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7 Le cimetière Bronze final IIb/IIIa de Dolving (Moselle, France) Le cimetière Bronze inal IIb/IIIa de Dolving (Moselle, France) : entre sépultures banales et sépultures privilégiées Dimitri M1, avec la collaboration de Vianney R2 et Amélie P3 En 2008, le Service régional de l’Archéologie de Lorraine prescrit la réalisation d’une fouille archéologique sur les communes de Sarraltroff et Dolving (Moselle). Cette opération s’inscrit dans le cadre de l’aménagement de l’extension de la Ligne à Grande Vitesse est-européenne par Réseaux Ferrés de France. La prescription porte sur l’ensemble des trois occupations mises au jour sur les deux communes, localisées au Nord-Ouest de Sarrebourg (fig. 1). Il s’agissait alors d’étudier, par la fouille exhaustive, les trois sites mis en évidence lors des sondages, de procéder à des analyses paléoenvironnementales et des investigations complémentaires afin d’aborder les dynamiques de peuplement de ces deux vallées. D’après les données du diagnostic, les trois sites représentaient chacun une période chronologique différente, le « site 1 » étant daté de l’âge du fer, le « site 2 » se caractérisant par la présence d’une villa gallo-romaine et le « site 3 » étant une occupation rurale carolingienne. L’opération de fouille a été menée par S. Casadebaig, alors antiquisante au sein de la Conservation départementale d’Archéologie. Toutefois, chaque site appartenant à des périodes chronologiques distinctes, la direction de la fouille des sites 1 et 3 a été déléguée à deux des auteurs selon leurs spécialités, respectivement D. Mathiot et V. Rassart. Le cimetière de l’âge du bronze de Dolving Le « site 3 », localisé à Dolving « Ruttersmatt » s’étend sur le versant de la rive droite du Landbach, petit rû coulant vers le nord et présentant de nombreux méandres. Ce site a fait l’objet d’une fouille en deux tranches calendaires. La première, d’une surface de 5000 m², s’est déroulée dans le courant de l’automne 2009 et elle a permis la mise au jour d’une voie galloromaine d’axe sud/nord, d’une occupation domestique du haut Moyen Âge ainsi que d’un espace funéraire du Bronze final (fig. 2). La détection de ce cimetière, localisé à l’extrémité orientale du site et non reconnu lors du diagnostic, a conduit le Service régional de l’Archéologie de Lorraine à prescrire une extension de la fouille sur 5000 m² vers l’est, amenant ainsi la surface totale fouillée à 1 ha. RUT 136 (Sp 11) RUT 127 (Sp 2) RUT 131 (Sp 6) RUT 129 (Sp 4) RUT 135 ( Sp 10) RUT 132 (Sp 7) RUT 130 (Sp 5) RUT 126 (Sp 1) RUT 133 (Sp 8) RUT 119 0 5 10 Fig. 1 : plan de la nécropole et localisation régionale Bulletin APRAB, 2012 RUT 134 (Sp 9) 8 MATHIOT, RASSART ET PÉLISSIER Fig. 2 : photographie de la sépulture 11 en cours de fouille Les vestiges de l’âge du bronze se composent presque exclusivement de sépultures à crémation, au nombre de onze. Elles se situent dans la partie médiane du site, c’est-à-dire sur un versant présentant une pente moyenne de 5 %. À l’exception des sépultures 1 et 10 implantées à une vingtaine de mètres à l’ouest du groupe principal, elles se répartissent selon une bande d’orientation nord-ouest/sud-est. Les crémations 3, 8 et 11 sont préservées dans leur quasi-totalité ; les autres ont été fortement perturbées en raison de l’érosion importante qui a affecté le site. Les limites des fosses d’implantation des urnes cinéraires n’ont pas été reconnues lors de la fouille. Parmi les sépultures bien conservées, il faut noter la présence sur deux d’entre elles d’une couverture de pierres. La première, la tombe 8, était fermée par une seule dalle calcaire tandis que la seconde, la sépulture 11, était recouverte de plusieurs dalles calcaires disposées en couronne sur l’épaule de l’urne. Le traitement des corps La majorité des sépultures mises au jour à Dolving se compose de dépôts de crémation en ossuaire. Ceci indique que les os ont été prélevés sur le bûcher avec le mobilier primaire4 et nettoyés avant un dépôt dans un contenant. Tous ces contenants sont des urnes biconiques dont la typologie est caractéristique de la culture RSFO5. Ainsi, l’urne de la sépulture 3 s’apparente à un gobelet à épaulement à col refermé rectiligne dont les comparaisons dans le bassin rhénan et ses marges ne manquent pas (type 13b du Rhin-SuisseFrance orientale, Brun et Mordant 1988, annexes). Trois sépultures font exception à cette remarque générale : les tombes 7 et 8 sont des dépôts mixtes alors que la « sépulture 5 » est un dépôt de résidus de crémation en fosse. Les dépôts mixtes résultent d’un ramassage des os, mais aussi d’éléments du bûcher. Ainsi, dans le remplissage des urnes se retrouvent également des charbons de bois, des fragments de terre rubéfiée. Le dépôt de résidus de crémation en fosse (« sep.5 ») est dépourvu de contenant céramique ; une fosse a été creusée pour y déposer des éléments complets du bûcher. Dans le cas de la « sépulture 5 » de Dolving, il peut s’agir éventuellement d’un dépôt de crémation mixte, mais les conditions de conservation ayant altéré considérablement cet ensemble, le diagnostic définitif reste incertain. Quel que soit le mode d’enfouissement, il ressort que tous les défunts sont représentés par un dépôt aléatoire des différentes parties du corps. Alors que la majorité de ces sépultures sont simples, la tombe 11 fait exception. En effet, la présence de doublons anatomiques sur l’ensemble de l’amas osseux permet d’envisager la présence de deux défunts. Aucune éventuelle superposition des deux individus n’a pu être mise en évidence. Il semble alors que cette sépulture soit double, résultant d’une crémation simultanée de deux sujets. Le remplissage a été réalisé sans tri préalable. Si la fouille n’a pas permis d’appréhender les limites septentrionale et méridionale de ce cimetière, il est toutefois possible de mettre en évidence un regroupement géographique de ces différences de traitement des corps. En effet, les dépôts en urne se répartissent dans le secteur nord de l’espace funéraire tandis que les dépôts mixtes ainsi que le dépôt de résidus de crémation en fosse sont tous les trois concentrés dans le secteur méridional. La pyramide des âges Toutes les classes d’âge sont représentées au sein du cimetière de Dolving. Ainsi, la sépulture 3 appartient à un individu âgé de 0,5 à 6 mois comme l’indique l’étude des germes dentaires. Un autre Infans 1, âgé entre 33 et 55 mois a été enterré dans la sépulture 8. Enfin, un Infans 2, âgé de 6 à 12 ans se trouve dans la tombe 4. Les autres défunts étaient mâtures puisque, selon les individus, l’étude anthropologique a pu montrer qu’ils étaient âgés de « plus de 15 Bulletin APRAB, 2012 9 Le cimetière Bronze final IIb/IIIa de Dolving (Moselle, France) ans » ou de « plus de 20 ans ». Il est à noter que le traitement des corps est indifférent de l’âge de l’individu. Ainsi, les deux dépôts mixtes concernent l’Infans 2 et un individu mâture, le dépôt de résidus de crémation en fosse est, quant à lui, le mode de traitement d’un des individus de plus de 15 ans. Cette remarque s’applique également au mobilier funéraire. En effet, la confrontation entre le type de mobilier, qu’il soit primaire ou secondaire, avec les données anthropologiques montre qu’il n’y a pas de relation entre ces deux aspects. Le mobilier d’accompagnement Le mobilier se compose essentiellement de parure métallique et de perles en pâte de verre (vraisemblablement des ateliers de Fratesina6) pour les éléments primaires et de vases céramiques pour les éléments secondaires. La présence d’un coquillage bi-valve, probablement un fossile datant du Muschelkalk, déposé comme seul mobilier au fond de la sépulture du nourrisson, sous l’amas osseux, est également à noter. La parure regroupe essentiellement des épingles en alliage cuivreux, parmi lesquelles une épingle à tête enroulée et une épingle à tête plate. La sépulture 2 a, en outre, livré un bracelet torsadé à trois joncs, caractéristique du Bronze final IIb/IIIa. Le mobilier secondaire se compose essentiellement de récipients céramiques, dont la typologie se rattache aux productions du Bronze final IIb/IIIa, avec notamment des gobelets à épaulement et col refermé rectiligne. C’est la sépulture 11 qui s’est avérée être la plus riche, probablement en raison de son caractère « double ». En effet, au-dessus de l’amas osseux avaient été déposés deux gobelets, deux jattes et une bouteille. Cet ensemble est à mettre en lien avec le viatique funéraire et il est intéressant de s’interroger sur le lien entre le dédoublement des jattes et gobelets et la présence de deux individus. L’absence de comparaisons notables sur les sépultures doubles dans l’espace RSFO ne permet pas de détailler ce point davantage, mais cette coïncidence méritait d’être relevée. Le reste du mobilier, de la parure, est relativement abondant. Ainsi, ce ne sont pas moins de 70 perles en pâtes de verre bleutées qui ont été mise au jour au sein de l’amas osseux. D’ordinaire, ce type d’objet est découvert en petit nombre tant dans les contextes domestiques que funéraire, en raison notamment de son caractère fragile. Bulletin APRAB, 2012 Ce dépôt reste donc important, et il n’est pas exclu de considérer qu’il appartenait à un ensemble plus conséquent ; cette sépulture a livré aussi une épingle à tête biconique et fût incisé. Le mobilier céramique et métallique est homogène et appartient au faciès chronoculturel du Rhin-Suisse-France orientale. Ainsi, le bracelet à trois joncs torsadés de type Framerheim de la sépulture 8 fait partie des éléments retenus dans les actes du colloque de Nemours comme typique de ce groupe culturel (type 41, Brun et Mordant 1988) ; le bracelet de type Dienheim est daté par I. Richter de la charnière bronze final IIb et IIIa (Richter 1970, p. 415)7. Sépulture 11 / Epingle 1 0 2 4 6 8 10 cm. Fig. 3 : épingle provenant de la sépulture 11 La datation des épingles est plus ouverte car le type à tête enroulée se retrouve durant tout le Bronze final, mais l’exemplaire à tête biconique est bien comparable à celui retrouvé à Chanterive, datée également du RSFO (Rychner 1988, fig. 6, n°3 ; p. 128.)8. Conclusion Le site de Dolving apparaît comme un 10 MATHIOT, RASSART ET PÉLISSIER petit cimetière de caractère essentiellement « familial » ; il ne s’agit pas d’un complexe très vaste, avec 12 sépultures seulement. Cependant, son étude, encore en cours, permet de mettre en évidence des phénomènes particuliers. Ainsi, le traitement des corps n’est pas équivalent pour tous les individus. De même, la disparité du mobilier met en évidence des statuts différents des défunts. La sépulture 11 reste la plus spectaculaire. Avec son abondant mobilier, elle dénote d’un prestige certain par rapport aux autres tombes de la nécropole ainsi que de celles connues dans la majeure partie des vallées de la Sarre, de la Moselle ou du Rhin. La présence de deux individus ne permet pas de préciser si ce statut exceptionnel est à attribuer à un seul des défunts ou à ce « couple ». À proximité, des tombes plus ordinaires les accompagnent. La variété de ces traitements funéraires montrent la complexité des pratiques et des sociétés du Bronze final IIb/IIIa. rité de ces récipients est encore en cours de restauration et n’a pas fait l’objet de dessin précis. 6 Analyses en cours par B. Gratuze. Les auteurs remercient M.-P. Koenig pour son initiative dans ce dossier. 7 « La phase récente du Urnefelderzeit ancien » (Richter 1970, p. 145) 8 Cette épingle a été présentée lors de la journée d’actualité comme « étant en fer ». Un test basique à l’aimant réalisé depuis a permis de montrer qu’il n’y avait pas d’attirance entre l’objet et l’aimant, l’hypothèse « fer » est donc désormais à écarter ; il s’agit d’un objet en alliage cuivreux classique. 1 Conservation départementale d’Archéologi e de Moselle, dimitri.mathiot@cg57.fr 2 Conservation départementale d’Archéologie de Moselle, vianney.rassart@cg57.fr 3 Pôle archéologique interdépartemental rhénan, amelie.pelissier@pair-archeologie.fr 4 Nous considérons ici le mobilier primaire comme étant le mobilier présent avec le défunt sur le bûcher tandis que le mobilier secondaire a fait l’objet d’un dépôt dans la sépulture simultanément ou postérieurement à celui des ossements. 5 À l’heure où ces lignes sont écrites, la majo- Richter I. 1970.- Der Arm- und Beimschmuck der Bronze- und Urnenfelderzeit in Hessen und Rheinhessen, Prähistorische Bronzefunde, X, C.H. Beck, Munich. Bibliographie Brun P. et Mordant C. (dir.) 1988. - Le groupe Rhin-Suisse-France orientale et la notion de la civilisation des Champs d’Urnes, Actes du colloque international de Nemours 1986. Mémoires du Musée de Préhistoire d’Ile-de-France 1, A.P.R.I.F., Nemours. Rychner V. 1988. - Dendrochronologie du groupe Rhin-Suisse dans la région Neuchâteloise , dans Brun P. et Mordant C. (dir.), Le groupe Rhin-Suisse-France orientale et la notion de la civilisation des Champs d’Urnes, Actes du colloque international de Nemours 1986. Mémoires du Musée de Préhistoire d’Ile-de-France, 1, A.P.R.A.I.F., Nemours, p. 125-135. Bulletin APRAB, 2012