Une rocca des Xe-XIIe siècles en moyenne montagne.
Premier bilan de cinq années d’enquête
sur le château du Mézenc (Haute-Loire)
Pierre-Yves LAFFONT
Maître de conférences en Histoire et Archéologie médiévales, Université Rennes 2
In memoriam Michel Carlat
A
nticipant sur une publication générale et exhaustive à venir des
travaux menés sur le site du château du Mézenc de 1994 à 2000,
nous souhaitons livrer ici un premier ensemble de résultats,
obtenus tant à la suite de travaux archéologiques que d’une étude
archivistique approfondie. L’enquête sur le château du Mézenc s’intègre à
une enquête plus vaste d’archéologie extensive menée sur les plus anciens
châteaux du Vivarais depuis 19921. Site caractéristique par sa topographie
et de plus bien documenté dès la fin du Xe siècle, le castrum du Mézenc
paraissait tout indiqué pour bénéficier d’une étude approfondie,
notamment sous forme de sondages archéologiques. Ces derniers ainsi que
la documentation écrite nous ont permis, d’une part, de cerner assez
finement la chronologie du site, de la seconde moitié du Xe siècle au XVIe
siècle, et, d’autre part, d’avoir une idée assez précise de son plan et de son
architecture, le tout faisant du château du Mézenc un site particulièrement
significatif du premier âge castral dans les montagnes du Massif central et
plus largement du Languedoc.
imposant dyke de rhyolite - dénommé "Le Chastelas" - dont le sommet
culmine à 1511 m d’altitude. Dans ce secteur du plateau vivaro-vellave, où
l’altitude moyenne oscille autour de 1200-1300 m, l’occupation humaine
ne se développe pas réellement avant le IXe siècle, malgré quelques traces
ponctuelles d’occupations antérieures (Laffont 2002). C’est toutefois dans
un contexte de peuplement bien avéré que prend place la première
mention du site à la fin du Xe siècle dans le cartulaire de l’abbaye
bénédictine voisine de Saint-Chaffre du Monastier (Laffont 1998b). Les
relations étroites, bien que parfois houleuses, entretenues par les seigneurs
du Mézenc avec cet établissement, ainsi que la fondation de la chartreuse
de Bonnefoy à quelques kilomètres du château du Mézenc par le seigneur
de celui-ci au milieu du XIIe siècle, nous permettent de disposer de
données écrites relativement anciennes sur le site et ses occupants.
À environ 30 km à vol d’oiseau du Puy-en-Velay, à la frontière des
départements de la Haute-Loire et de l’Ardèche, le château du Mézenc
appartient aujourd’hui à la commune de Chaudeyrolles (canton de Faysur-Lignon). Pratiquement à mi-chemin entre le chef-lieu de celle-ci et le
chef-lieu de la commune voisine des Estables2, au pied du mont Mézenc
(1754 m), dont il a tiré son nom, le site s’est développé autour d’un
Le château et le lignage du Mézenc :
les origines, Xe-XIIe siècle (fig. 1)
L’apport des sources écrites
_________________________________________________________
Le château et les seigneurs du Mézenc sont attestés dès le dernier quart
du Xe siècle. À cette date, entre 975 et 982 plus précisément, Étienne,
qualifié de « vir nobilis de castro Mezengo », et sa femme Ermengarde
1- Cette enquête a fourni à ce jour, entre autres, la matière d'une thèse (Laffont 1998) et d'un livre (Laffont 2004).
2- Au Moyen Âge, Chaudeyrolles était du diocèse de Viviers et Les Estables du diocèse du Puy.
1
Pierre-Yves LAFFONT
Itier
circa 909-927
Arsinde
Nizier
Gautier
Béraud
939-circa 980
Ermengarde
Itier
vir nobilis de castro Mezengo
circa 950-circa 980
?lignage de Mercœur
(?)
Étienne, miles du Béage
circa 990-circa 1010
Teutburgis
?lignage du Béage
?lignage du Mézenc
domini de Mezengo
1062
Etienne
Jarenton
Bertrand
Pierre
fratres in castro quod
dicitur Misengum
1087-1095
Pierre le Bâtard
Guigue
Pons
Guillaume
milites castri de Misenco
1096
Guillaume
Pons et Bertrand, frères,
seigneurs de Châteauneuf-de-Boutières
?
2
Saura, femme de
Raymond III de Mévouillon
1214
Géraud
Guigue
Pierre de Fay
Pierre le Bâtard
et ses frères
Géraud
Pilans
?
Guillaume Jourdain,
seigneur du Mézenc
1156-† circa 1179
Jarentone, femme de
Pons de Chapteuil
1205-1218
Pierre
Jarenton du Mézenc
1144
Philippa
1197-† apr. 1151
Jocerande, femme de
Pierre Bermond d'Anduze
Aymard II de Poitiers,
comte de Valentinois
† circa 1250
Seignoressa, femme
du dauphin André
Guillaume de Poitiers,
comte de Valentinois
† 1226
Flote de Royans
Aymard III de Poitiers,
comte de Valentinois
Mise au net : Laurent Fiocchi
Matheline de Clérieux
(remariée à Guillaume de
Poitiers, père d'Aymard II)
Pierre Bertrand
Hugues
Fig. 1 - Généalogie des seigneurs du Mézenc
donnent à l’abbaye de Saint-Chaffre un manse situé dans le diocèse du
Puy (Cartulaire de Saint-Chaffre n° CVI). Les seigneurs du Mézenc
semblent avoir pour origine une branche cadette d’une puissante famille,
largement possessionnée au début du Xe siècle en Auvergne, en Velay et en
Vivarais et dont une des branches est à l’origine du célèbre lignage des
Mercœur d’Auvergne dont est issu Odilon, cinquième abbé de Cluny
(994-1049). Nous ne reviendrons que succinctement sur cette famille déjà
étudiée par ailleurs (Lauranson-Rosaz 1987 p. 108-109, 133-135 ;
Framond 2002). Le personnage le plus anciennement mentionné de cette
famille est Itier, puissant propriétaire foncier, qui, dans son testament établi
en 926, remet à la collégiale auvergnate Saint-Julien de Brioude deux
groupes de biens : un premier ensemble de manses en Brivadois et un
second ensemble sur le plateau vivarois autour du lac d’Issarlès et
dans le secteur de La Chapelle-Graillouse (Cartulaire de Brioude
n° CCCLXXVIII). Itier laisse de sa femme Arsinde, quatre fils : Béraud,
père de saint Odilon et ancêtre des seigneurs de Mercœur, Nizier, Gautier
Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc
et Étienne. Il semble que ce soit ce dernier qui ait recueilli pour l’essentiel
la part vivaroise de l’héritage familial. En 955, il cède à l’abbaye vellave de
Saint-Chaffre sept manses tous situés dans le diocèse de Viviers et la
viguerie d’Issarlès (Cartulaire de Saint-Chaffre n° CCLXXVI). Cet
Étienne, fils d’Itier, paraît ne faire qu’un avec le bienfaiteur de SaintChaffre des années 970-980, évoqué ci-dessus.
Les seigneurs du Mézenc ne réapparaissent ensuite dans la
documentation que dans la seconde moitié du XIe siècle. Mais la situation
est alors un peu particulière et le reste durant toute la fin du XIe siècle,
puisque nous avons à faire alors à un véritable groupe aristocratique lié au
château du Mézenc, qualifié tantôt de seigneurs du Mézenc, tantôt de
chevaliers du Mézenc3.
En 1062, les seigneurs du château du Mézenc - Étienne, Jarenton,
Bertrand, Pierre, un autre Pierre, Hugues et Géraud, avec leur femme et
leurs fils - remettent, pour le salut de leur âme, aux bénédictins de SaintChaffre le lieu des Eygaux (Cartulaire de Saint-Chaffre n° CCXXXII.). Il
est impossible d’établir un lien précis entre ceux-ci et Étienne et
Ermengarde qui semblent pourtant être leurs aïeux. Cependant, deux actes
du cartulaire de Saint-Chaffre, passés dans les années 990-1010, par deux
personnages appelés Étienne, liés l’un au château de Chambarlhac et le
second au château du Béage (Cartulaire de Saint-Chaffre nos CCLXXVI,
CLXXXII, CCV), et qui ne sont vraisemblablement qu’un seul et même
individu, permettent peut-être d’établir un degré supplémentaire dans la
généalogie des Mézenc. L’usage du prénom Étienne et le contrôle, au
moins dès le XIIe siècle, des châteaux du Béage et de Chambarlhac par la
famille du Mézenc nous incitent à voir dans Étienne de l’extrême fin du
Xe siècle le fils d’Étienne et d’Ermengarde et le père - ou tout au moins le
parent - de tout ou partie des seigneurs du Mézenc mentionnés dans la
notice de 1062.
La seconde moitié du XIe siècle est marquée par les restitutions faites
par ces derniers aux moines de Saint-Chaffre d’un certain nombre d’églises
du haut plateau vivarois et vellave : église de Sainte-Eulalie en 1079 et de
Saint-Front en 1096 (Cartulaire de Saint-Chaffre nos CCCLXXXIV,
CCXLI). Cette même année 1096, moyennant de nombreuses
contreparties et parce qu’ils partent pour la Terre Sainte rejoindre la
première croisade, les chevaliers du Mézenc parviennent par l’intermédiaire
des évêques du Puy, de Mende et de Viviers à un accord avec l’abbaye de
Saint-Chaffre par lequel ils reconnaissent les droits et biens des moines
dans le mandement du Mézenc4 qu’ils contestaient vraisemblablement
régulièrement (Cartulaire de Saint-Chaffre n° CCCXCVIII).
À la différence du XIe siècle, où l’on mentionne dans chaque acte un
grand nombre de seigneurs du Mézenc, au milieu du XIIe siècle, l’un
d’entre eux - Guillaume Jourdain5 - se distingue et paraît porter seul le
titre de seigneur du Mézenc, même si d’autres personnages ont pour
patronyme « du Mézenc ». En effet, parallèlement à la branche principale
de la famille du Mézenc, dont les filles de Guillaume Jourdain sont les
dernières représentantes, plusieurs branches cadettes, portant comme
patronyme « du Mézenc » et possédant des biens et des droits dans le
château et la seigneurie du Mézenc, sont mentionnées de la fin du XIIe
siècle jusque dans les années 1230, où elles disparaissent à leur tour
(Laffont 1998a, vol. II p. 202 sq). Guillaume Jourdain est indéniablement
le membre du lignage du Mézenc qui nous est le mieux connu grâce aux
textes et notamment grâce au chartrier de la chartreuse de Bonnefoy dont
Guillaume du Mézenc est le fondateur entre les années 1150 et les années
1170 (Carlat 1993a). On sait encore de Guillaume Jourdain qu’il est un
des vassaux immédiats des évêques du Puy. Il est attesté comme tel en 1171
(Baluze 1708, t. II preuves p. 66-68), mais il est possible que cette entrée
en vassalité soit récente6. Comme le laisse supposer le texte de l’hommage
3- Il faut noter que tous les personnages mentionnés dans le cartulaire de Saint-Chaffre au XIe siècle comme seigneurs ou chevaliers du château du Mézenc vont progressivement se fixer sur un des châteaux
mouvant de la seigneurie du Mézenc et donner naissance aux XIIe-XIIIe siècles, aux côtés du lignage du Mézenc, à d'autres lignages aristocratiques de la région : les Châteauneuf-de-Boutières, les
Contagnet... (Laffont 2004). La question des relations précises de ces personnages entre eux et de leurs relations avec le château du Mézenc mériterait un développement complexe hors de propos ici :
s'agit-il d'une coseigneurie, sont-ils des milites castri au service des seigneurs du Mézenc ?
4- Le mandement est l'équivalent au Moyen Âge en Vivarais, comme pour tout le quart sud-est de la France d'ailleurs, de la châtellenie d'autres régions.
5- Contrairement à ce qu'a pu affirmer l'historiographie locale ancienne ou plus récente, Guillaume Jourdain, seigneur du Mézenc, n'a rien à voir avec un autre Guillaume Jourdain, comte de Cerdagne
et neveu de Raymond IV, comte de Toulouse. Il s'agit d'une simple homonymie.
6- Cf. l'article de Martin de Framond dans ce même volume.
3
Pierre-Yves LAFFONT
Un certain nombre de ces châteaux sont eux-mêmes tenus en fief de
Guillaume par des lignages châtelains de rang subalterne. On notera bien
évidemment que le château du Mézenc est exclu de cet hommage, il est
alors dans la seconde moitié du XIIe siècle soit un alleux, soit un fief de
l’Église de Viviers (cf. infra), mais il restera
de toute façon exclu aux XIIIe et XIVe
Beaudiner (?)
siècles de la liste des châteaux hommagés
par les successeurs et héritiers de
Guillaume Jourdain aux évêques du Puy.
Cette absence n’est sans doute pas
anodine...
rendu en 1229 par sa fille et héritière Philippa à l’Église du Puy, Guillaume
Jourdain est vassal de celle-ci pour les châteaux et seigneuries de Fay,
Montréal, Queyrières, Chanéac, Géorand, Contagnet, Fourchades, SaintAgrève et pour partie Chambarlhac, et Châteauneuf-de-Boutières7 (fig. 2).
DIOCÈSE DU PUY
Queyrières
LE PUY
Mt Meygal (1436 m)
Le Lign
on
Montréal
La Loire
Saint-Agrève
Fay
Lac de St-Front
Châteauneuf-de-Boutières
Mt Signon (1454 m)
Abbaye de Saint-Chaffre
La Saliouse
La Gaz
MÉZENC
eille
Mt d’Alambre (1691 m)
Mt Mézenc (1753 m)
Contagnet
Chanéac
L‘E
ysse
4
eux
yri
L‘E
Chambarlhac
Suc de Sara (1520 m)
La
Mt Gerbier de Jonc (1551 m)
Fourchades
Le Béage
Lo
ire
Lac d’Issarlès
Géorand
DIOCÈSE DE VIVIERS
Suc de Bauzon 1474 m
Abbaye de Mazan
L‘A
rdèch
e
Siège épiscopal
N
Château
Établissement monastique
0
5
20 km
Relief majeur
Limite de diocèse
Fig. 2 - Carte des châteaux relevant des seigneurs du Mézenc aux XIe-XIIe siècles
Mise au net : Laurent Fiocchi ; Pierre-Yves Laffont
Chartreuse de Bonnefoy
La femme de Guillaume Jourdain,
Météline, appartient à la puissante famille
dauphinoise de Clérieux ; son prénom,
rare alors en Vivarais et Velay, renvoie à la
famille des vicomtes Trencavel, de Béziers,
dont son père Roger de Clérieux descend
par les femmes (Chevalier 1897, t. I p.
177 note n° 1). De sa femme, Météline de
Clérieux, Guillaume Jourdain ne va laisser
que deux ou peut-être trois héritières, dont
Philippa qui épouse le comte de
Valentinois Aymar II de Poitiers et lui
apporte par sa dot la seigneurie du Mézenc
et les nombreux châteaux en mouvant
ainsi que La Voulte (Ardèche) et une
partie de Clérieux (Drôme) du chef de sa
mère.
La branche principale du lignage du
Mézenc s’éteint donc précocement à la fin
du XIIe siècle dans celui des comtes de
Valentinois. Son ascendance dans
l’aristocratie carolingienne auvergnate,
l’étendue de ses domaines - treize châteaux
sur les confins vivaro-vellaves plus leurs
biens de la vallée du Rhône - ainsi que les
Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc
alliances établies avec plusieurs des plus prestigieux lignages de l’aristocratie
rhodanienne et méridionale, les Poitiers, les Clérieux, les Mévouillon8,
attestent de son importance au sein de l’aristocratie vivaroise et vellave et
plus largement du Languedoc septentrional des XIe et XIIe siècles, et
montrent aussi la vivacité des liens qui unissent ces hauts plateaux du
Massif central à la moyenne et basse vallée du Rhône et au Midi.
Le château du Mézenc et les comtes de Valentinois,
XIIIe-XIVe siècle
La mort de Guillaume Jourdain et le mariage de sa fille Philippa avec le
comte de Valentinois, Aymar II de Poitiers, lie désormais l’histoire du
château du Mézenc, et plus largement des confins du Velay et du Vivarais,
à celle des comtes de Valentinois. À la suite de ce mariage, ce sont donc la
plupart des châteaux du nord de la Montagne vivaroise qui basculent dans
le patrimoine des comtes de Valentinois (fig. 3). Ceux-ci accroissent ainsi
de façon considérable leurs domaines du Massif central et contrôlent dès
lors sur tout son tracé l’importante route reliant la vallée du Rhône au Puy
par Le Pouzin et Mézilhac9. Héritiers des Mézenc, les comtes de
Valentinois deviennent à leur tour vassaux des évêques du Puy. On
conserve à partir de 1229 les hommages rendus aux évêques du Puy par les
comtes de Valentinois successifs pour les châteaux et seigneuries de Fay,
Montréal, Queyrières, Chanéac, Géorand, Contagnet, Fourchades, Le
Béage, Chambarlhac, Châteauneuf-de-Boutières, Saint-Agrève (Lascombe
1882 p. 180, 198). Seul le château du Mézenc reste hors de cet hommage.
En revanche, en 1206, par un acte resté jusqu’à ce jour inconnu des
historiens du Vivarais, c’est l’évêque de Viviers, Brunon, qui en réclame
l’hommage au comte Aymar II de Poitiers au nom de son église (Arch.
dép. Savoie SA 3841). Toutefois, cet hommage paraît sans suite et,
curieusement, le château du Mézenc semble être resté toujours allodial10.
Aymar II, au nom de sa femme Philippa, puis leurs successeurs, conservent
donc la seigneurie directe du château du Mézenc. En revanche, pour les
autres châteaux mouvant originellement de la seigneurie du Mézenc (Fay,
Montréal, Queyrières, Chanéac, Géorand, Contagnet, Fourchades, Le
Béage, Chambarlhac, Châteauneuf-de-Boutières, Saint-Agrève), soit ils en
conservent la seigneurie directe (à Fay par exemple), soit ils les
maintiennent (totalement ou partiellement) inféodés à des lignages locaux.
C’est le cas de Fourchades ou de Contagnet par exemple (Laffont 2004).
Après le mariage en 1293 de Guillaume de Poitiers, fils cadet du comte
Aymar III, avec Luce de Beaudiner, dernière héritière de ce lignage
(Inventaire de Cornillon, Arch. Dép. Loire, Fonds Chaleyer, ms 1555,
n° CXXII), les Valentinois ajoutent encore à leur patrimoine des
montagnes du Vivarais la seigneurie de Beaudiner (Laffont 2004).
Mais à cette date, les Poitiers ne résident plus depuis longtemps dans
leur château du Mézenc. Seule la comtesse Philippa y séjourne encore
ponctuellement au début du XIIIe siècle : ainsi au mois d’octobre 1219, un
acte est passé en sa présence au château du Mézenc et dans sa camera
(Cartulaire de Bonnefoy n° 70). Les résidences privilégiées des comtes de
Valentinois en Vivarais sont alors beaucoup plus à l’est, près de la vallée du
Rhône à Privas ou à Baix (Laffont 2004), et avec la disparition de la
dernière représentante directe du lignage du Mézenc, ce château cesse
d’être une résidence seigneuriale. Et même lorsqu’ils séjournent sur les
hauts plateaux du Vivarais, les comtes de Valentinois ou la branche cadette
de la famille de Poitiers, qui tient la seigneurie du château du Mézenc de
la fin du XIIIe siècle à la fin du XIVe siècle, préfèrent résider dans le castrum
de Fay, mieux situé du point de vue routier et bénéficiant de conditions
climatiques un peu meilleures. Ce château donnera d’ailleurs naissance à
un habitat - l’actuel village de Fay-sur-Lignon - alors que le château du
Mézenc ne donnera naissance à aucun habitat pérenne dans le temps.
Cette impression de délaissement progressif du château du Mézenc est
encore confortée par le fait que lorsque à la fin du XIIIe siècle, la famille
de Poitiers rassemble au sein de deux baronnies tous ses châteaux des
confins vivaro-vellaves, dont le château du Mézenc, ces baronnies sont
7- Sur ceux de ces sites, c'est-à-dire dire la plupart, situés en Vivarais, cf. Laffont 2004.
8- La seconde fille de Guillaume Jourdain, Saura, a épousé Raymond de Mévouillon qui appartient à une des plus puissantes familles provençales du temps (Chevalier 1897, t. I note 1 p. 65-66).
9- Il s'agit d'une route sans doute d'origine antique qui passe notamment par Privas, Mézilhac et Les Estables (Brechon 2000, t. 1 p. 80 sq et t. 2, p. 379 sq). À la fin du Moyen Âge, si la route traverse
le mandement du Mézenc, elle reste toutefois assez loin du château lui-même qui ne peut donc en contrôler directement le trafic.
10- Un temps tenu par une branche cadette de la famille comtale de Valentinois, le château du Mézenc sera certes hommagé par cette dernière, mais à la branche principale de la famille de Valentinois.
5
Pierre-Yves LAFFONT
appelées de « Fay et de Beaudiner » (Arch. dép. Isère B 3542 ; Titres de la
maison ducale de Bourbon n° 1037).
Cœur de la seigneurie du lignage du Mézenc jusqu’à la fin du XIIe siècle,
le château du Mézenc voit après la disparition, en la personne de
Guillaume Jourdain puis de la comtesse Philippa, de la branche principale
de la famille du Mézenc, son prestige décliner rapidement durant le XIIIe
siècle. Il ne sera ensuite plus appelé qu’à jouer un rôle tout à fait secondaire
pour ses seigneurs, exception faite d’une brève “résurrection” au début du
XVe siècle. L’apogée du château du Mézenc correspond donc en fait à ses
deux premiers siècles et demi d’existence, du milieu du Xe à la fin du
XIIe siècle, et ce que nous laissent entrevoir les textes, nous verrons plus
loin que l’archéologie le confirme.
Le château du Mézenc et ses seigneurs du XVe
au XVIIe siècle : un déclin irrémédiable
6
À l’extrême fin du XIVe siècle, les comtes de Valentinois finissent par se
défaire du château et de la seigneurie du Mézenc qui étaient dans leur
patrimoine depuis plus de deux siècles. Le 3 avril 1399, Louis de Poitiers,
comte de Valentinois et de Diois, vend à Guillaume de Montravel, dit
l’Ermite (alias l’Hermite)11, seigneur de La Faye en Auvergne, le château
et la seigneurie du Mézenc sous réserve de l’hommage (Arch. dép. Isère B
3904). Cette famille, qui gravite dans l’entourage des ducs de Bourbon,
comtes de Forez (Titres de la maison ducale de Bourbon nos 3988, 3993,
4095, 4885, etc.), mais cherche aussi à s’implanter sur les contreforts
orientaux du Massif central, paraît alors en pleine ascension. Elle reste
toutefois mal connue et nécessiterait une étude spécifique, les armoriaux
régionaux étant à son propos bien lapidaires, voire contradictoires (Bouillet
1846-1853, t. III p. 25 sq et t. IV p. 301 sq ; Jourda de Vaux 1924-1933,
t. II p. 190). À Guillaume de Montravel succède son fils Jean (Truchard
du Molin 1874 p. 28-32) qui semble avoir remis partiellement en état, au
début du XVe siècle, certains bâtiments du château du Mézenc - ce
qu’atteste par ailleurs l’archéologie. En effet, le 28 juillet 1408, les hommes
de la chartreuse de Bonnefoy font appel d’une ordonnance rendue par le
juge et châtelain du Mézenc, les obligeant à contribuer à une somme de
400 livres qui avait été imposée sur tout le mandement du Mézenc pour
la réparation du château. Les hommes de la chartreuse arguent du fait que
ce château leur est inutile et qu’il est situé sur une montagne inaccessible
et extrêmement froide, et qu’en outre ils sont les hommes liges de la
chartreuse de Bonnefoy. Mais l’année suivante, les hommes des Estables,
paroisse du mandement du Mézenc, consentent quand même à payer à
Jean de Montravel, dit l’Ermite, seigneur du Mézenc, une somme de 120
livres pour l’aider à rebâtir son château (Poncer 1873, t. III p. 84-85). Et
c’est sans doute en 1415 et 1417 qu’il faut placer la concession aux
chartreux de Bonnefoy, faite par un seigneur du Mézenc, non nommé, de
la faculté de se réfugier en temps de guerre au quatrième étage de la tour
du château du Mézenc (Poncer 1873, t. III p. 86). Ces divers actes
montrent que, dès qu’il a pris possession au tournant des XIVe et XVe
siècles du château du Mézenc, le lignage de Montravel, alias l’Ermite de La
Faye, a entrepris des travaux de remise en état et sans doute de fortification
du site. N’oublions pas que nous sommes alors dans le contexte des vastes
travaux de mise en défense du royaume initiés sous Charles V et qui se
prolongent sous Charles VI alors que les montagnes du Massif central sont
parcourues de bandes armées diverses. D’autres places fortes voisines (le
château de Géorand par exemple) font aussi l’objet au même moment de
travaux de fortification (Besson, Michaux 2001 p. 249-250). Jean de
Montravel et son frère Louis étant morts tous les deux sans héritier, leurs
biens, dont le château du Mézenc, passent finalement en mars 1417 à une
de leurs sœurs : Béatrice de Montrevel (Truchard du Molin 1874 p. 55).
Le 21 septembre 1421, celle-ci, qualifiée de dame du Mézenc, confirme un
accord passé en 1284 entre l’abbaye cistercienne de Mazan et le seigneur
du Mézenc à propos de la justice dans divers manses situés dans les
mandements de Fay et du Mézenc. Il est convenu, entre autres choses, que
les hommes de l’abbaye de Mazan ne seront tenus à aucune réparation au
château du Mézenc (Poncer 1873, t. III p. 119). Toutefois, en 1431, les
habitants de divers manses de la paroisse des Estables réclament
l’intervention du bailli royal du Velay, Béatrice de Montravel voulant les
contraindre, ce qu’ils jugent non fondé, à faire le guet au château du
11- La toponymie conservera encore au XIXe siècle le souvenir de cette famille puisque quatre parcelles de la section C du cadastre de Chaudeyrolles de 1827 ont pour toponyme « Las Armites » (Les
Ermites) (État des sections des propriétés bâties et non bâties. Commune de Chaudeyrolles, 1827, Arch. dép. Haute-Loire 3 P 592).
Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc
Mézenc. Celui-ci est d’ailleurs alors présenté comme étant en ruine et
ayant entraîné la mort de plus de trente personnes à la suite de la chute de
matériaux (Poncer 1873, t. III p. 87)12. Le château et la seigneurie du
Mézenc restent dans le patrimoine de cette famille jusqu’au milieu du XVIe
siècle et les seigneurs successifs du Mézenc rendent régulièrement
hommage pour celui-ci au titulaire du comté de Valentinois13. À la fin du
XVIe siècle, puis au début du XVIIe siècle la seigneurie des Estables et du
Mézenc passe entre les mains de diverses familles pour finir entre celles
des Ginestoux, marquis de La Tourette et barons de Chalencon. Et le
23 mars 1620, Just-Henri II de Ginestoux, marquis de La Tourette,
inféode à son tour cette seigneurie aux chartreux de Bonnefoy (Truchard
du Molin 1874 p. 28-32 ; Poncer 1873, t. III p. 96). Ainsi par un curieux
hasard de l’histoire, les chartreux de Bonnefoy deviennent alors seigneurs
du Mézenc, alors que le plus prestigieux d’entre eux, Guillaume Jourdain,
était à l’initiative au XIIe siècle de la fondation de leur maison !
Mais alors, comme le montrent divers documents, le château du Mézenc
est, sans doute depuis longtemps, abandonné et en ruine. En effet, déjà au
milieu du XVIe siècle, le château du Mézenc semble ne plus être qu’un
lieu-dit : le 1er octobre 1560, Jean de Catel, conseiller au Parlement de
Toulouse, commissaire député par le Parlement pour mettre à exécution un
arrêt de celui-ci dans un conflit opposant Antoine l’Ermite, seigneur du
Mézenc, à divers habitants des paroisses de Saint-Front et de
Chaudeyrolles, est conduit par les syndics des habitants dans divers lieux
de la paroisse de Chaudeyrolles dont « Les Imberts », « Titaud » et « Le
Chastel » (Poncer 1873, t. III p. 128-30). La localisation des lieux visités
laisse supposer qu’il s’agit bien du château du Mézenc, mais il ne s’agit
alors plus que d’un lieu-dit. Les données de l’archéologie confortent
l’impression donnée par ce dernier texte en mettant en évidence l’abandon
du site après le XVe siècle ou le début du XVIe siècle.
Les apports de l’archéologie
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Un point de méthodologie
Parallèlement à l’étude de la documentation médiévale et moderne, le
site du château du Mézenc a fait l’objet de quatre campagnes de sondages
archéologiques (1995, 1996, 1998, 2000), précédées d’une campagne de
prospection au sol en 1994. L’objectif était, dès l’origine, non pas de
fouiller l’intégralité du site mais de répondre par un ensemble de sondages
archéologiques (manuels, en raison de problème d’accessibilité) à un
ensemble de problématiques définies au préalable : morphologie du site,
chronologie de son occupation, densité et nature de celle-ci. C’est
pourquoi chaque campagne de travaux a été réalisée en vue de répondre à
un questionnement précis.
La campagne de prospection au sol menée en 1994 avait tout d’abord
pour objectif d'assurer la présence d’un site médiéval au lieu-dit « Le
Chastelas », relief caractéristique situé au pied du Mont Mézenc, susceptible
à notre sens d’avoir porté le château du Mézenc, alors que depuis le XIXe
siècle les historiens locaux débattait sur l’emplacement de ce site, pourtant
bien documenté par ailleurs14. Cette prospection a permis, par la découverte
à la fois de maçonnerie affleurant sous des éboulements, d’éléments
géologiques exogènes en quantité importante mais aussi de céramique et
de fragments métalliques, d’assurer l’existence d’une occupation humaine
ancienne sur le site. Elle a permis aussi de commencer à cerner la
structuration d’ensemble du site, formé d’un énorme pointement
volcanique dominant d’environ 40 m une vaste basse-cour protégée à la
fois par des abrupts naturels et par un fossé creusé dans le substrat.
La première campagne de sondages menée l’année suivante, en 1995,
avait pour but d’explorer archéologiquement le sommet du dyke
volcanique au centre du site ainsi qu’un probable bâtiment de pierre situé
12- Cet acte connu seulement par une analyse du XVIIe siècle est peu clair, il fait allusion au château des Estables, qui me paraît être en fait le château du Mézenc. Mais la question mériterait sans doute
débat.
13- Le Dauphin en 1490 ou Diane de Poitiers en 1551 (Poncer 1873, t. III p. 89 ; Arch. dép. Hérault, registre ex B 8 f° 57 v° sq).
14- Si le château du Mézenc est bien connu de l'historiographie locale au travers de la documentation médiévale et moderne où il est abondamment cité, son emplacement précis est, depuis le XIXe
siècle, source de débats entre les historiens locaux. Cette controverse sur l'emplacement du château du Mézenc a connu des prolongements importants jusqu'à nos jours (Carlat 1993b et 1997). Le dossier
historiographique relatif au château du Mézenc est considérable et mériterait en soi une étude.
7
Pierre-Yves LAFFONT
en contrebas de celui-ci dans la basse-cour. La seconde campagne, en 1996,
a eu pour objectif de poursuivre l’exploration de la plate-forme sommitale
du dyke, d’explorer le secteur oriental de la basse-cour ainsi que la
périphérie immédiate du site au-delà du fossé. La campagne menée en
1998 a permis d’établir une coupe du fossé barrant le site à l’est et de
mettre en évidence la présence d’un rempart maçonné doublant le fossé à
l’intérieur de la basse-cour et d’une construction (une tour ?) dominant le
fossé probablement à un des points d’accès anciens au site. La campagne
2000 avait pour objectif de déterminer les limites occidentales de la bassecour, peu claires, et d’approfondir notre connaissance de la stratigraphie et
de la chronologie de ce même secteur occidental de la basse-cour. Enfin,
en parallèle à ces campagnes a été mis en œuvre un relevé topographique
systématique du site.
143
0
14
50
14
40
14
1511
Bâtiment IV
70
Bâtiments VI-VII
Bâtiment I
0
14
145
(aula)
Bâtiment II
Vue d’ensemble (fig. 4 à 7)
14
60
Le tertre de rhyolite domine donc de plus de 40 m une basse-cour qui
se développe à l’est. Celle-ci, de forme très approximativement ovalaire,
mesure environ 60 m dans sa plus grande extension est-ouest et environ
15- L'appellation locale de ce type de relief volcanique est “suc”.
14
14
1496
fos
sé
80
Structure extérieure “C”
Bâtiment V
Rempart
fossé
N
1490
90
14
L’élément central du château du Mézenc est donc un imposant dyke
volcanique, de rhyolite plus précisément15, culminant à plus de 1500 m
d’altitude. À l’ouest et au nord, il est directement prolongé par de très vives
pentes, couvertes d’importants éboulis, sans doute pour partie naturels et
pour partie anthropiques. Le sommet du pointement est loin d’être
entièrement plat. En effet, celui-ci présente, depuis sa partie sommitale et
jusque dans sa partie médiane, un ensemble d’au moins trois terrasses
successives de plus en plus étroites au fur et à mesure que l’on descend sur
la pente, la plate-forme sommitale du suc, la plus grande, présentant une
surface d’environ 350 m2. Ces terrasses se développent sur la face
occidentale du dyke ; la partie postérieure de celui-ci présente, en revanche,
une falaise droite de près de 40 m de hauteur.
80
70
Bâtiment III
14
8
Emprise du donjon
60
fossé
Associés à la lecture des sources médiévales, les résultats de ces
campagnes de travaux permettent déjà, même si finalement n’a été ouverte
qu’une toute petite surface du site (quelques %), d’appréhender déjà
nettement sa morphologie et sa chronologie.
Trace d’enceinte
0
10
50 m
Fig. 5 - Plan d'ensemble du site
55 m dans sa plus grande extension nord-sud. Elle est protégée, à l’est et
au sud, par un fossé taillé dans le substrat. Ce fossé, étroit et profond au
nord, devient de plus en plus large et de moins en moins profond en
descendant vers le sud. On passe ainsi d’un profil en V à un profil en U.
Au sud-ouest, le fossé a pour l’essentiel disparu à la suite des boisements
effectués depuis le début du XXe siècle. Au nord, la basse-cour est protégée
par une falaise abrupte que surplombe une étroite arête rocheuse. Celle-ci
offre l’avantage de barrer le vent du nord, particulièrement violent et glacial
dans cette région de hauts plateaux. L’arête rocheuse se referme à l’ouest sur
Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc
le dyke, laissant toutefois ouvert un léger espace partiellement élargi de
main d’homme. À proximité de celui-ci, une large encoche creusée dans
le rocher a été découverte. Les quelques traces d’aménagement du rocher
d’ores et déjà mises en évidence dans ce secteur du château posent le
problème de l’accès ancien à la plate-forme sommitale du dyke,
difficilement accessible aujourd’hui. En effet, en raison de l’aspect très
escarpé de ce relief, l’accès à son sommet n’était possible qu’à ce niveau et
il faut très vraisemblablement imaginer des structures de bois (rampe ?)
permettant de passer de la partie la plus haute de la basse-cour au sommet
du dyke. D’autres encoches de poutraison, témoins en négatif d’un chemin
d’accès aménagé, sont certainement encore à découvrir sous la végétation
qui recouvre les parois rocheuses.
Fig. 4 - Vue d'ensemble du site (vue vers le nord).
À gauche, le Chastelas ; à droite la Roche pointue
logiquement et parfois plus ancien que celui des premières unités
stratigraphiques en place.
Pour résumer, le château du Mézenc présente donc le plan classique d’un
vaste château à motte avec tertre, basse-cour et fossé, mais adapté aux
conditions de montagne : les apports de matériaux meubles sont nuls,
le site est entièrement aménagé à partir du relief, bénéficiant du
remarquable potentiel défensif qu’offre celui-ci mais devant aussi s’adapter
aux problèmes de fortes déclivités et de difficile circulation entre point
Fig. 6 - À l'arrière-plan le dyke, en contre-bas de celui-ci la basse-cour protégée par un fossé
que matérialise une ligne de genêts
Enfin, la basse-cour, dont l’altitude moyenne oscille entre 1470 m et
1490 m, montre une très forte déclivité nord-sud ; il existe, en effet, un
dénivelé de près de 25 m entre le point culminant au nord de la bassecour et son point le plus bas au sud. Les bâtiments de la basse-cour se sont
donc étagés selon un système de terrasses approximativement est-ouest,
peu visible aujourd’hui. Ce fort dénivelé n’est pas sans conséquence
archéologique puisqu’il a entraîné le glissement progressif vers le bas de la
basse-cour d’une partie des vestiges de la partie haute, ce qui provoque des
inversions chronologiques assez caractéristiques : le mobilier provenant de
ces unités stratigraphiques de colluvionnement est hétérogène chrono-
Fig. 7 - Vue de la basse-cour depuis le sommet du dyke. À gauche, l'aula en ruine
9
Pierre-Yves LAFFONT
haut et point bas du site. Nous avons ici un exemple tout à fait significatif
de ce qui me paraît pouvoir être désigné sous le nom de rocca/roca : c’està-dire un site semblable aux mottes castrales classiques par sa chronologie
et sa fonction ainsi que par sa topographie d’ensemble, mais différent par
l’escarpement et l’omniprésence du substrat rocher. Cette dernière a
d’ailleurs, comme nous le verrons plus loin, un impact sur les matériaux
de construction des bâtiments du château, nous interdisant, me semble-til, à la différence des mottes, de parler selon la formule classique d’une
« fortification de terre et de bois ». Loin d’être un exemple isolé le château
du Mézenc s’inscrit localement voire régionalement dans une typologie
que l’on perçoit désormais mieux16.
La topographie générale du site cernée, voyons désormais plus en détail
ce qu’il en est de son occupation, tout au moins de ce que les résultats des
sondages réalisés de 1995 à 2000 et des analyses menées en parallèle
(céramologie, archéozoologie, datations 14C) interprétés à la lumière des
sources médiévales nous permettent d’esquisser.
10
Sur la plate-forme sommitale du dyke
Les sondages réalisés en 1995 et 1996 sur la partie la plus élevée de la
plate-forme sommitale du dyke, ainsi que sur une des petites terrasses qui
se développent en contrebas de celle-ci, ont montré à la fois la très grande
érosion des vestiges avec une stratigraphie sur le rocher parfois quasiment
nulle mais aussi la présence d’un certain nombre d’indications qui
permettent une première appréhension de l’occupation du point dominant
du château. Les indices récoltés lors du sondage montrent nettement qu’un
bâtiment, de modestes dimensions, s’élevait sur le sommet du dyke. Cette
construction a été totalement arasée et ne subsiste plus que sous la forme
de traces ténues : nodules de mortier, blocs taillés épars mais hors de leur
contexte géologique, éclats de lauses de phonolite, aménagements rupestres
(saignée...). Par ailleurs, la terre végétale, qui ici recouvre directement le
rocher, a livré un mobilier archéologique relativement abondant : plus
d’une centaine de tessons, des restes de faune, des clous de fer ainsi que
beaucoup de charbon de bois. L’ensemble du mobilier céramique donne
une occupation à placer principalement dans les XIIIe-XIVe siècles.
Cependant, quelques tessons appartiennent à une période antérieure (XeXIIe siècle) alors que d’autres, glaçurés, paraissent dater, quant à eux, du
XVIe siècle.
La comparaison avec des châteaux voisins permet d’imaginer au sommet
du dyke une petite tour maîtresse probablement quadrangulaire17. Celleci devait être accompagnée d’une étroite chemise maçonnée comme le
laissent supposer la présence, sur la périphérie du rocher, des vestiges d’une
assise de maçonnerie et de grosses taches de mortier de chaux. À l’intérieur
de cette chemise se développaient de petites terrasses portant des
bâtiments, comme le montre la découverte dans un sondage sur une des
terrasses les plus proches du sommet des vestiges très arasés d’un mur en
parements et blocage bâti en rhyolite avec quelques rares blocs de phonolite
et de tuf volcanique. Une couche de colluvionnement riche en matière
organique, en éléments de démolition (blocs, éclats de lauses), en
céramique et dans une moindre mesure en restes de faune, et à associer à
l’occupation de la plate-forme sommitale du dyke, recouvrait les vestiges
de ce mur. Le mobilier céramique, relativement homogène, appartient
pour l’essentiel aux Xe-XIIe siècles (formes fermées en pâte à cuisson
réductrice), mais quelques tessons sont aussi attribuables aux derniers
siècles du Moyen Âge (XIIIe-XVe siècles), dont quelques fragments de
trompe d’appel en pâte à cuisson oxydante.
Globalement donc, les informations en notre possession permettent
d’imaginer une occupation du dyke par des bâtiments de pierre
principalement durant les Xe-XIIe siècles, avec le maintien d’une
fréquentation, nettement moins intense toutefois, durant les trois derniers
siècles du Moyen Âge.
La basse-cour
La basse-cour est constituée de terrasses se développant de façon
hélicoïdale autour du dyke, cependant celles-ci sont aujourd’hui
difficilement visibles en raison de leur affaissement. Les sondages réalisés
laissent supposer une occupation dense de toute la basse-cour. Dans l’état
16- Pour d'autres exemples régionaux, cf. par exemple Laffont 2004 ou Ginouvez, Schneider 1988. Le site de Randon, en Lozère, paraît sur de nombreux plans (historiques et archéologiques) très
comparable au château du Mézenc. Son étude scientifique reste toutefois à faire.
17- Cf. Brion, Rochebonne, Rochefort, Seray... (Laffont 2004) ou encore Chapteuil (Saint-Julien-Chapteuil, Haute-Loire).
Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc
actuel des travaux, déjà sept à huit bâtiments ont pu être mis en évidence
avec certitude et un certain nombre d’autres semblent se deviner dans
diverses anomalies microtopographiques. Seul un bâtiment a fait l’objet
d’une fouille exhaustive, les autres ont été appréhendés au travers de
sondages, avec les avantages de cette méthode d’investigation, c’est-à-dire
la possibilité d’explorer rapidement un grand espace, mais aussi avec les
limites de celle-ci... C’est-à-dire une approche très partielle des bâtiments
qui parfois sont simplement “frôlés” par les sondages, d’autant qu’un
certain nombre de sondages ont été guidés au départ par la présence
d’importantes excavations qui nous paraissaient pouvoir correspondre à
l’intérieur de bâtiments effondrés et qui se sont avérées en fait correspondre
à des fouilles “clandestines” (la notion n'a toutefois guère de sens avant
1941...) dont le site a manifestement beaucoup souffert depuis la fin du
XIXe siècle et jusqu’à très récemment...
décorée d’une bande rapportée verticale et d’un fragment de fond bombé
avec arête, permet de dater ce dallage, qui apparaît comme le premier sol
du bâtiment des XIe-XIIe siècles, voire légèrement avant, ce qui
globalement place la construction du bâtiment I dans un horizon
chronologique tournant autour d’un large XIe siècle. L’état 2 est
principalement marqué par l’installation d’un nouveau dallage plus épais
que le précédent et reposant, lui aussi, sur une couche d’argile. La
céramique laisse envisager une datation antérieure au XIIIe siècle pour ce
dallage et donc peut-être le XIIe siècle. L’état 3 correspond à l’extension du
bâtiment vers le nord au XIIIe ou au XIVe siècle. L’extrémité septentrionale
du bâtiment primitif est détruite et on l’étend vers le nord d’environ 8 à
9 m ce qui a pour effet d’encastrer le bâtiment dans le rocher au nord,
Le bâtiment I (fig. 5, 7, 8)
rocher
Au début des travaux, seules les maçonneries d’un bâtiment étaient
visibles dans la basse-cour au pied même du dyke. Un décapage de surface
dans les éboulis sur toute la surface du bâtiment, ainsi qu’un sondage
profond à l’intérieur de celui-ci ont permis d’avancer dans la
compréhension de ce bâtiment I.
Celui-ci semble avoir connu six états successifs du XI siècle jusqu’à son
abandon au XVIe siècle. L’état 1 est caractérisé par un bâtiment dont ne
subsistent actuellement que deux murs. Ce bâtiment primitif possède une
forme quadrangulaire. Si ses dimensions est-ouest (environ 8 m hors
œuvre) sont connues, on sait peu de chose de son extension nord-sud, tout
au plus peut-on affirmer qu’il mesurait au moins 6 m. On ne connaît pas
avec certitude l’accès à ce bâtiment, la porte sud du dernier état ne
semblant pas prendre le relais d’une ouverture plus ancienne. Les murs
ont 1 m d’épaisseur et sont construits en moyen appareil de phonolite lié
par un mortier de chaux. Nous ne connaissons rien de la couverture de ce
premier bâtiment. Au niveau du ressaut de fondation, une couche d’argile
jaune est installée sur le substrat pour obtenir un niveau plan. Sur cette
couche d’argile est établi un remblai de terre noire argileuse (sans mobilier)
servant de lit de pose à un premier dallage peu épais. Le contexte
stratigraphique, ainsi que la présence d’un tesson en pâte noire grossière
11
sondage 3
base d'
un refe
nd en
pierres
sèches
e
reprise
ressaut
rocheu
x
reprise
sondage 1
N
0
5m
Fig. 8 - Plan de l'aula d'après le sondage de 1995
Pierre-Yves LAFFONT
renforçant ainsi la protection contre le froid et le vent. Le bâtiment I
mesure alors environ 15 m x 8 m, hors œuvre, il est établi dans le sens de
la pente et présente, dans son ensemble, un fort pendage puisque l’on
constate une différence de niveau d’environ 5 m entre l’extrémité nord et
l’extrémité sud du bâtiment, un ressaut rocheux divisant d’ailleurs le
bâtiment par le milieu. Un mur de cloison est, peut-être, construit durant
l’état 3, mais il peut aussi appartenir à un état plus récent. Un sondage
montre l’existence dans l’extension nord du bâtiment primitif d’un dallage
recouvert d’un niveau très hétérogène qui est à la fois une couche
d’occupation et d’abandon. La céramique découverte dans ce secteur est
assez homogène et se rattache aux XIIIe et XIVe siècles avec notamment un
pot à cuire de forme globulaire écrasé en place. Mais la présence de certains
tessons de pichets glaçurés pousse l’ensemble du lot plutôt vers le XIVe
siècle.
12
L’état 4 correspond à une phase importante de travaux. Le bâtiment I tel
qu’il se présente aujourd’hui paraît d’ailleurs appartenir, pour l’essentiel, à
cette phase. Dans l’état actuel de nos connaissances, les principaux travaux
ont alors lieu dans la partie basse du bâtiment. La façade méridionale de
celui-ci est doublée (on passe ainsi d’1 m à 1,50 m d’épaisseur) et le mur
pignon est percé pour ménager une porte dont les piédroits et le seuil sont
bâtis en tuf volcanique. L’existence du mur de refend partageant le
bâtiment dans son tiers nord est assurée pour cet état. Parallèlement, un
important remblai, provenant partiellement du curage d’une fosse dépotoir
(innombrables restes de faunes) et portant un niveau de construction
couvre l’ancien dallage. Il est surmonté par une fine couche d’argile,
rubéfiée par endroits, qui peut être interprétée comme un sol de terre
battue, mais aussi comme le lit de pose de l’imposant dallage (dalles
pouvant peser de 80 à 100 kg) qui le surmonte et qui correspond au
dernier sol mis en place dans ce bâtiment. Cette phase de travaux est
datable par la céramique du XVe siècle, ce qui pourrait correspondre aux
travaux attestés par les textes pour ce siècle après le rachat du château par
le lignage de Montravel (cf. supra). Enfin, l’état 5 correspond à
l’occupation du bâtiment aux XVe-XVIe siècles et l’état 6 à son abandon
définitif à la fin de ce siècle ou au début du siècle suivant, après une période
d’usage agropastoral de celui-ci (cf. infra). Les dimensions des maçonneries
ainsi que le volume des éboulis surmontant le bâtiment laissent supposer
que celui-ci pouvait posséder un étage (au moins dans le dernier état), mais
cela reste à confirmer. Enfin, l’existence d’une couverture de lauses de
phonolite n’est assurée pour ce bâtiment que pour les XIVe-XVIe siècles,
mais par comparaison avec d’autres bâtiments du site on peut estimer que
celui-ci a pu posséder une toiture de pierre dès l’origine. Jusqu’à l’époque
moderne, la lause de phonolithe est dans la région la couverture des
constructions présentant une certaine importance (Carlat 1986 ; Borget,
Mergoil 1993).
Le bâtiment I, qui est le plus vaste connu à ce jour sur le site, semble, à
l’évidence, avoir eu une fonction résidentielle importante. À partir du XIIIe
siècle, ce bâtiment ainsi que le petit bâtiment II, immédiatement voisin,
paraissent seuls encore occupés dans la basse-cour. L’architecture,
l’implantation immédiatement au pied du tertre ainsi que la chronologie
du bâtiment I, nous laissent supposer que celui-ci a pu être l’aula du
château, abritant la camera de la comtesse Philippa mentionnée en 1219
(cf. supra).
Le bâtiment II (fig. 5)
Un sondage établi immédiatement à l’est du bâtiment I à quelques
mètres de celui-ci, contre la barre rocheuse qui limite la basse-cour sur
tout son tracé nord, a montré la présence d'une petite construction bâtie
dans l’axe de la pente. Orientée nord-sud, elle est parallèle au bâtiment I.
Le plan d’ensemble et les dimensions de ce qui paraît toutefois être un
bâtiment de petite taille n’ont pu être déterminés en raison de la superficie
réduite du sondage. Cette structure est bâtie en appui contre la barre
rocheuse qui a été retaillée pour former un angle droit contre lequel
s’appuie le bâtiment, de même le substrat rocheux à l’emplacement du
bâtiment a été taillé afin d’aménager une surface relativement plane. Le
bâtiment est limité au nord par un mur, orienté est-ouest, bâti en moellons
bien équarris de tuf volcanique (peut-être en réemplois) avec quelques
blocs de rhyolite, le liant étant difficile à déterminer en raison de l’état de
conservation médiocre du mur. Ce mur, dont il ne subsiste qu’une assise
et qui mesure environ 30 à 40 cm de large, est construit sur un ressaut
aménagé dans la paroi rocheuse. À la limite nord-ouest du sondage, le
ressaut rocheux fait retour vers le sud ; aucune maçonnerie n’est conservée
mais il est probable que le plan du bâtiment effectuait aussi à ce niveau un
retour. Le mur se prolonge aussi vraisemblablement vers l’est en dehors
Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc
du sondage. Le bâtiment II présente une stratigraphie simple et
globalement très peu épaisse (de 70 à 80 cm au maximum). Pour obtenir
un niveau totalement horizontal et rattraper le pendage naturel du rocher,
une importante couche d’argile jaune a été mise en place sur le rocher,
avec un matériau et selon une technique utilisés dans la plupart des
bâtiments du site. Celle-ci est surmontée d’un niveau d’occupation
contenant un peu de démolition (fragments de lause, éclats de phonolite
et de rhyolite) et du cailloutis dans une matrice d’argile brun-jaune avec
ponctuellement des recharges d’argile verte. Enfin, la stratigraphie est
scellée par un niveau d’abandon et de démolition constitué de blocs plus
ou moins gros et d’éclats de lause. Le bâtiment II semble avoir été couvert
de lauses comme en témoigne les nombreux éclats découverts tant dans les
sols que dans le niveau de démolition.
Le mobilier céramique permet d’affirmer que le bâtiment II, dont la
fonction précise n’est pas déterminée, n’est occupé que durant les XIIIeXIVe siècles. La chronologie de ce bâtiment ainsi que sa proximité avec le
bâtiment I laisse supposer qu’il a fonctionné un temps avec celui-ci, sans
toutefois en avoir eu la pérennité.
Les bâtiments III et IIIa (fig. 5, 9)
La basse-cour présentant dans sa frange sud-est un nombre important
d’anomalies microtopographiques pouvant correspondre à des
constructions éboulées, un sondage a été implanté dans la plus importante
d’entre elles, qui prenait l’aspec d’une vaste dépression sub-rectangulaire.
En fait, le sondage a montré que cette anomalie n’est liée que partiellement
à un bâtiment effondré : elle correspond, en réalité, à une fouille ancienne
en partie éboulée. Cette fouille, réalisée à une époque indéterminée et qui
s’avère en fait implantée immédiatement en marge d’un bâtiment (III)
construit en bordure même du fossé, n’a heureusement affecté que des
couches superficielles de colluvionnement. Elle a été arrêtée sur le niveau
supérieur de l’éboulis recouvrant les structures. Outre la mise en évidence
de cette fouille ancienne, le sondage a permis d’exhumer l’angle nord-ouest
d’un bâtiment maçonné de grande taille (bâtiment III) et une construction
(bâtiment IIIa) établie en appentis sur la façade nord de ce bâtiment.
L’implantation du sondage, relativement limitée en surface, n’a autorisé la
mise au jour que de l’angle formé par les façades ouest et nord du
Fig. 9 - Vue du bâtiment III dans le sondage de 1996
bâtiment III. Seuls les parements extérieurs et l’arase supérieure des murs
nord et ouest du bâtiment III ont été dégagés ; celui-ci reste donc
entièrement à fouiller. De plan apparemment quadrangulaire, le bâtiment
III est une construction grossièrement orientée sud-ouest/nord-est,
construite dans l’axe de la pente et parallèlement au fossé, qui est distant
d’une dizaine de mètres. Cette structure est bâtie en petit et moyen
appareils irréguliers de rhyolite, de phonolite et de tuf volcanique avec de
plus gros blocs en chaînage d’angle. Ces murs, relativement bien
parementés, semblent liés à la terre. Ils sont conservés sur un maximum de
cinq à six assises. Le bâtiment présente encore en place le seuil, montrant
de très nettes traces d’usure, d’une porte étroite ouvrant sur la face nord
immédiatement dans l’angle nord-ouest. Le seuil de la porte est en tuf
volcanique de même que l’était le reste de l’encadrement, dont les éléments
ont été découverts éboulés vers le nord à l’intérieur de l’appentis. Ces blocs
permettent peut-être de restituer une porte couverte d’un arc en plein
cintre. Dans un second temps, celle-ci a été obturée par un agglomérat de
petits moellons de rhyolite et de phonolite liés à la terre qui correspond
vraisemblablement à une phase de travaux dans le bâtiment III. Le mode
de couverture de cette construction n’est pas connu. En effet, les lauses de
phonolite découvertes dans le sondage appartiennent à la couverture de
l’appentis (fig. 10). Cependant, on imagine que le bâtiment III a, au moins
un temps donné, eu une couverture de même type que celle de son
appentis, c’est-à-dire une toiture de lauses. Rien ne permet à ce jour de
13
Pierre-Yves LAFFONT
Même si les murs du bâtiment IIIa sont très dégradés, celui-ci apparaît
globalement de médiocre facture par rapport au bâtiment III. Cet appentis
est bâti en moyen appareil irrégulier de rhyolite avec quelques rares blocs
de tuf, l’ensemble étant mal parementé et sans doute lié à la terre. Lors de
la construction du bâtiment IIIa, le rocher a été retaillé et aplani et la
surface de celui-ci a été, selon la technique déjà entrevue dans d’autres
bâtiments du site, recouvert d’une couche dense d’argile jaune-orangée
afin d’établir un sol plan. Le bâtiment IIIa était couvert d’une toiture de
lauses : le sondage a mis en évidence des vestiges de la charpente carbonisée
et la toiture de lauses reposant encore à plat sur celle-ci ; l’ensemble étant
recouvert par les ruines des maçonneries. Ce niveau de démolition a
progressivement été recouvert par d’importantes couches de
colluvionnement liées au glissement dans la pente des vestiges de
constructions situées plus haut dans la basse-cour. Le bâtiment IIIa n’a
connu qu’une courte occupation dans le temps, assez aisément datable.
En effet, le mobilier céramique provenant de la couche d’abandon du
bâtiment, de l’unique couche d’occupation et du niveau de réglage d’argile
est tout à fait homogène ; il appartient, sans que l’on puisse être plus précis,
à la période Xe-XIIe siècle. Par ailleurs, une datation au 14C réalisée sur la
poutraison carbonisée du bâtiment IIIa donne trois pics de probabilité :
1070, 1130, 117018.
14
Le bâtiment IIIa pourrait donc avoir été construit durant la seconde
moitié du XIe siècle avec un abandon dans le courant ou à la fin du XIIe
siècle. Les bâtiments III et IIIa pourraient donc appartenir au premier état
du château du Mézenc et avoir, en tout cas un temps, fonctionné avec le
bâtiment I et les constructions de la plate-forme sommitale du dyke.
Fig. 10 - Toiture de lauses de phonolite effondrée en cours de fouille
dater le bâtiment III par lui-même ; cependant, étant en chronologie
relative antérieure à une structure (bâtiment IIIa) construite au XIe siècle,
la construction du bâtiment III paraît donc à placer, au plus tard, dans ce
siècle. Le bâtiment IIIa établi en appui contre la face nord du bâtiment III
est à ce jour mieux connu que ce dernier puisque le sondage s’est avéré
implanté pour l’essentiel dans cette construction. Seul le mur est du
bâtiment IIIa est connu. Au sud, la construction s’appuyait sur le bâtiment
III ; au nord et à l’ouest, la structure semble s’étendre au-delà du sondage.
Le bâtiment IV (fig. 5)
Les deux sondages mitoyens conduits en 1995 et 2000 dans une zone
d’éboulis grossièrement quadrangulaire légèrement en contrebas du dyke,
au sud-est de celui-ci, ont montré que ces éboulis ne sont pas, à la
différence des pierriers situés au pied de la face occidentale du rocher, liés
à un phénomène de désagrégation naturelle du rocher, mais qu’ils
correspondent à des vestiges archéologiques présentant des structures et
une stratigraphie relativement complexes que les dimensions limitées du
18- Centre de datation par le radiocarbone, Université Lyon I, code laboratoire : Ly-8414?
Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc
sondage rendent toutefois parfois difficiles à interpréter. Les structures qui
forment le bâtiment IV - il conviendrait plutôt de dire l’espace bâti IV sont établies en rebord d’une des terrasses structurant la basse-cour et c’est
d’ailleurs le seul secteur du site où celles-ci ont pu être archéologiquement
appréhendées. Sur cette terrasse, constituée d’un fort remblai, on rencontre
un premier niveau d’occupation riche en mobilier céramique et métallique,
les maçonneries qui fonctionnent avec ce niveau ne sont pas connues en
raison des limites du sondage, toutefois les traces d’une couche de travail
qui doit correspondre à la construction de celles-ci ont pu être
ponctuellement mises en évidence. Sur ce premier niveau d’occupation
s’installe un petit mur de pierre essentiellement constitué de deux
parements, peut être liés à la terre (0,80 m de largeur), et qui fonctionne
avec un dallage. Un second mur de pierre (0,90 m de largeur), peut-être
lié au mortier de chaux et en lien possible avec un sol d’argile qui a livré
du mobilier céramique, métallique et faunique, semble contemporain du
précédent même s’il ne paraît pas pourtant appartenir au même bâtiment.
Après leur démolition, ces murs ont ensuite été recouverts d’un sol de terre
battue et d’une couche d’occupation avec un foyer. Toutefois les
maçonneries qui fonctionnaient avec ce sol nous sont là encore inconnues
en raison de l’étroitesse du sondage. Tous ces niveaux ont livré de la
céramique typologiquement homogène que l’on peut attribuer aux XeXIIe siècles avec de très fortes présomptions pour la période des Xe-XIe
siècles. Deux datations 14C viennent confirmer et préciser les datations
typochronologiques données par la céramique : la première faite sur un
charbon de bois prélevé dans le niveau de travail donne comme âge calibré
899-1020 avec un maximum de probabilité dans les années 988-1015 ; la
seconde datation, faite sur un charbon de bois provenant du plus ancien
niveau d’occupation mis en évidence, donne un âge calibré de 984 à 1032
avec un maximum de probabilité autour des années 1005-101919. Si l’on
croise ces deux datations, le premier bâtiment de ce secteur pourrait donc
avoir été bâti dans les années 1000-1010.
Les éléments encore en place dans l’espace bâti IV montrent donc une
évolution complexe dans un laps de temps relativement court, puisque
toutes les datations placent celle-ci dans un grand XIe siècle avec des
travaux dès le tout début du XIe siècle, c’est-à-dire dans les premières
décennies du château.
Fig. 11 - Vue du bâtiment V dans le sondage de 1998
Le bâtiment V (fig. 5, 11)
Ce bâtiment a été mis au jour lors de la campagne de sondages de 1998.
Il occupe l’angle nord-ouest de la basse-cour à l’extrémité orientale de la
barre rocheuse dominant celle-ci. Il est établi immédiatement en surplomb
du fossé, qui est très marqué dans ce secteur, et du fort à-pic naturel
protégeant le site au nord. Le bâtiment, dont aucun vestige n’était apparent
avant la fouille malgré une très légère anomalie microtopographique,
mesure environ 6,70 m x 10 m, hors œuvre, et présente un plan en U,
ouvert vers le sud et la basse-cour. Si le mur ouest n’est conservé que sous
forme d’éboulis, en revanche, les murs nord et est (environ 1,20 m de
large) présentent encore plusieurs assises de phonolite liées au mortier de
chaux. Celui-ci est toutefois, comme dans la plupart des bâtiments du site,
extrêmement dégradé et ne subsiste que sous la forme de dépôts résiduels
d’arène granitique. Un large poteau dont subsiste le négatif creusé dans le
rocher palliait l’absence de mur porteur au sud. Le bâtiment était couvert
de lauses de phonolite comme le montrent quelques fragments découverts
en cours de fouilles ; cette couverture semble toutefois avoir fait l’objet
d’un démontage soigneux après l’abandon du bâtiment. Deux importants
fragments carbonisés de volige en sapin blanc, présentant des traces de
forte compression, confirment la nature de la couverture utilisée20.
19- Centre de datation par le radiocarbone, Université Lyon I, codes laboratoire : LY-11176 et LY-9636.
20- Analyse anthracologique : Aline Durand (Université Aix-Marseille 1).
15
Pierre-Yves LAFFONT
Le sol pourrait avoir été constitué dans la partie nord du bâtiment d’un
remblai argileux et caillouteux et dans la partie sud d’un dallage très
largement disparu aujourd’hui. Un abondant mobilier céramique,
chronologiquement très homogène, ainsi qu’une datation 14C place la
construction et l’utilisation de ce bâtiment entre le milieu du XIe siècle et
la fin du XIIe siècle, ou le tout début du XIIIe siècle au plus tard21. Outre
la céramique, la fouille du bâtiment a fourni un mobilier métallique
important lié aux activités militaires (carreaux d’arbalète) et équestres (fer
16
Fig. 12 - Vue des bâtiments VI et VII dans le sondage de 2000
à cheval, clous de fer à cheval). La situation topographique de ce bâtiment,
en surplomb du fossé et sans doute de l’accès ancien au site, ainsi que sa
morphologie peuvent lui laisser attribuer peut-être une fonction de tour
défensive, même s’il ne paraît pas lié à des courtines.
Les bâtiments VI et VII (fig. 5, 12)
À peu de distance du bâtiment IV, dans l’angle sud-ouest de la bassecour et à proximité du fossé, a été mis en évidence l’existence de deux
autres bâtiments (VI-VII), établis dans une zone très perturbée par des
fouilles anciennes. Celles-ci ont laissé de vastes dépressions qui ont
fortement troublé l’implantation du sondage réalisé dans ce secteur en
2000. En effet, ce dernier s’est révélé être implanté non pas dans un
bâtiment mais en limite de deux bâtiments successifs, toutefois pour
l’essentiel à l’extérieur de ceux-ci. Le plus ancien (VI), approximativement
orienté nord-sud, est connu par un angle de maçonnerie formé de deux
murs de rhyolite liée au mortier de terre. Les quelques mètres carrés qui ont
pu être fouillés présentent une stratigraphie simple montrant une durée
d’utilisation relativement courte. Ils ont livré une très grosse quantité de
mobilier archéologique et principalement de la céramique très homogène
et appartenant à la période des Xe-XIIe siècles. Le charbon de bois s’est
avéré aussi très abondant puisque semble encore conservée, effondrée sur
place, une bonne part de la charpente carbonisée du bâtiment. Une
datation 14C effectuée sur un échantillon provenant de cette charpente
donne un âge calibré de 900 à 1019 avec un maximum de probabilité
autour des années 987-101522, ce qui coïncide d’ailleurs tout à fait avec les
datations obtenues pour l’espace bâti IV. Il est difficile de dire quelque
chose du bâtiment plus récent (VII) qui n’est matérialisé que par un angle
de murs en saillie dans la limite nord-est du sondage. Tout au plus peuton dire que ces maçonneries, elles aussi de pierre, appartiennent à un
bâtiment stratigraphiquement plus récent que le VI.
21- Centre de datation par le radiocarbone, Université Lyon I, code laboratoire : LY-9540. Le 14C
donne trois pics de probabilité : 1215, 1130, 1070. La céramique tire plutôt la datation vers le
haut.
22- Centre de datation par le radiocarbone, Université Lyon I, code laboratoire : LY-11175
Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc
Le fossé et ses abords extérieurs (fig. 5)
Un vaste sondage réalisé en juillet 1998 perpendiculairement au fossé,
dans le secteur où il apparaissait le plus nettement, a permis de préciser
l’aspect de celui-ci et de mettre en évidence la présence d’un mur d’enceinte
le bordant vers l’intérieur. Le fossé est creusé dans le substrat et présente un
profil grossièrement en V. Il mesure environ 13 m de large au sommet et
apparaît assez peu profond, puisqu’il possède une profondeur maximale
d’environ 1,80 m. La face extérieure du fossé, la contrescarpe, est
soigneusement tapissée d’argile afin d’atténuer les irrégularités du rocher et
de présenter une pente à peu près régulière. La face intérieure du fossé,
l’escarpe, présente quant à elle un talutage maçonné qui dans ses élévations
au-delà du niveau du fossé joue le rôle de mur d’enceinte doublant le fossé
du côté de la basse-cour. Ce rempart n’était visible avant la fouille que sous
forme d’anomalies topographiques et phytologiques (longue bande
rectiligne de bruyère) ; il a pu être dégagé sur plusieurs mètres de longueur.
Il apparaît cependant extrêmement dégradé, notamment en raison de
fouilles clandestines qui ont déchaussé une partie du parement extérieur. Le
mur d’enceinte et son prolongement en talutage du fossé sont bâtis en
appareil irrégulier de phonolite lié par un mortier de chaux mal conservé.
Le fossé s’est avéré relativement pauvre en mobilier archéologique, ce qui
est peu commun pour un type de structure faisant habituellement office de
dépotoir. Toutefois, il est vrai que le sondage a été implanté dans la partie
la plus haute du site, le fossé présente là un fort pendage vers le sud qui a
dû se traduire par un très important ruissellement.
À proximité immédiate du fossé, mais hors de la basse-cour, une
prospection menée lors de la campagne de 1995 avait montré la présence
d’une petite structure construite (dite « structure C ») qui avait alors livré
quelques tessons médiévaux. Il a été décidé, lors de la campagne de 1996,
d’effectuer une fouille partielle de cette structure afin d’obtenir quelques
informations sur son plan, sa chronologie et sa fonction. Si l’on a pu
répondre aux deux premières questions, la dernière reste encore sans
réponse précise. Cette structure se situe à environ une vingtaine de mètres
au-delà du fossé, sur la limite extrême au nord de plantation de la forêt
domaniale. Cette structure a donc été, comme toute la portion
méridionale du fossé, très perturbée par le boisement effectué au début du
XXe siècle. Elle adopte la forme d’une cuvette très grossièrement circulaire,
son extension maximale étant d’environ 4 m dans le sens nord-sud et
d’environ 4,50 m dans le sens est-ouest pour une profondeur maximale
d’environ 1,20 m. La cuvette a été ménagée dans le rocher : à l’est et au
nord, les parois sont formées par le substrat retaillé ; à l’ouest, elle est
fermée par un amas de petits blocs de phonolite sans aucun liant. La
cuvette se prolonge au sud au-delà de la limite de fouille. Les parois et le
fond de cette cuvette sont soigneusement tapissés d’argile jaune-orangée
comme les autres bâtiments du site. Le remplissage de la cuvette a livré
quelques rares fragments de blocs (tuf volcanique, rhyolite, phonolite) et
quelques dizaines de tessons attribuables à la période des Xe-XIIe siècles. La
fonction de cette structure reste à déterminer : un habitat semi excavé du
type fond de cabane paraît toutefois le plus probable. Il est vraisemblable
que d’autres structures identiques, ayant peut-être appartenu à un habitat
paysan, aient existé en périphérie du site castral. Toutefois, les plantations
contemporaines de résineux laissent dubitatifs sur l’état de conservation de
celles-ci et sur la possibilité de les repérer en prospection.
Enfin, quelques tessons de céramique médiévale et des fragments
métalliques (clou ?) ont été découverts sur les flancs de la Roche pointue23,
pointement volcanique situé immédiatement à l’est du Chastelas à environ
400 m de celui-ci. Ce sont à ce jour les seuls indices d’une occupation de
ce relief et il est actuellement hors de proportion d’évoquer un second pôle
castral centré sur la Roche Pointue. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de
songer, sur le modèle des mottes castrales doubles dont il existe de
nombreux exemples24, à une rocca double. Un autre site du voisinage, le
château de Contagnet, s’articule de la même façon autour de trois
pointements volcaniques voisins25. Un lien pourrait être établi avec le
phénomène de la coseigneurie très présent en Vivarais (Laffont 2000).
23- Prospections de Pierre-Yves Laffont et de René Liabeuf (SRA Auvergne). Le site sert actuellement de rocher d'escalade et connaît donc une forte érosion.
24- Cf. l'exemple de Rochefort-en-Valdaine dans la Drôme où une seconde motte rupestre occupe la même échine rocheuse que la motte fouillée par Michèle Bois (Châteaux de terre 1987 p. 55 sq).
Cf. aussi dans un autre contexte géographique, mais pour des périodes voisines et pour des sites à la fonction tout à fait identique, les nombreuses mottes doubles voire triples des Flandres (Lefranc
1976).
25- Dans le cadre de notre DARA (Laffont 2004), nous n'évoquions qu'un seul de ces pointements, or des prospections récentes ont montré que les deux tertres volcaniques voisins avaient aussi connu
une occupation médiévale.
17
Pierre-Yves LAFFONT
Le mobilier archéologique
___________________________________________________________
La céramique
Les trois campagnes de fouilles ont entraîné la mise au jour d’un
mobilier archéologique relativement abondant : céramique, métal, verre et
restes de faune. Le mobilier céramique s’est avéré, évidemment, de loin le
plus abondant et près de 4000 tessons ont été récoltés lors des sondages26.
La céramique découverte sur le site présente l’intérêt d’être dans sa très
grande majorité homogène typologiquement et chronologiquement. Elle
appartient pour l’essentiel (de 80 à 100 % selon les secteurs du site) à la
période des Xe-XIIe siècles et se caractérise par des poteries cuites en
atmosphère réductrice (pâte noire ou grise) et sans glaçure (fig. 13). Les
18
formes essentiellement représentées sont, ce qui est commun pour ces
périodes du Moyen Âge, les pots à cuire et les pots à liquide. Les décors,
peu nombreux, sont obtenus soit par des cordons digités, soit par le passage
d’une molette avant la cuisson. On notera la présence de quelques
fragments de poterie dite à “fonds marqué”, caractéristique des
productions céramiques des environs de l’an mil en Lyonnais et en
Dauphiné (Des Burgondes à Bayard p. 111-114) et dont on ne connaissait
qu’un exemplaire aussi loin vers l’ouest avant cette découverte27. Les tessons
appartenant aux trois derniers siècles du Moyen Âge sont rares et ont, pour
l’essentiel, été découverts dans le grand bâtiment résidentiel situé
immédiatement au pied du tertre (bâtiment I), dans le bâtiment II qui le
jouxte et sur le dyke. Cette poterie se caractérise principalement par des
poteries cuites en atmosphère oxydante (pâte orangée à beige) et parfois
glaçurées. Parmi les formes reconnues, on trouve des pots à cuire et des
pots à liquide, notamment des pichets. Le site a par ailleurs livré, sur la
plate-forme sommitale du dyke, des fragments de trompe d’appel en
céramique. Enfin, les couches d’abandon du bâtiment I ont fourni
quelques fragments d’un bol à oreillettes du XVIe ou du XVIIe siècle percé
après coup de trous pour en faire une faisselle (fig. 14).
Fig. 14 - Bol à oreillettes (XVIe ou XVIIe siècle) percé de trous pour en faire une faisselle
(dessin M.-N. Baudrand)
Fig. 13 - Mobilier céramique. 1) : lèvre en bandeau avec décor à la molette sur le haut de la
panse, Xe-XIIe siècle ; 2) : lèvre en collerette, Xe-XIIe siècle ; 3) : lèvre évasée, Xe-XIIe siècle ;
4) : fond marqué, Xe-XIe siècles (dessin M.-N. Baudrand)
26- L'analyse du mobilier céramique a été faite avec les conseils éclairés d'Élise Boucharlat
(Ministère de la Culture, SDArchétis).
27- Cf. TIXIER Luc, « Contribution à l’étude de la céramique médiévale : à propos d’un vase à fond
marqué d’un signe cruciforme conservé au Musée du Puy-en-Velay », Cahiers de la Haute-Loire,
1978, p. 129-134. La présence, un peu extraordinaire, de ces tessons pourrait être liée aux relations
existant entre le lignage du Mézenc et le lignage dauphinois de Clérieux, dont la seigneurie
éponyme est en plein dans la zone d'utilisation de ce type de céramique. Les seigneurs du Mézenc
sont de toute façon plus tournés vers la vallée du Rhône que vers l'intérieur du Massif central.
Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc
Le verre
Le métal (fig. 15 et 16)
Le verre découvert appartient à la fin du Moyen Âge et est très peu
abondant. Il se résume pour l’essentiel à huit fragments de panse et un
fragment de col, mis au jour dans le bâtiment I. Ces tessons de verre
présente un bon état de conservation. Présentant une légère teinte verte,
ils possèdent différents décors de discrètes alvéoles obtenus par soufflage
de la pièce dans un moule. Ces fragments, difficilement datables par euxmêmes en l’absence de forme, ont été découverts dans un contexte des
XIIIe-XIVe siècles.
Les objets métalliques découverts sur le site du Chastelas sont
caractéristiques des sites castraux de la période centrale du Moyen Âge et
renvoient principalement aux activités militaires et équestres28. On recense
ainsi un certain nombre de carreaux d’arbalètes, de taille et de morphologie
variées, des anneaux (de cote de maille ?) en alliage cuivreux, des fers à
cheval ainsi que de nombreux clous de ferrage, un fragment d’éperon, mais
aussi des éléments de harnachement parfois en bronze. Quelques objets
renvoient aux activités artisanales : lames de couteau, outils ou fragments
d’outil (on retiendra notamment une paire de ciseaux du XVe ou du XVIe
siècle découverte dans le bâtiment I). Certains renvoient à la construction
ou à l’équipement domestique : clous de menuiserie et de charpente,
gonds... Par ailleurs, des anneaux, une boucle de ceinture, un large ardillon
19
Fig. 15 - Mobilier métallique et osseux (Xe-XIIe siècle). 1 à 5) : carreaux d'arbalète ; 6) élément
de harnachement ; 7) clou de chaussure (?) ; 8) agrafe en tôle de bronze dorée ; 9) ardillon de
ceinture en tôle de bronze dorée ; 10) anneau en fer ; 11) battant de sonnaille en os (?).
(dessin M.-N. Baudrand)
Fig. 16 - Mobilier métallique : fers d'équidés, clous de ferrage, fragment d'éperon
(dessin M.-N. Baudrand)
28- Des comparaisons tout à fait pertinentes peuvent être établies avec le site dauphinois de Colletières à Charavines, référence pour le mobilier aristocratique du XIe siècle (Colardelle, Verdel 1993).
Pierre-Yves LAFFONT
de ceinture en tôle de bronze dorée évoquent le costume masculin. On
notera toutefois qu’aucune monnaie médiévale n’a été découverte lors de
ces sondages.
Les restes de faune
Quantité et état de conservation des restes de faune se sont avérés très
variables d’un sondage à un autre pour des raisons climato-pédologiques29.
Une première étude de ceux-ci a toutefois pu être confiée à Vianney Forest
(INRAP). Elle montre que les occupants du château du Mézenc
consommaient, ce qui est classique, du porc, du bœuf, des ovicaprinés
(moutons pour l’essentiel et peut-être chèvres) et des volailles, alors que la
faune sauvage est quasiment inexistante parmi les restes découverts en
fouille. La période la plus ancienne du site montre une prédominance du
couple bovin-porcin, les ovins s’imposant ensuite, ce qui est assurément à
lier au très fort développement de l’élevage ovin spéculatif par les
seigneuries monastiques, et dans une moindre mesure laïques, à partir du
XIIIe siècle.
20
Pour conclure…
______________________________________________________________________________________
Après les quatre campagnes de sondages de 1995, 1996, 1998 et 2000
et une enquête approfondie dans les sources écrites médiévales et
modernes, il est donc d’ores et déjà possible d’avancer un certain nombre
d’hypothèses sur le château du Mézenc (fig. 17).
Celui-ci pourrait avoir été fondé vers le milieu du Xe siècle30 par une
branche cadette d’une famille de puissant latifundiste du sud du Massif
central - les ancêtres des Mercœur - établie sur les domaines vivarois de
celle-ci. Les conditions qui ont présidé au choix d’un site aussi
contraignant d’un point de vue climatique pour en faire le centre de leur
seigneurie restent à ce jour peu claires. Elles prennent assurément en
compte plusieurs facteurs : des contraintes proprement patrimoniales et
domaniales voire politiques31, qui nous échappent largement faute de
documentation ; des considérations géographiques (ouverture à la fois sur
le plateau vellave et Le Puy, d’une part, sur le Vivarais et par-delà la vallée
du Rhône, d’autre part) et routière et, enfin, sûrement, des considérations
d’ordre topographique avec la présence d’un site offrant un bon potentiel
défensif et aisément aménageable, selon les critères du temps, en motte
castrale. De celle-ci, le château reprend le plan d’ensemble mais la
réutilisation maximale des potentialités du relief en fait plus une rocca
qu’un château à motte classique. Le site est constitué d’un énorme
pointement volcanique dominant une vaste basse-cour, protégée à la fois
par un large fossé sec, un mur d’enceinte, et une barre rocheuse naturelle.
La basse-cour présentant un fort pendage nord-sud, les constructions
qu’elle abrite s’étagent en terrasses. Comme l’attestent la documentation
écrite, les données céramologiques et les datations 14C, l’occupation
principale du site paraît se placer entre le milieu du Xe siècle et la fin du
XIIe siècle. Le château du Mézenc est alors le centre d’une vaste seigneurie
féodale dans la mouvance de laquelle gravitent près d’une douzaine de
châteaux. Durant ces deux siècles, le château apparaît constitué des
éléments suivants32 :
- au sommet du dyke, un petit donjon accompagné d’une chemise
maçonnée englobant diverses constructions ;
- en contrebas de celui-ci, dans la basse-cour, une aula ;
- dans le reste de la basse-cour divers bâtiments disposés sur des terrasses.
Six à sept d’entre eux ont à ce jour été repérés par les sondages, mais des
indices laissent supposer la présence d’autres bâtiments ;
- par ailleurs, une occupation en périphérie du site (pointement de la
Roche Pointue, fond de cabane près du fossé) est attestée.
Durant cette période, les constructions du château possèdent déjà des
maçonneries de pierre (rhyolite et phonolite pour les murs ; tuf volcanique
et granite pour les encadrements ou dans les murs en réemploi) liées à la
29- De ce fait aussi les outils en os, pourtant relativement fréquents sur ce type de site, sont ici quasi inexistants.
30- Il convient d'insister sur le fait qu'il n'y a absolument aucune trace d'une occupation humaine antérieure au Xe siècle sur le site du Chastelas. La présence, régulièrement réaffirmée depuis l'érudit
vellave du début du XXe siècle Albert Boudon-Lashermes, d'une occupation "gauloise" sur ce site apparaît absolument sans aucun fondement sérieux.
31- Le site est sur la frontière des comtés de Velay et de Vivarais, des diocèses du Puy et de Viviers, et un temps donné sur la frontière entre royaume de Bourgogne et Aquitaine (Laffont 2006).
32- Il est à noter que pour cette période du site, comme pour les suivantes d'ailleurs, aucun indice, ni documentaire, ni archéologique, ne permet d'évoquer la présence d'une chapelle sur le site. Nous
pensons même, en replaçant le château du Mézenc dans le corpus des 180 sites que nous avons plus largement étudiés, que celui-ci n'a sans doute jamais possédé de lieu de culte.
Une rocca des Xe-XIIe siècles : le château du Mézenc
terre ou au mortier de chaux. Le substrat est abondamment retaillé pour
recevoir les bâtiments, la pose d’un lit d’argile achevant de donner un sol
plan à l’intérieur des bâtiments. La couverture alors en usage paraît déjà
être la lause de phonolite.
La fin du XIIe siècle marque un tournant fondamental pour le site : la
disparition de la branche principale des seigneurs du Mézenc, qui s’éteint
dans le lignage des comtes de Valentinois, engage un déclin irréversible du
château, qui devient désormais une seigneurie tout à fait subalterne dans
le patrimoine des comtes sur la rive droite du Rhône. Localement, lui est
même préféré au XIIIe siècle le petit castrum (au sens méridional du terme)
de Fay-sur-Lignon, mieux situé du point de vue des axes routiers irriguant
la région à la fin du Moyen Âge (Brechon 2000, t. 2 p. 217 sq), pour
devenir le centre de la baronnie regroupant les domaines des Valentinois
sur le plateau vivaro-vellave. Les XIIIe-XIVe siècles paraissent marquer par
l’abandon d’une grande partie des bâtiments du site, particulièrement dans
la basse-cour où seuls sont encore occupés l’aula (bâtiment I) et un petit
bâtiment construit à proximité même de celle-ci durant cette période
(bâtiment II). Toutefois, le donjon, sur la plate forme sommitale du dyke,
paraît encore ponctuellement utilisé.
Le début du XVe siècle marque une dernière étape dans l’histoire du
château. Depuis 1399, il a quitté le patrimoine des comtes de Valentinois
pour celui de la famille de Montravel, dite aussi l’Hermite de La Faye.
À la suite de cette acquisition et dans le contexte de la Guerre de Cents
Ans, ceux-ci entreprennent quelques travaux dans le château,
essentiellement dans l’aula qui est considérablement réaménagée, le reste
du site finissant de sombrer dans la ruine entamée deux siècles plus tôt.
L’aula, apparemment dernier bâtiment alors encore en élévation sur le site,
reste occupée durant tout le XVe siècle puis est abandonnée définitivement
au plus tard au milieu du XVIe siècle. La présence d’une faisselle des XVIe
ou XVIIe siècles dans le niveau d’abandon de l’aula pourrait témoigner
d’une réutilisation agropastorale temporaire - et précaire - à cette époque.
Le site sort ensuite des mémoires...
21
Fig. 17 - Proposition de restitution du site au XIII siècle (dessin : Véronique Bardel)
Pierre-Yves LAFFONT
Carlat 1997 : idem, « Le château du Mézenc, controverse sur son
emplacement : l’apport des textes (XVIIe-XXe siècles) », Les Cahiers du
Mézenc, n° 9, 1997, p. 37-44.
Cartulaire de Bonnefoy : LEMAÎTRE Jean-Loup, Cartulaire de la
chartreuse de Bonnefoy, Paris, Éditions du CNRS, 1990.
Bibliographie
______________________________________________________________________________________________
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d’Auvergne justifiée par chartes, titres, histoires anciennes et autres preuves
authentiques, Paris, chez A. Dezallier, 1708, 2 vol.
Besson, Michaux 2001 : BESSON Charles, MICHAUX Anne-Marie, « Au
XVe siècle, la rénovation des fortifications et la fin de la Guerre de 100
dans la montagne du Vivarais », Revue du Vivarais, 2001, p. 249-250.
22
Borget, Mergoil 1993 : BORGET Jean-Noël, MERGOIL Jean, « Pierres
volcaniques du Velay et du Haut-Vivarais : diversité des roches et des
usages, lieux d’extraction et d’utilisation », dans Carrières et Constructions
(actes du 117e Congrès national des Sociétés savantes, Clermont-Ferrand,
1992), Paris, Editions du CTHS, 1993, p. 323-336.
Cartulaire de Brioude : BAUDOT Anne et Marcel, Le grand cartulaire du
chapitre Saint-Julien de Brioude, essai de restitution du Liber de Honoribus
Sancto Juliano collatis, Clermont-Ferrand, Imp. Générale de Bussac, 1935.
Cartulaire de Saint-Chaffre : CHEVALIER Ulysse, Cartulaire de l’abbaye
de Saint-Chaffre du Monastier, ordre de Saint-Benoît, suivi de la chronique
de Saint-Pierre du Puy et d’un appendice de chartes, Paris, A. Picard, 1884.
Châteaux de terre 1987 : Châteaux de terre : de la motte à la maison forte
(catalogue d’exposition), Lyon, 1987.
Chevalier 1897 : CHEVALIER Jules, Mémoires pour servir à l’histoire des
comtés de Valentinois et de Diois, Paris, A. Picard, 1897-1906, 2 vol.
Bouillet 1846-1853 : BOUILLET Jean-Baptiste, Nobiliaire d’Auvergne,
Clermont-Ferrand, Imprimerie de Pérol, 1846-1853, 7 vol.
Colardelle, Verdel 1993 : COLARDELLE Michel, VERDEL Eric (dir.),
Les habitats du lac de Paladru (Isère) dans leur environnement. La formation
d’un terroir au XIe siècle, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de
l’Homme, DAF n° 40, 1993.
Brechon 2000 : BRÉCHON Franck, Réseau routier et organisation de
l’espace en Vivarais et sur ses marges au Moyen Âge, Doctorat, Université
Lumière - Lyon 2, 2000, 2 t. en 4 vol.
Des Burgondes à Bayard : COLARDELLE Michel, REYNAUD Jean-François
(dir.), Des Burgondes à Bayard, mille ans de Moyen Âge : recherches
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Pierre-Yves LAFFONT
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