d’indications qui permettent une première appréhension de l’occupation du point dominant du château. Les indices récoltés lors du sondage montrent nettement qu’un bâtiment, de modestes dimensions, s’élevait sur le sommet du dyke. Cette construction a été totalement arasée et ne subsiste plus que sous la forme de traces ténues : nodules de mortier, blocs taillés épars mais hors de leur contexte géologique, éclats de lauses de phonolite, aménagements rupestres (saignée...). Par ailleurs, la terre végétale, qui ici recouvre directement le rocher, a livré un mobilier archéologique relativement abondant : plus d’une centaine de tessons, des restes de faune, des clous de fer ainsi que beaucoup de charbon de bois. L’ensemble du mobilier céramique donne une occupation à placer principalement dans les XIIIe-XIVe siècles. Cependant, quelques tessons appartiennent à une période antérieure (XeXIIe siècle) alors que d’autres, glaçurés, paraissent dater, quant à eux, du XVIe siècle. La comparaison avec des châteaux voisins permet d’imaginer au sommet du dyke une petite tour maîtresse probablement quadrangulaire17. Celleci devait être accompagnée d’une étroite chemise maçonnée comme le laissent supposer la présence, sur la périphérie du rocher, des vestiges d’une assise de maçonnerie et de grosses taches de mortier de chaux. À l’intérieur de cette chemise se développaient de petites terrasses portant des bâtiments, comme le montre la découverte dans un sondage sur une des terrasses les plus proches du sommet des vestiges très arasés d’un mur en parements et blocage bâti en rhyolite avec quelques rares blocs de phonolite et de tuf volcanique. Une couche de colluvionnement riche en matière organique, en éléments de démolition (blocs, éclats de lauses), en céramique et dans une moindre mesure en restes de faune, et à associer à l’occupation de la plate-forme sommitale du dyke, recouvrait les vestiges de ce mur. Le mobilier céramique, relativement homogène, appartient pour l’essentiel aux Xe-XIIe siècles (formes fermées en pâte à cuisson réductrice), mais quelques tessons sont aussi attribuables aux derniers siècles du Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles), dont quelques fragments de trompe d’appel en pâte à cuisson oxydante. Globalement donc, les informations en notre possession permettent d’imaginer une occupation du dyke par des bâtiments de pierre principalement durant les Xe-XIIe siècles, avec le maintien d’une fréquentation, nettement moins intense toutefois, durant les trois derniers siècles du Moyen Âge. La basse-cour La basse-cour est constituée de terrasses se développant de façon hélicoïdale autour du dyke, cependant celles-ci sont aujourd’hui difficilement visibles en raison de leur affaissement. Les sondages réalisés laissent supposer une occupation dense de toute la basse-cour. Dans l’état 16- Pour d'autres exemples régionaux, cf. par exemple Laffont 2004 ou Ginouvez, Schneider 1988. Le site de Randon, en Lozère, paraît sur de nombreux plans (historiques et archéologiques) très comparable au château du Mézenc. Son étude scientifique reste toutefois à faire. 17- Cf. Brion, Rochebonne, Rochefort, Seray... (Laffont 2004) ou encore Chapteuil (Saint-Julien-Chapteuil, Haute-Loire). Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc actuel des travaux, déjà sept à huit bâtiments ont pu être mis en évidence avec certitude et un certain nombre d’autres semblent se deviner dans diverses anomalies microtopographiques. Seul un bâtiment a fait l’objet d’une fouille exhaustive, les autres ont été appréhendés au travers de sondages, avec les avantages de cette méthode d’investigation, c’est-à-dire la possibilité d’explorer rapidement un grand espace, mais aussi avec les limites de celle-ci... C’est-à-dire une approche très partielle des bâtiments qui parfois sont simplement “frôlés” par les sondages, d’autant qu’un certain nombre de sondages ont été guidés au départ par la présence d’importantes excavations qui nous paraissaient pouvoir correspondre à l’intérieur de bâtiments effondrés et qui se sont avérées en fait correspondre à des fouilles “clandestines” (la notion n'a toutefois guère de sens avant 1941...) dont le site a manifestement beaucoup souffert depuis la fin du XIXe siècle et jusqu’à très récemment... décorée d’une bande rapportée verticale et d’un fragment de fond bombé avec arête, permet de dater ce dallage, qui apparaît comme le premier sol du bâtiment des XIe-XIIe siècles, voire légèrement avant, ce qui globalement place la construction du bâtiment I dans un horizon chronologique tournant autour d’un large XIe siècle. L’état 2 est principalement marqué par l’installation d’un nouveau dallage plus épais que le précédent et reposant, lui aussi, sur une couche d’argile. La céramique laisse envisager une datation antérieure au XIIIe siècle pour ce dallage et donc peut-être le XIIe siècle. L’état 3 correspond à l’extension du bâtiment vers le nord au XIIIe ou au XIVe siècle. L’extrémité septentrionale du bâtiment primitif est détruite et on l’étend vers le nord d’environ 8 à 9 m ce qui a pour effet d’encastrer le bâtiment dans le rocher au nord, Le bâtiment I (fig. 5, 7, 8) rocher Au début des travaux, seules les maçonneries d’un bâtiment étaient visibles dans la basse-cour au pied même du dyke. Un décapage de surface dans les éboulis sur toute la surface du bâtiment, ainsi qu’un sondage profond à l’intérieur de celui-ci ont permis d’avancer dans la compréhension de ce bâtiment I. Celui-ci semble avoir connu six états successifs du XI siècle jusqu’à son abandon au XVIe siècle. L’état 1 est caractérisé par un bâtiment dont ne subsistent actuellement que deux murs. Ce bâtiment primitif possède une forme quadrangulaire. Si ses dimensions est-ouest (environ 8 m hors œuvre) sont connues, on sait peu de chose de son extension nord-sud, tout au plus peut-on affirmer qu’il mesurait au moins 6 m. On ne connaît pas avec certitude l’accès à ce bâtiment, la porte sud du dernier état ne semblant pas prendre le relais d’une ouverture plus ancienne. Les murs ont 1 m d’épaisseur et sont construits en moyen appareil de phonolite lié par un mortier de chaux. Nous ne connaissons rien de la couverture de ce premier bâtiment. Au niveau du ressaut de fondation, une couche d’argile jaune est installée sur le substrat pour obtenir un niveau plan. Sur cette couche d’argile est établi un remblai de terre noire argileuse (sans mobilier) servant de lit de pose à un premier dallage peu épais. Le contexte stratigraphique, ainsi que la présence d’un tesson en pâte noire grossière 11 sondage 3 base d' un refe nd en pierres sèches e reprise ressaut rocheu x reprise sondage 1 N 0 5m Fig. 8 - Plan de l'aula d'après le sondage de 1995 Pierre-Yves LAFFONT renforçant ainsi la protection contre le froid et le vent. Le bâtiment I mesure alors environ 15 m x 8 m, hors œuvre, il est établi dans le sens de la pente et présente, dans son ensemble, un fort pendage puisque l’on constate une différence de niveau d’environ 5 m entre l’extrémité nord et l’extrémité sud du bâtiment, un ressaut rocheux divisant d’ailleurs le bâtiment par le milieu. Un mur de cloison est, peut-être, construit durant l’état 3, mais il peut aussi appartenir à un état plus récent. Un sondage montre l’existence dans l’extension nord du bâtiment primitif d’un dallage recouvert d’un niveau très hétérogène qui est à la fois une couche d’occupation et d’abandon. La céramique découverte dans ce secteur est assez homogène et se rattache aux XIIIe et XIVe siècles avec notamment un pot à cuire de forme globulaire écrasé en place. Mais la présence de certains tessons de pichets glaçurés pousse l’ensemble du lot plutôt vers le XIVe siècle. 12 L’état 4 correspond à une phase importante de travaux. Le bâtiment I tel qu’il se présente aujourd’hui paraît d’ailleurs appartenir, pour l’essentiel, à cette phase. Dans l’état actuel de nos connaissances, les principaux travaux ont alors lieu dans la partie basse du bâtiment. La façade méridionale de celui-ci est doublée (on passe ainsi d’1 m à 1,50 m d’épaisseur) et le mur pignon est percé pour ménager une porte dont les piédroits et le seuil sont bâtis en tuf volcanique. L’existence du mur de refend partageant le bâtiment dans son tiers nord est assurée pour cet état. Parallèlement, un important remblai, provenant partiellement du curage d’une fosse dépotoir (innombrables restes de faunes) et portant un niveau de construction couvre l’ancien dallage. Il est surmonté par une fine couche d’argile, rubéfiée par endroits, qui peut être interprétée comme un sol de terre battue, mais aussi comme le lit de pose de l’imposant dallage (dalles pouvant peser de 80 à 100 kg) qui le surmonte et qui correspond au dernier sol mis en place dans ce bâtiment. Cette phase de travaux est datable par la céramique du XVe siècle, ce qui pourrait correspondre aux travaux attestés par les textes pour ce siècle après le rachat du château par le lignage de Montravel (cf. supra). Enfin, l’état 5 correspond à l’occupation du bâtiment aux XVe-XVIe siècles et l’état 6 à son abandon définitif à la fin de ce siècle ou au début du siècle suivant, après une période d’usage agropastoral de celui-ci (cf. infra). Les dimensions des maçonneries ainsi que le volume des éboulis surmontant le bâtiment laissent supposer que celui-ci pouvait posséder un étage (au moins dans le dernier état), mais cela reste à confirmer. Enfin, l’existence d’une couverture de lauses de phonolite n’est assurée pour ce bâtiment que pour les XIVe-XVIe siècles, mais par comparaison avec d’autres bâtiments du site on peut estimer que celui-ci a pu posséder une toiture de pierre dès l’origine. Jusqu’à l’époque moderne, la lause de phonolithe est dans la région la couverture des constructions présentant une certaine importance (Carlat 1986 ; Borget, Mergoil 1993). Le bâtiment I, qui est le plus vaste connu à ce jour sur le site, semble, à l’évidence, avoir eu une fonction résidentielle importante. À partir du XIIIe siècle, ce bâtiment ainsi que le petit bâtiment II, immédiatement voisin, paraissent seuls encore occupés dans la basse-cour. L’architecture, l’implantation immédiatement au pied du tertre ainsi que la chronologie du bâtiment I, nous laissent supposer que celui-ci a pu être l’aula du château, abritant la camera de la comtesse Philippa mentionnée en 1219 (cf. supra). Le bâtiment II (fig. 5) Un sondage établi immédiatement à l’est du bâtiment I à quelques mètres de celui-ci, contre la barre rocheuse qui limite la basse-cour sur tout son tracé nord, a montré la présence d'une petite construction bâtie dans l’axe de la pente. Orientée nord-sud, elle est parallèle au bâtiment I. Le plan d’ensemble et les dimensions de ce qui paraît toutefois être un bâtiment de petite taille n’ont pu être déterminés en raison de la superficie réduite du sondage. Cette structure est bâtie en appui contre la barre rocheuse qui a été retaillée pour former un angle droit contre lequel s’appuie le bâtiment, de même le substrat rocheux à l’emplacement du bâtiment a été taillé afin d’aménager une surface relativement plane. Le bâtiment est limité au nord par un mur, orienté est-ouest, bâti en moellons bien équarris de tuf volcanique (peut-être en réemplois) avec quelques blocs de rhyolite, le liant étant difficile à déterminer en raison de l’état de conservation médiocre du mur. Ce mur, dont il ne subsiste qu’une assise et qui mesure environ 30 à 40 cm de large, est construit sur un ressaut aménagé dans la paroi rocheuse. À la limite nord-ouest du sondage, le ressaut rocheux fait retour vers le sud ; aucune maçonnerie n’est conservée mais il est probable que le plan du bâtiment effectuait aussi à ce niveau un retour. Le mur se prolonge aussi vraisemblablement vers l’est en dehors Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc du sondage. Le bâtiment II présente une stratigraphie simple et globalement très peu épaisse (de 70 à 80 cm au maximum). Pour obtenir un niveau totalement horizontal et rattraper le pendage naturel du rocher, une importante couche d’argile jaune a été mise en place sur le rocher, avec un matériau et selon une technique utilisés dans la plupart des bâtiments du site. Celle-ci est surmontée d’un niveau d’occupation contenant un peu de démolition (fragments de lause, éclats de phonolite et de rhyolite) et du cailloutis dans une matrice d’argile brun-jaune avec ponctuellement des recharges d’argile verte. Enfin, la stratigraphie est scellée par un niveau d’abandon et de démolition constitué de blocs plus ou moins gros et d’éclats de lause. Le bâtiment II semble avoir été couvert de lauses comme en témoigne les nombreux éclats découverts tant dans les sols que dans le niveau de démolition. Le mobilier céramique permet d’affirmer que le bâtiment II, dont la fonction précise n’est pas déterminée, n’est occupé que durant les XIIIeXIVe siècles. La chronologie de ce bâtiment ainsi que sa proximité avec le bâtiment I laisse supposer qu’il a fonctionné un temps avec celui-ci, sans toutefois en avoir eu la pérennité. Les bâtiments III et IIIa (fig. 5, 9) La basse-cour présentant dans sa frange sud-est un nombre important d’anomalies microtopographiques pouvant correspondre à des constructions éboulées, un sondage a été implanté dans la plus importante d’entre elles, qui prenait l’aspec d’une vaste dépression sub-rectangulaire. En fait, le sondage a montré que cette anomalie n’est liée que partiellement à un bâtiment effondré : elle correspond, en réalité, à une fouille ancienne en partie éboulée. Cette fouille, réalisée à une époque indéterminée et qui s’avère en fait implantée immédiatement en marge d’un bâtiment (III) construit en bordure même du fossé, n’a heureusement affecté que des couches superficielles de colluvionnement. Elle a été arrêtée sur le niveau supérieur de l’éboulis recouvrant les structures. Outre la mise en évidence de cette fouille ancienne, le sondage a permis d’exhumer l’angle nord-ouest d’un bâtiment maçonné de grande taille (bâtiment III) et une construction (bâtiment IIIa) établie en appentis sur la façade nord de ce bâtiment. L’implantation du sondage, relativement limitée en surface, n’a autorisé la mise au jour que de l’angle formé par les façades ouest et nord du Fig. 9 - Vue du bâtiment III dans le sondage de 1996 bâtiment III. Seuls les parements extérieurs et l’arase supérieure des murs nord et ouest du bâtiment III ont été dégagés ; celui-ci reste donc entièrement à fouiller. De plan apparemment quadrangulaire, le bâtiment III est une construction grossièrement orientée sud-ouest/nord-est, construite dans l’axe de la pente et parallèlement au fossé, qui est distant d’une dizaine de mètres. Cette structure est bâtie en petit et moyen appareils irréguliers de rhyolite, de phonolite et de tuf volcanique avec de plus gros blocs en chaînage d’angle. Ces murs, relativement bien parementés, semblent liés à la terre. Ils sont conservés sur un maximum de cinq à six assises. Le bâtiment présente encore en place le seuil, montrant de très nettes traces d’usure, d’une porte étroite ouvrant sur la face nord immédiatement dans l’angle nord-ouest. Le seuil de la porte est en tuf volcanique de même que l’était le reste de l’encadrement, dont les éléments ont été découverts éboulés vers le nord à l’intérieur de l’appentis. Ces blocs permettent peut-être de restituer une porte couverte d’un arc en plein cintre. Dans un second temps, celle-ci a été obturée par un agglomérat de petits moellons de rhyolite et de phonolite liés à la terre qui correspond vraisemblablement à une phase de travaux dans le bâtiment III. Le mode de couverture de cette construction n’est pas connu. En effet, les lauses de phonolite découvertes dans le sondage appartiennent à la couverture de l’appentis (fig. 10). Cependant, on imagine que le bâtiment III a, au moins un temps donné, eu une couverture de même type que celle de son appentis, c’est-à-dire une toiture de lauses. Rien ne permet à ce jour de 13 Pierre-Yves LAFFONT Même si les murs du bâtiment IIIa sont très dégradés, celui-ci apparaît globalement de médiocre facture par rapport au bâtiment III. Cet appentis est bâti en moyen appareil irrégulier de rhyolite avec quelques rares blocs de tuf, l’ensemble étant mal parementé et sans doute lié à la terre. Lors de la construction du bâtiment IIIa, le rocher a été retaillé et aplani et la surface de celui-ci a été, selon la technique déjà entrevue dans d’autres bâtiments du site, recouvert d’une couche dense d’argile jaune-orangée afin d’établir un sol plan. Le bâtiment IIIa était couvert d’une toiture de lauses : le sondage a mis en évidence des vestiges de la charpente carbonisée et la toiture de lauses reposant encore à plat sur celle-ci ; l’ensemble étant recouvert par les ruines des maçonneries. Ce niveau de démolition a progressivement été recouvert par d’importantes couches de colluvionnement liées au glissement dans la pente des vestiges de constructions situées plus haut dans la basse-cour. Le bâtiment IIIa n’a connu qu’une courte occupation dans le temps, assez aisément datable. En effet, le mobilier céramique provenant de la couche d’abandon du bâtiment, de l’unique couche d’occupation et du niveau de réglage d’argile est tout à fait homogène ; il appartient, sans que l’on puisse être plus précis, à la période Xe-XIIe siècle. Par ailleurs, une datation au 14C réalisée sur la poutraison carbonisée du bâtiment IIIa donne trois pics de probabilité : 1070, 1130, 117018. 14 Le bâtiment IIIa pourrait donc avoir été construit durant la seconde moitié du XIe siècle avec un abandon dans le courant ou à la fin du XIIe siècle. Les bâtiments III et IIIa pourraient donc appartenir au premier état du château du Mézenc et avoir, en tout cas un temps, fonctionné avec le bâtiment I et les constructions de la plate-forme sommitale du dyke. Fig. 10 - Toiture de lauses de phonolite effondrée en cours de fouille dater le bâtiment III par lui-même ; cependant, étant en chronologie relative antérieure à une structure (bâtiment IIIa) construite au XIe siècle, la construction du bâtiment III paraît donc à placer, au plus tard, dans ce siècle. Le bâtiment IIIa établi en appui contre la face nord du bâtiment III est à ce jour mieux connu que ce dernier puisque le sondage s’est avéré implanté pour l’essentiel dans cette construction. Seul le mur est du bâtiment IIIa est connu. Au sud, la construction s’appuyait sur le bâtiment III ; au nord et à l’ouest, la structure semble s’étendre au-delà du sondage. Le bâtiment IV (fig. 5) Les deux sondages mitoyens conduits en 1995 et 2000 dans une zone d’éboulis grossièrement quadrangulaire légèrement en contrebas du dyke, au sud-est de celui-ci, ont montré que ces éboulis ne sont pas, à la différence des pierriers situés au pied de la face occidentale du rocher, liés à un phénomène de désagrégation naturelle du rocher, mais qu’ils correspondent à des vestiges archéologiques présentant des structures et une stratigraphie relativement complexes que les dimensions limitées du 18- Centre de datation par le radiocarbone, Université Lyon I, code laboratoire : Ly-8414? Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc sondage rendent toutefois parfois difficiles à interpréter. Les structures qui forment le bâtiment IV - il conviendrait plutôt de dire l’espace bâti IV sont établies en rebord d’une des terrasses structurant la basse-cour et c’est d’ailleurs le seul secteur du site où celles-ci ont pu être archéologiquement appréhendées. Sur cette terrasse, constituée d’un fort remblai, on rencontre un premier niveau d’occupation riche en mobilier céramique et métallique, les maçonneries qui fonctionnent avec ce niveau ne sont pas connues en raison des limites du sondage, toutefois les traces d’une couche de travail qui doit correspondre à la construction de celles-ci ont pu être ponctuellement mises en évidence. Sur ce premier niveau d’occupation s’installe un petit mur de pierre essentiellement constitué de deux parements, peut être liés à la terre (0,80 m de largeur), et qui fonctionne avec un dallage. Un second mur de pierre (0,90 m de largeur), peut-être lié au mortier de chaux et en lien possible avec un sol d’argile qui a livré du mobilier céramique, métallique et faunique, semble contemporain du précédent même s’il ne paraît pas pourtant appartenir au même bâtiment. Après leur démolition, ces murs ont ensuite été recouverts d’un sol de terre battue et d’une couche d’occupation avec un foyer. Toutefois les maçonneries qui fonctionnaient avec ce sol nous sont là encore inconnues en raison de l’étroitesse du sondage. Tous ces niveaux ont livré de la céramique typologiquement homogène que l’on peut attribuer aux XeXIIe siècles avec de très fortes présomptions pour la période des Xe-XIe siècles. Deux datations 14C viennent confirmer et préciser les datations typochronologiques données par la céramique : la première faite sur un charbon de bois prélevé dans le niveau de travail donne comme âge calibré 899-1020 avec un maximum de probabilité dans les années 988-1015 ; la seconde datation, faite sur un charbon de bois provenant du plus ancien niveau d’occupation mis en évidence, donne un âge calibré de 984 à 1032 avec un maximum de probabilité autour des années 1005-101919. Si l’on croise ces deux datations, le premier bâtiment de ce secteur pourrait donc avoir été bâti dans les années 1000-1010. Les éléments encore en place dans l’espace bâti IV montrent donc une évolution complexe dans un laps de temps relativement court, puisque toutes les datations placent celle-ci dans un grand XIe siècle avec des travaux dès le tout début du XIe siècle, c’est-à-dire dans les premières décennies du château. Fig. 11 - Vue du bâtiment V dans le sondage de 1998 Le bâtiment V (fig. 5, 11) Ce bâtiment a été mis au jour lors de la campagne de sondages de 1998. Il occupe l’angle nord-ouest de la basse-cour à l’extrémité orientale de la barre rocheuse dominant celle-ci. Il est établi immédiatement en surplomb du fossé, qui est très marqué dans ce secteur, et du fort à-pic naturel protégeant le site au nord. Le bâtiment, dont aucun vestige n’était apparent avant la fouille malgré une très légère anomalie microtopographique, mesure environ 6,70 m x 10 m, hors œuvre, et présente un plan en U, ouvert vers le sud et la basse-cour. Si le mur ouest n’est conservé que sous forme d’éboulis, en revanche, les murs nord et est (environ 1,20 m de large) présentent encore plusieurs assises de phonolite liées au mortier de chaux. Celui-ci est toutefois, comme dans la plupart des bâtiments du site, extrêmement dégradé et ne subsiste que sous la forme de dépôts résiduels d’arène granitique. Un large poteau dont subsiste le négatif creusé dans le rocher palliait l’absence de mur porteur au sud. Le bâtiment était couvert de lauses de phonolite comme le montrent quelques fragments découverts en cours de fouilles ; cette couverture semble toutefois avoir fait l’objet d’un démontage soigneux après l’abandon du bâtiment. Deux importants fragments carbonisés de volige en sapin blanc, présentant des traces de forte compression, confirment la nature de la couverture utilisée20. 19- Centre de datation par le radiocarbone, Université Lyon I, codes laboratoire : LY-11176 et LY-9636. 20- Analyse anthracologique : Aline Durand (Université Aix-Marseille 1). 15 Pierre-Yves LAFFONT Le sol pourrait avoir été constitué dans la partie nord du bâtiment d’un remblai argileux et caillouteux et dans la partie sud d’un dallage très largement disparu aujourd’hui. Un abondant mobilier céramique, chronologiquement très homogène, ainsi qu’une datation 14C place la construction et l’utilisation de ce bâtiment entre le milieu du XIe siècle et la fin du XIIe siècle, ou le tout début du XIIIe siècle au plus tard21. Outre la céramique, la fouille du bâtiment a fourni un mobilier métallique important lié aux activités militaires (carreaux d’arbalète) et équestres (fer 16 Fig. 12 - Vue des bâtiments VI et VII dans le sondage de 2000 à cheval, clous de fer à cheval). La situation topographique de ce bâtiment, en surplomb du fossé et sans doute de l’accès ancien au site, ainsi que sa morphologie peuvent lui laisser attribuer peut-être une fonction de tour défensive, même s’il ne paraît pas lié à des courtines. Les bâtiments VI et VII (fig. 5, 12) À peu de distance du bâtiment IV, dans l’angle sud-ouest de la bassecour et à proximité du fossé, a été mis en évidence l’existence de deux autres bâtiments (VI-VII), établis dans une zone très perturbée par des fouilles anciennes. Celles-ci ont laissé de vastes dépressions qui ont fortement troublé l’implantation du sondage réalisé dans ce secteur en 2000. En effet, ce dernier s’est révélé être implanté non pas dans un bâtiment mais en limite de deux bâtiments successifs, toutefois pour l’essentiel à l’extérieur de ceux-ci. Le plus ancien (VI), approximativement orienté nord-sud, est connu par un angle de maçonnerie formé de deux murs de rhyolite liée au mortier de terre. Les quelques mètres carrés qui ont pu être fouillés présentent une stratigraphie simple montrant une durée d’utilisation relativement courte. Ils ont livré une très grosse quantité de mobilier archéologique et principalement de la céramique très homogène et appartenant à la période des Xe-XIIe siècles. Le charbon de bois s’est avéré aussi très abondant puisque semble encore conservée, effondrée sur place, une bonne part de la charpente carbonisée du bâtiment. Une datation 14C effectuée sur un échantillon provenant de cette charpente donne un âge calibré de 900 à 1019 avec un maximum de probabilité autour des années 987-101522, ce qui coïncide d’ailleurs tout à fait avec les datations obtenues pour l’espace bâti IV. Il est difficile de dire quelque chose du bâtiment plus récent (VII) qui n’est matérialisé que par un angle de murs en saillie dans la limite nord-est du sondage. Tout au plus peuton dire que ces maçonneries, elles aussi de pierre, appartiennent à un bâtiment stratigraphiquement plus récent que le VI. 21- Centre de datation par le radiocarbone, Université Lyon I, code laboratoire : LY-9540. Le 14C donne trois pics de probabilité : 1215, 1130, 1070. La céramique tire plutôt la datation vers le haut. 22- Centre de datation par le radiocarbone, Université Lyon I, code laboratoire : LY-11175 Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc Le fossé et ses abords extérieurs (fig. 5) Un vaste sondage réalisé en juillet 1998 perpendiculairement au fossé, dans le secteur où il apparaissait le plus nettement, a permis de préciser l’aspect de celui-ci et de mettre en évidence la présence d’un mur d’enceinte le bordant vers l’intérieur. Le fossé est creusé dans le substrat et présente un profil grossièrement en V. Il mesure environ 13 m de large au sommet et apparaît assez peu profond, puisqu’il possède une profondeur maximale d’environ 1,80 m. La face extérieure du fossé, la contrescarpe, est soigneusement tapissée d’argile afin d’atténuer les irrégularités du rocher et de présenter une pente à peu près régulière. La face intérieure du fossé, l’escarpe, présente quant à elle un talutage maçonné qui dans ses élévations au-delà du niveau du fossé joue le rôle de mur d’enceinte doublant le fossé du côté de la basse-cour. Ce rempart n’était visible avant la fouille que sous forme d’anomalies topographiques et phytologiques (longue bande rectiligne de bruyère) ; il a pu être dégagé sur plusieurs mètres de longueur. Il apparaît cependant extrêmement dégradé, notamment en raison de fouilles clandestines qui ont déchaussé une partie du parement extérieur. Le mur d’enceinte et son prolongement en talutage du fossé sont bâtis en appareil irrégulier de phonolite lié par un mortier de chaux mal conservé. Le fossé s’est avéré relativement pauvre en mobilier archéologique, ce qui est peu commun pour un type de structure faisant habituellement office de dépotoir. Toutefois, il est vrai que le sondage a été implanté dans la partie la plus haute du site, le fossé présente là un fort pendage vers le sud qui a dû se traduire par un très important ruissellement. À proximité immédiate du fossé, mais hors de la basse-cour, une prospection menée lors de la campagne de 1995 avait montré la présence d’une petite structure construite (dite « structure C ») qui avait alors livré quelques tessons médiévaux. Il a été décidé, lors de la campagne de 1996, d’effectuer une fouille partielle de cette structure afin d’obtenir quelques informations sur son plan, sa chronologie et sa fonction. Si l’on a pu répondre aux deux premières questions, la dernière reste encore sans réponse précise. Cette structure se situe à environ une vingtaine de mètres au-delà du fossé, sur la limite extrême au nord de plantation de la forêt domaniale. Cette structure a donc été, comme toute la portion méridionale du fossé, très perturbée par le boisement effectué au début du XXe siècle. Elle adopte la forme d’une cuvette très grossièrement circulaire, son extension maximale étant d’environ 4 m dans le sens nord-sud et d’environ 4,50 m dans le sens est-ouest pour une profondeur maximale d’environ 1,20 m. La cuvette a été ménagée dans le rocher : à l’est et au nord, les parois sont formées par le substrat retaillé ; à l’ouest, elle est fermée par un amas de petits blocs de phonolite sans aucun liant. La cuvette se prolonge au sud au-delà de la limite de fouille. Les parois et le fond de cette cuvette sont soigneusement tapissés d’argile jaune-orangée comme les autres bâtiments du site. Le remplissage de la cuvette a livré quelques rares fragments de blocs (tuf volcanique, rhyolite, phonolite) et quelques dizaines de tessons attribuables à la période des Xe-XIIe siècles. La fonction de cette structure reste à déterminer : un habitat semi excavé du type fond de cabane paraît toutefois le plus probable. Il est vraisemblable que d’autres structures identiques, ayant peut-être appartenu à un habitat paysan, aient existé en périphérie du site castral. Toutefois, les plantations contemporaines de résineux laissent dubitatifs sur l’état de conservation de celles-ci et sur la possibilité de les repérer en prospection. Enfin, quelques tessons de céramique médiévale et des fragments métalliques (clou ?) ont été découverts sur les flancs de la Roche pointue23, pointement volcanique situé immédiatement à l’est du Chastelas à environ 400 m de celui-ci. Ce sont à ce jour les seuls indices d’une occupation de ce relief et il est actuellement hors de proportion d’évoquer un second pôle castral centré sur la Roche Pointue. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de songer, sur le modèle des mottes castrales doubles dont il existe de nombreux exemples24, à une rocca double. Un autre site du voisinage, le château de Contagnet, s’articule de la même façon autour de trois pointements volcaniques voisins25. Un lien pourrait être établi avec le phénomène de la coseigneurie très présent en Vivarais (Laffont 2000). 23- Prospections de Pierre-Yves Laffont et de René Liabeuf (SRA Auvergne). Le site sert actuellement de rocher d'escalade et connaît donc une forte érosion. 24- Cf. l'exemple de Rochefort-en-Valdaine dans la Drôme où une seconde motte rupestre occupe la même échine rocheuse que la motte fouillée par Michèle Bois (Châteaux de terre 1987 p. 55 sq). Cf. aussi dans un autre contexte géographique, mais pour des périodes voisines et pour des sites à la fonction tout à fait identique, les nombreuses mottes doubles voire triples des Flandres (Lefranc 1976). 25- Dans le cadre de notre DARA (Laffont 2004), nous n'évoquions qu'un seul de ces pointements, or des prospections récentes ont montré que les deux tertres volcaniques voisins avaient aussi connu une occupation médiévale. 17 Pierre-Yves LAFFONT Le mobilier archéologique ___________________________________________________________ La céramique Les trois campagnes de fouilles ont entraîné la mise au jour d’un mobilier archéologique relativement abondant : céramique, métal, verre et restes de faune. Le mobilier céramique s’est avéré, évidemment, de loin le plus abondant et près de 4000 tessons ont été récoltés lors des sondages26. La céramique découverte sur le site présente l’intérêt d’être dans sa très grande majorité homogène typologiquement et chronologiquement. Elle appartient pour l’essentiel (de 80 à 100 % selon les secteurs du site) à la période des Xe-XIIe siècles et se caractérise par des poteries cuites en atmosphère réductrice (pâte noire ou grise) et sans glaçure (fig. 13). Les 18 formes essentiellement représentées sont, ce qui est commun pour ces périodes du Moyen Âge, les pots à cuire et les pots à liquide. Les décors, peu nombreux, sont obtenus soit par des cordons digités, soit par le passage d’une molette avant la cuisson. On notera la présence de quelques fragments de poterie dite à “fonds marqué”, caractéristique des productions céramiques des environs de l’an mil en Lyonnais et en Dauphiné (Des Burgondes à Bayard p. 111-114) et dont on ne connaissait qu’un exemplaire aussi loin vers l’ouest avant cette découverte27. Les tessons appartenant aux trois derniers siècles du Moyen Âge sont rares et ont, pour l’essentiel, été découverts dans le grand bâtiment résidentiel situé immédiatement au pied du tertre (bâtiment I), dans le bâtiment II qui le jouxte et sur le dyke. Cette poterie se caractérise principalement par des poteries cuites en atmosphère oxydante (pâte orangée à beige) et parfois glaçurées. Parmi les formes reconnues, on trouve des pots à cuire et des pots à liquide, notamment des pichets. Le site a par ailleurs livré, sur la plate-forme sommitale du dyke, des fragments de trompe d’appel en céramique. Enfin, les couches d’abandon du bâtiment I ont fourni quelques fragments d’un bol à oreillettes du XVIe ou du XVIIe siècle percé après coup de trous pour en faire une faisselle (fig. 14). Fig. 14 - Bol à oreillettes (XVIe ou XVIIe siècle) percé de trous pour en faire une faisselle (dessin M.-N. Baudrand) Fig. 13 - Mobilier céramique. 1) : lèvre en bandeau avec décor à la molette sur le haut de la panse, Xe-XIIe siècle ; 2) : lèvre en collerette, Xe-XIIe siècle ; 3) : lèvre évasée, Xe-XIIe siècle ; 4) : fond marqué, Xe-XIe siècles (dessin M.-N. Baudrand) 26- L'analyse du mobilier céramique a été faite avec les conseils éclairés d'Élise Boucharlat (Ministère de la Culture, SDArchétis). 27- Cf. TIXIER Luc, « Contribution à l’étude de la céramique médiévale : à propos d’un vase à fond marqué d’un signe cruciforme conservé au Musée du Puy-en-Velay », Cahiers de la Haute-Loire, 1978, p. 129-134. La présence, un peu extraordinaire, de ces tessons pourrait être liée aux relations existant entre le lignage du Mézenc et le lignage dauphinois de Clérieux, dont la seigneurie éponyme est en plein dans la zone d'utilisation de ce type de céramique. Les seigneurs du Mézenc sont de toute façon plus tournés vers la vallée du Rhône que vers l'intérieur du Massif central. Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc Le verre Le métal (fig. 15 et 16) Le verre découvert appartient à la fin du Moyen Âge et est très peu abondant. Il se résume pour l’essentiel à huit fragments de panse et un fragment de col, mis au jour dans le bâtiment I. Ces tessons de verre présente un bon état de conservation. Présentant une légère teinte verte, ils possèdent différents décors de discrètes alvéoles obtenus par soufflage de la pièce dans un moule. Ces fragments, difficilement datables par euxmêmes en l’absence de forme, ont été découverts dans un contexte des XIIIe-XIVe siècles. Les objets métalliques découverts sur le site du Chastelas sont caractéristiques des sites castraux de la période centrale du Moyen Âge et renvoient principalement aux activités militaires et équestres28. On recense ainsi un certain nombre de carreaux d’arbalètes, de taille et de morphologie variées, des anneaux (de cote de maille ?) en alliage cuivreux, des fers à cheval ainsi que de nombreux clous de ferrage, un fragment d’éperon, mais aussi des éléments de harnachement parfois en bronze. Quelques objets renvoient aux activités artisanales : lames de couteau, outils ou fragments d’outil (on retiendra notamment une paire de ciseaux du XVe ou du XVIe siècle découverte dans le bâtiment I). Certains renvoient à la construction ou à l’équipement domestique : clous de menuiserie et de charpente, gonds... Par ailleurs, des anneaux, une boucle de ceinture, un large ardillon 19 Fig. 15 - Mobilier métallique et osseux (Xe-XIIe siècle). 1 à 5) : carreaux d'arbalète ; 6) élément de harnachement ; 7) clou de chaussure (?) ; 8) agrafe en tôle de bronze dorée ; 9) ardillon de ceinture en tôle de bronze dorée ; 10) anneau en fer ; 11) battant de sonnaille en os (?). (dessin M.-N. Baudrand) Fig. 16 - Mobilier métallique : fers d'équidés, clous de ferrage, fragment d'éperon (dessin M.-N. Baudrand) 28- Des comparaisons tout à fait pertinentes peuvent être établies avec le site dauphinois de Colletières à Charavines, référence pour le mobilier aristocratique du XIe siècle (Colardelle, Verdel 1993). Pierre-Yves LAFFONT de ceinture en tôle de bronze dorée évoquent le costume masculin. On notera toutefois qu’aucune monnaie médiévale n’a été découverte lors de ces sondages. Les restes de faune Quantité et état de conservation des restes de faune se sont avérés très variables d’un sondage à un autre pour des raisons climato-pédologiques29. Une première étude de ceux-ci a toutefois pu être confiée à Vianney Forest (INRAP). Elle montre que les occupants du château du Mézenc consommaient, ce qui est classique, du porc, du bœuf, des ovicaprinés (moutons pour l’essentiel et peut-être chèvres) et des volailles, alors que la faune sauvage est quasiment inexistante parmi les restes découverts en fouille. La période la plus ancienne du site montre une prédominance du couple bovin-porcin, les ovins s’imposant ensuite, ce qui est assurément à lier au très fort développement de l’élevage ovin spéculatif par les seigneuries monastiques, et dans une moindre mesure laïques, à partir du XIIIe siècle. 20 Pour conclure… ______________________________________________________________________________________ Après les quatre campagnes de sondages de 1995, 1996, 1998 et 2000 et une enquête approfondie dans les sources écrites médiévales et modernes, il est donc d’ores et déjà possible d’avancer un certain nombre d’hypothèses sur le château du Mézenc (fig. 17). Celui-ci pourrait avoir été fondé vers le milieu du Xe siècle30 par une branche cadette d’une famille de puissant latifundiste du sud du Massif central - les ancêtres des Mercœur - établie sur les domaines vivarois de celle-ci. Les conditions qui ont présidé au choix d’un site aussi contraignant d’un point de vue climatique pour en faire le centre de leur seigneurie restent à ce jour peu claires. Elles prennent assurément en compte plusieurs facteurs : des contraintes proprement patrimoniales et domaniales voire politiques31, qui nous échappent largement faute de documentation ; des considérations géographiques (ouverture à la fois sur le plateau vellave et Le Puy, d’une part, sur le Vivarais et par-delà la vallée du Rhône, d’autre part) et routière et, enfin, sûrement, des considérations d’ordre topographique avec la présence d’un site offrant un bon potentiel défensif et aisément aménageable, selon les critères du temps, en motte castrale. De celle-ci, le château reprend le plan d’ensemble mais la réutilisation maximale des potentialités du relief en fait plus une rocca qu’un château à motte classique. Le site est constitué d’un énorme pointement volcanique dominant une vaste basse-cour, protégée à la fois par un large fossé sec, un mur d’enceinte, et une barre rocheuse naturelle. La basse-cour présentant un fort pendage nord-sud, les constructions qu’elle abrite s’étagent en terrasses. Comme l’attestent la documentation écrite, les données céramologiques et les datations 14C, l’occupation principale du site paraît se placer entre le milieu du Xe siècle et la fin du XIIe siècle. Le château du Mézenc est alors le centre d’une vaste seigneurie féodale dans la mouvance de laquelle gravitent près d’une douzaine de châteaux. Durant ces deux siècles, le château apparaît constitué des éléments suivants32 : - au sommet du dyke, un petit donjon accompagné d’une chemise maçonnée englobant diverses constructions ; - en contrebas de celui-ci, dans la basse-cour, une aula ; - dans le reste de la basse-cour divers bâtiments disposés sur des terrasses. Six à sept d’entre eux ont à ce jour été repérés par les sondages, mais des indices laissent supposer la présence d’autres bâtiments ; - par ailleurs, une occupation en périphérie du site (pointement de la Roche Pointue, fond de cabane près du fossé) est attestée. Durant cette période, les constructions du château possèdent déjà des maçonneries de pierre (rhyolite et phonolite pour les murs ; tuf volcanique et granite pour les encadrements ou dans les murs en réemploi) liées à la 29- De ce fait aussi les outils en os, pourtant relativement fréquents sur ce type de site, sont ici quasi inexistants. 30- Il convient d'insister sur le fait qu'il n'y a absolument aucune trace d'une occupation humaine antérieure au Xe siècle sur le site du Chastelas. La présence, régulièrement réaffirmée depuis l'érudit vellave du début du XXe siècle Albert Boudon-Lashermes, d'une occupation "gauloise" sur ce site apparaît absolument sans aucun fondement sérieux. 31- Le site est sur la frontière des comtés de Velay et de Vivarais, des diocèses du Puy et de Viviers, et un temps donné sur la frontière entre royaume de Bourgogne et Aquitaine (Laffont 2006). 32- Il est à noter que pour cette période du site, comme pour les suivantes d'ailleurs, aucun indice, ni documentaire, ni archéologique, ne permet d'évoquer la présence d'une chapelle sur le site. Nous pensons même, en replaçant le château du Mézenc dans le corpus des 180 sites que nous avons plus largement étudiés, que celui-ci n'a sans doute jamais possédé de lieu de culte. Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc terre ou au mortier de chaux. Le substrat est abondamment retaillé pour recevoir les bâtiments, la pose d’un lit d’argile achevant de donner un sol plan à l’intérieur des bâtiments. La couverture alors en usage paraît déjà être la lause de phonolite. La fin du XIIe siècle marque un tournant fondamental pour le site : la disparition de la branche principale des seigneurs du Mézenc, qui s’éteint dans le lignage des comtes de Valentinois, engage un déclin irréversible du château, qui devient désormais une seigneurie tout à fait subalterne dans le patrimoine des comtes sur la rive droite du Rhône. Localement, lui est même préféré au XIIIe siècle le petit castrum (au sens méridional du terme) de Fay-sur-Lignon, mieux situé du point de vue des axes routiers irriguant la région à la fin du Moyen Âge (Brechon 2000, t. 2 p. 217 sq), pour devenir le centre de la baronnie regroupant les domaines des Valentinois sur le plateau vivaro-vellave. Les XIIIe-XIVe siècles paraissent marquer par l’abandon d’une grande partie des bâtiments du site, particulièrement dans la basse-cour où seuls sont encore occupés l’aula (bâtiment I) et un petit bâtiment construit à proximité même de celle-ci durant cette période (bâtiment II). Toutefois, le donjon, sur la plate forme sommitale du dyke, paraît encore ponctuellement utilisé. Le début du XVe siècle marque une dernière étape dans l’histoire du château. Depuis 1399, il a quitté le patrimoine des comtes de Valentinois pour celui de la famille de Montravel, dite aussi l’Hermite de La Faye. À la suite de cette acquisition et dans le contexte de la Guerre de Cents Ans, ceux-ci entreprennent quelques travaux dans le château, essentiellement dans l’aula qui est considérablement réaménagée, le reste du site finissant de sombrer dans la ruine entamée deux siècles plus tôt. L’aula, apparemment dernier bâtiment alors encore en élévation sur le site, reste occupée durant tout le XVe siècle puis est abandonnée définitivement au plus tard au milieu du XVIe siècle. La présence d’une faisselle des XVIe ou XVIIe siècles dans le niveau d’abandon de l’aula pourrait témoigner d’une réutilisation agropastorale temporaire - et précaire - à cette époque. Le site sort ensuite des mémoires... 21 Fig. 17 - Proposition de restitution du site au XIII siècle (dessin : Véronique Bardel) Pierre-Yves LAFFONT Carlat 1997 : idem, « Le château du Mézenc, controverse sur son emplacement : l’apport des textes (XVIIe-XXe siècles) », Les Cahiers du Mézenc, n° 9, 1997, p. 37-44. Cartulaire de Bonnefoy : LEMAÎTRE Jean-Loup, Cartulaire de la chartreuse de Bonnefoy, Paris, Éditions du CNRS, 1990. 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